Ce lundi 18 novembre, The Exploration Company (TEC), société spatiale franco-allemande, a annoncé le montant du financement accordé au développement du service européen de transport de fret vers la Station spatiale internationale (ISS). La levée de fonds de 150 millions d’euros est avant tout stratégique pour l’Europe, qui ne dispose pas de module lui permettant d’accéder à l’ISS en toute autonomie, contrairement à ses homologues américaine, russe et chinoise, qui disposent respectivement des capsules Dragon, Soyouz et Shenzhou. Le vaisseau spatial financé, nommé Nyx Earth, devrait être opérationnel en 2028.
La concurrence spatiale modérément impactée
Avec ce projet, les Européens visent à s’affranchir de leur dépendance vis-à-vis des Américains, ce qui implique une certaine augmentation de la concurrence spatiale, notamment sur le marché des vaisseaux spatiaux. Cette menace pour les acteurs spatiaux est toutefois limitée puisque, comme l’affirme Upasana Dasgupta, professeur spécialisé en droit spatial et membre de l’Institut de droit aérien et spatial de McGill, l’Europe est moins efficace à cet égard. concernant la prise de décision : « Il y a un certain pousser et tirer (push-pull) qui se déroule entre les pays européens, et certains disent que le marché européen est très fragmenté. À moins que cette fragmentation ne disparaisse, ils ne pourront pas rivaliser au même niveau que les Américains (hier). »
De plus, les objectifs poursuivis par les puissances spatiales sont différents : « Le marché spatial européen se concentre sur des activités très niches, notamment la durabilité spatiale », souligne le professeur Dasgupta. Les acteurs du projet Nyx Earth visent à concevoir un vaisseau spatial entièrement réutilisable, une mission en adéquation avec leurs activités axées sur la protection de l’environnement spatial. L’engin serait doté d’un bras articulé dont le but serait de nettoyer l’espace des débris qui l’encombrent actuellement.
Pour ces raisons, la « menace » européenne sur le marché spatial est faible : « Les Européens ne peuvent pas croître de manière exponentielle comme les États-Unis », explique le professeur Dasgupta. « Ils ont les capacités et le talent, mais ils n’ont ni l’argent ni l’efficacité. »
Une exploration critiquée et risquée
Encourager la concurrence spatiale reste un sujet de débat, notamment en ce qui concerne la question des débris spatiaux : « Depuis que Spoutnik est allé dans l’espace, les pays ont négligemment laissé des pièces de fusées dans les « déchets » spatiaux », explique le professeur Dasgupta. « Si de tels débris restent, ils entreront en collision et créeront davantage de débris plus susceptibles de heurter des objets spatiaux opérationnels et de les rendre inutilisables. »
Le manque de détails dans les traités internationaux, qui sont les principaux régulateurs des activités spatiales, ajoute au problème. Le Traité spatial, qui rassemble plus de 112 signataires, définit la plupart des lois concernant la gouvernance spatiale sur les corps célestes, comme la Lune, mais reste vague lorsqu’il s’agit du reste de l’espace. Le professeur Dasgupta souligne particulièrement l’ambiguïté de l’article 4 : « Il explique que nous ne pouvons pas placer d’armes de destruction massive sur la Lune et sur tous les autres corps célestes. Mais l’article ne dit rien du reste de l’espace, et certains pays ont donc testé leurs armes pour détruire les satellites défaillants, ce qui crée des débris. »
Il y a des guerres en 2024, nous nous battons toujours pour des territoires, alors comment être prêts à rassembler l’humanité dans cette aventure fédératrice ?
Concernant l’exploration de Mars, le Dr Richard Léveillé, professeur agrégé au Département des sciences de la Terre et des planètes à McGill, explique que l’exploration d’une zone potentiellement habitable par un véhicule terrestre entraînerait des risques de contamination : « Certaines régions sont considérées comme particulières parce qu’elles sont des endroits qui pourraient contenir de la glace ou des eaux souterraines, et qui pourraient donc peut-être accueillir la vie aujourd’hui. On sait qu’il est quasiment impossible de stériliser une fusée, c’est pourquoi la réglementation dit que pour le moment, nous n’allons pas dans ces régions, jusqu’à ce que nous soyons plus sûrs que nous n’allons pas contaminer d’éventuelles traces de vie. »
Par ailleurs, le professeur Dasgupta affirme qu’il existe un certain devoir de l’humanité de tirer les leçons de ses erreurs passées, notamment de la colonisation des territoires, pour savoir s’il y a présence ou non de vie : « la colonisation en ce sens est différente de celle perpétrée par les Européens sur Terre, car il est possible que nous ne trouvions aucun être vivant dans l’espace. Mais cela signifie-t-il que nous avons le droit de changer cet environnement et de croire que tout est à notre disposition pour le coloniser ? »
Coopérer dans un contexte incertain et instable
Sur le plan scientifique, les explorations récentes sur Mars donnent des résultats peu concluants quant à la probabilité que la vie soit déjà présente : « Il faut différencier la possibilité d’une vie existante ou d’une vie ancienne, ce sont deux questions bien différentes », explique le Dr Léveillé. « Nous savons que Mars est aujourd’hui très impropre à la vie ; Au vu des conditions qui existent actuellement, il n’y a pas vraiment d’eau liquide en surface, il fait très froid et sec, mais on sait qu’autrefois il y avait des lacs. “C’était une planète différente qui aurait pu abriter la vie, mais trouver des traces d’eau ne signifie pas nécessairement qu’il aurait pu y avoir de la vie.” Quant aux missions destinées à explorer des corps célestes probablement capables d’héberger de la vie existante, elles restent confrontées à des limites technologiques : « Quant à la vie actuelle, il existe peut-être d’autres endroits comme l’Europe ou Encelade, des lunes avec des océans sous la glace, qui pourraient peut-être être plus lointaines. propice à la vie », affirme le Dr Léveillé. « Sauf qu’on connaît encore moins ces lieux car ils sont plus éloignés. »
De plus, la situation géopolitique actuelle suscite des doutes quant à la possibilité future de réaliser une collaboration internationale : « Nous vivons une période très conflictuelle avec beaucoup de polarisation », déplore le Dr Léveillé. « Il y a des guerres en 2024, nous nous battons toujours pour des territoires, alors comment être prêts à rassembler l’humanité dans cette aventure fédératrice ? Je garde espoir, mais nous ne sommes peut-être pas prêts. »
Cependant, l’existence de la Station spatiale internationale rappelle, selon le professeur Dasgupta, que coopération scientifique et tensions diplomatiques ne sont pas incompatibles : « Il existe évidemment des différences idéologiques entre les pays, mais même avec cela, l’ISS existe. Elle existe au moment où nous parlons, alors qu’il y a la guerre en Ukraine, et pourtant la Russie et les États-Unis collaborent ensemble sur la station. »
Même si l’ISS représente un espoir pour la coopération spatiale, son arrêt définitif est prévu par la NASA d’ici 2031, notamment en raison de son obsolescence et des coûts élevés liés à sa maintenance. Reste donc à déterminer si un régime de gouvernance internationale peut réellement être défini et accepté par tous, puisque la collaboration semble inévitable, si l’Humanité veut à nouveau accomplir un projet d’une telle ampleur.