Découvrez le podcast derrière cette retranscription dans Bêtes de Science.
Très souvent, les tortues, crocodiles, caméléons et autres serpents ne sont pas particulièrement loués pour leur intelligence. On a longtemps pensé que ces animaux menaient une vie solitaire, qu’ils se déplaçaient lentement et qu’ils s’avéraient finalement dangereux ou inintéressants. Il n’en fallait pas plus pour les classer parmi les bêtas… Alors que pas du tout ! Nous réalisons maintenant que nous nous sommes trompés. Aujourd’hui, je vous propose de découvrir un lézard, qui défie tous les pronostics.
Les scinques appartiennent à l’une des plus grandes familles de lézards connues à ce jour, avec plus de 1 000 espèces différentes ! Tous les scinques se reconnaissent facilement à leur silhouette plutôt trapue : ils ont souvent un cou très court voire absent et de très petites pattes. Mais, aujourd’hui, je vous propose de vous intéresser à une espèce de scinque en particulier : Egernia stokesii. Il n’a pas de nom vernaculaire en français, c’est-à-dire qu’il n’a pas de nom commun. Il n’est désigné que par son nom latin, mais pour simplifier les choses, appelons-le « scinque de Stokes ».
Ce petit lézard tire son nom latin de John Lort Stokes, un amiral anglais qui a voyagé avec Charles Darwin lors de son voyage en Océanie à bord du navire The Beagle. Notre scinque a quelques particularités qui le distinguent. Brun et beige, potelé et épineux, il a une queue très épaisse, hérissée d’écailles pointues. Cette queue, aussi large que le reste de son corps, sert à stocker les graisses en cas de pénurie. Ce genre de massue piquante décourage aussi facilement les prédateurs qui voudraient mordre dans cette proie dodue ! Le scinque de Stokes est l’un des géants de sa famille : il mesure environ 20 centimètres de long, soit à peu près la même taille qu’un rat. Il s’agit aussi de vieux os, puisque les plus vieux scinques connus ont atteint l’âge de 25 ans. Curieusement, les jeunes scinques sont insectivores et se régalent de larves et de coléoptères, tandis que les adultes sont végétariens et préfèrent les fruits et les feuilles.
---Il vit en Australie, très souvent près d’un arbre particulier, une espèce d’acacia que les locaux appellent ” giggee “. C’est lui qui donne à notre lézard son nom commun anglais le plus courant : Scinque Gidgee. Cet arbre surprenant est parfois appelé ” Gidgee puant », car il dégage naturellement une odeur rappelant le chou bouilli ou les eaux usées. beurk ! Ce milieu fétide ne décourage pas notre scinque qui se retrouve dans tous les types de milieux où il peut se réchauffer au soleil, à son aise : zones semi-désertiques, rochers mais aussi buissons, arbustes et forêts. Il apprécie particulièrement les anfractuosités où il aménage un abri. Mais alors, si l’on dit le squameux plutôt maladroit, qu’est-ce qui fait que ce scinque sort de l’ordinaire ? Pour apprécier les véritables super pouvoirs du scinque de Stokes, je vous propose d’aller le voir de près !
Le comportement des scinques
Regardez ce paysage couleur de sable et de brique, rempli de cailloux et de rochers. Sentez-vous cette chaleur, sèche, sur votre peau ? C’est l’endroit parfait pour nos lézards. Ouvrez les yeux, surveillez chaque crevasse. Il suffit de peu pour qu’ils se glissent dans l’ombre. Pour eux, une fissure dans un rocher est un palais. Là, c’est habité ! Enfilons notre costume de scinque pour nous faufiler à l’intérieur et mieux les voir. Là, les deux plus grands du bas sont les fondateurs du groupe, le père et la mère. Ils restent fidèles pendant plusieurs années. Et tous les autres scinques, un peu plus petits, que l’on peut voir dans cette crevasse sont leurs bébés, dont la taille varie selon leur âge. Ils peuvent rester jusqu’à 5 ans chez leurs parents, c’est le temps qu’il leur faut pour devenir adultes. Autant dire qu’ils prennent leur temps. Et nous avons déjà observé des familles très nombreuses, qui peuvent compter jusqu’à 17 individus ! Cette organisation familiale, où les membres du groupe restent ensemble toute l’année, est plutôt rare dans le monde animal, et d’autant plus chez les lézards qui vivent souvent seuls. La plupart du temps, ces dernières se mettent en couple ou se rassemblent pour des durées assez courtes : juste le temps de faire des bébés ou de passer la mauvaise saison au chaud, serrées les unes contre les autres. Mais les scinques de Stokes sont soucieux de la communauté !
Si vous regardez bien nos scinques dans cette crevasse, vous pouvez facilement voir les avantages de la vie en groupe. On les voit dormir, empilés les uns contre les autres. En effet, les scinques sont poïkilothermes, c’est-à-dire que leur activité dépend de la température extérieure. Ils ne peuvent pas maintenir leur température corporelle constante, comme le font les mammifères, qui sont homéothermes. S’il fait trop froid, ils n’ont pas assez d’énergie pour bouger. C’est fou non ? C’est un peu comme se fatiguer quand on sort jouer dans la neige. En partageant la même crevasse, les scinques se gardent au chaud, même lorsque la température chute soudainement après la tombée de la nuit. Ensemble, c’est mieux qu’un radiateur !
Ils peuvent également former des groupes et surveiller à tour de rôle l’arrivée de prédateurs potentiels, qu’ils repèrent plus rapidement que s’ils surveillaient seuls. Cette surveillance partagée permet à chacun de passer plus de temps à faire la sieste. Intelligent! En plus, je pense qu’ils nous ont repérés. Regardez, la mère du groupe renifle l’air avec sa langue. A chaque fois qu’elle le sort, elle capte des odeurs et les analyse. Nous, les humains, utilisons beaucoup nos yeux pour nous reconnaître ou observer notre environnement. Mais les scinques le font grâce aux odeurs ! Des expériences ont montré qu’ils peuvent faire la différence entre l’odeur d’un scinque de la même espèce et celle d’un individu d’une autre espèce. Ils peuvent également faire la différence entre l’odeur d’un mâle et celle d’une femelle et seraient même capables de reconnaître les congénères individuellement. Même les bébés scinques sont doués pour cela : ils identifient leur mère avec certitude et choisissent de passer plus de temps près d’elle plutôt qu’avec d’autres femelles. On pense que cette utilisation fine des parfums permet également aux scinques de trouver des amants et des partenaires avec qui s’accoupler, ainsi que de défendre leur territoire en identifiant les intrus. Bref, ils ont un nez fin. Pas de doute, le scinque de Stokes est un animal surprenant, qui nous réserve encore bien des surprises !