(Princeville) Dans les ligues sportives, il y a toujours une équipe plus faible que les autres. Mais rarement il sombre autant que l’édition actuelle du Titan de Princeville, dans la Ligue de hockey junior AAA au Québec.
Son dossier mi-décembre ? 0-27.
Son différentiel de buts ? -181.
« J’ai 38 ans et en tant qu’entraîneur, c’est la première fois que je vis ça », confie l’entraîneur-chef Guillaume St-Denis, derrière le banc de l’équipe depuis 2014.
Cette déroute n’était pas prévue. Après son recrutement estival, Guillaume St-Denis pensait miser sur l’une des meilleures équipes de la ligue. Sauf qu’au camp d’entraînement, tout s’est effondré, comme des dominos tombant en cascade. Il reste quinze joueurs. Beaucoup dans les Maritimes et dans l’Ouest canadien. Deux dans la LHJMQ. Deux dans la ligue universitaire. D’autres ont été blessés ou ont pris leur retraite.
Dans un circuit qui s’appuie énormément sur d’anciens M18 AAA et des joueurs retranchés de la LHJMQ, le Titan a dû se rabattre sur des jeunes ayant joué dans l’AA ou au hockey scolaire – et pas toujours en première division.
Conséquence : des coups répétés.
13-3. 12-0. 11-0. 11-1. 11-2. 10-1.
« Le début de saison a été très difficile, reconnaît le défenseur Charles Voyer. « Après six ou sept matchs, les gars fatigués de perdre ont abandonné. Mais pour d’autres, ces défaites nous ont unis.
—Pourquoi es-tu resté ?
— Parce que pour moi, abandonner n’est pas une solution. La solution est de s’améliorer. »
Parmi ceux qui sont restés se trouvait le vétéran de 20 ans Joey Blouin. Lui aussi s’attendait à mieux à son retour de l’Ontario pour disputer sa dernière saison junior avec sa famille. « On ne s’habitue pas à perdre, confie-t-il. À chaque fois, ça fait mal. Ça pince. Mais tu sais quoi ? Tous ces pincements ont rapproché les gars qui sont restés plus proches. J’ai déjà fait partie de très bonnes équipes dans lesquelles il y avait des cliques. En dehors de la glace, les choses n’allaient pas bien. »
Ici, on a moins de réussite, mais on s’amuse vraiment. C’est ce qui me retient.
Joey Blouin, Princeville Titan player
En effet, l’ambiance au sein du QG de l’équipe est étonnamment festive pour un club classé dernier. « Ces gars viennent à chaque entraînement. Ils sont toujours à l’heure», affirme Guillaume St-Denis. C’est un peu la norme, n’est-ce pas ? “Hé mon garçon, non. J’ai vu de très bons clubs dans lesquels il y avait plus d’insouciance. Les gars sont arrivés 15 minutes avant l’entraînement. Ce soir, il y a 15 joueurs qui sont arrivés avant moi ! Cela montre que les gars veulent apprendre et travailler. En tant qu’entraîneur, c’est satisfaisant de voir les gars franchir la porte de l’aréna avec le sourire, même dans une saison comme celle que nous vivons. »
Évidemment, dans cette séquence de 27 défaites consécutives, il n’y a pas eu que des moments fleur bleue. Il y avait plus de chapitres rock’n’roll. Comme cette fois où, après une défaite particulièrement douloureuse, le couvercle de la marmite a explosé. Le vétéran Charles Voyer s’est levé dans le vestiaire pour prononcer un discours digne de Jacques Mercier en Jetez et comptez.
«Je suis devenu fou», avoue-t-il franchement. « Et quand Charles s’énerve, les autres l’écoutent », confirme son coéquipier Noah Larrivée.
« Ce jour-là, poursuit Charles, il y avait des gars qui n’avaient pas assez travaillé. Je leur ai dit que le talent ne nous ferait peut-être pas gagner, mais que si nous travaillions plus dur, nous y arriverions.
—Avez-vous déjà prononcé un discours comme celui-là auparavant ?
– Non. C’était la première fois. Je l’ai fait par émotion. Je ne suis pas le gars le plus talentueux. Je ne le mets pas souvent en ligne. Mais je bloque les tirs. Je joue avec intensité. Voir d’autres gars traîner des pieds me faisait transpirer. J’étais au bout du rouleau. Il a peut-être fallu cela pour en remuer quelques-uns. »
Il n’y avait pas qu’à l’arène que les choses se préparaient. En ville aussi. Dans une métropole comme Montréal, les défaites des Rangers ou du Phoenix passent inaperçues. Mais à Princeville, petite municipalité qui fait partie de la chaîne de villes entre Drummondville et Québec, les dégels à répétition ont provoqué une réaction.
Les supporters ont exprimé leur colère sur les réseaux sociaux. Il faut savoir qu’en junior AAA, les spectateurs paient leur ticket d’entrée. Toutefois, les joueurs de hockey âgés de 17 à 20 ans ne sont pas payés pour jouer. Les critiques sont devenues suffisamment intenses pour que la mère d’un joueur publie une lettre anonyme sur les plateformes médiatiques du club.
« Le hockey, rappelle-t-elle, n’est pas seulement une question de victoire ou de défaite. C’est une école de vie où l’on apprend à surmonter les obstacles, à travailler ensemble et à grandir face aux défis. Chaque effort que vous faites aujourd’hui vous rend plus fort […] »
« Rappelez-vous pourquoi vous avez choisi ce sport : la passion, l’esprit d’équipe, l’envie de se dépasser. Continuez à jouer avec cœur, soutenez vos coéquipiers et n’abandonnez jamais. Le chemin est peut-être difficile, mais il est aussi plein d’opportunités de progresser et de se dépasser. Croyez en vous, continuez à vous battre et rappelez-vous que chaque match est une nouvelle opportunité de montrer de quoi vous êtes capable. »
Cette lettre, inhabituelle dans une ligue de ce calibre, a changé le discours public autour du Titan.
C’est fou combien de personnes à Princeville nous ont soutenus après ça. Les gens ont vu que nos joueurs étaient là pour les bonnes raisons.
Guillaume St-Denis, entraîneur-chef du Titan de Princeville
Sur la glace, le Titan a continué à essuyer des défaites. Mais les massacres sont devenus moins fréquents. Nous avons commencé à voir des scores de 6-3 et 7-3. À tel point qu’à la mi-décembre, la perspective d’une victoire n’était plus une utopie.
Le dimanche 15 décembre, Princeville recevait Laval au Centre sportif Paul-de-la-Sablonnière. « Ce matin-là, se souvient Guillaume St-Denis, en sortant de la maison, j’ai dit à ma copine : « On a une composition pour gagner un match. »
Néanmoins, sa troupe venait de loin. Lors de ses deux précédentes rencontres contre Laval, il avait été surclassé 11-0.
Le début de match a été intense. Cinq buts en première période, trois en seconde. Grâce à cela, deux punitions majeures, et quelques autres pour brutalité. Mais contre toute attente, après 40 minutes, le Titan menait 5-3.
«C’était notre meilleur match de l’année», raconte Charles Voyer. On a tiré, c’est rentré. On bloquait les tirs. Notre gardien a réalisé les arrêts. L’autre équipe frappait les poteaux. »
C’était aussi la première fois cette saison que le Titan menait après deux périodes, souligne Noah Larrivée. « Les plus jeunes étaient stressés. Nous, les 19-20 ans, n’arrêtions pas de leur répéter que le match n’était pas encore terminé. Cela pourrait changer. Et en fait, on est remonté à 5-5… »
Le duel s’est soldé par une fusillade. Encore une situation inédite pour le Titan cette saison. Après deux tours, c’était 0-0. Le capitaine Timothy St-Pierre, échangé depuis, pourrait donner l’avance à son équipe. Il a logé un laser entre les jambières du gardien. Princeville n’était qu’à un arrêt de provoquer la surprise. Tout reposait sur les épaulettes, le bloqueur et le gant du gardien Loïc Potvin. Le joueur de 19 ans a affronté son 688e cliché de la saison. Cette fois, il a pris le dessus sur le tireur adverse. Victoire des Titans, 6-5.
Dans les tribunes, les 200 spectateurs hurlaient. Sur la glace, tout le monde était abasourdi.
«Je n’avais pas réalisé ce qui se passait», raconte Noah Larrivée. Je ne me souvenais plus du sentiment de victoire ! » « C’était comme si on venait de gagner une finale de tournoi quand on était petit, raconte Guillaume St-Denis. «Sans doute la victoire la plus satisfaisante de ma carrière», ajoute Joey Blouin.
Et qu’a ressenti Charles Voyer, qui avait brassé le cocotier un mois plus tôt ?
« Après 27 défaites consécutives, c’était comme si je venais de remporter la Coupe Stanley. C’était un moment magique. Je m’en souviendrai toute ma vie. Dans le vestiaire, c’était fou. Il y avait de la musique. Nous nous amusions. Nous avons chanté. »
«Quand on perd 10-0, la salle se vide en 10 minutes», explique Noah Larrivée. Mais là, quelques gars sont restés une bonne heure et demie après le match. Nous étions vraiment fiers de nous. »
« Ce groupe, insiste Joey Blouin, donne le maximum d’efforts à chaque fois. C’est une bande de gentils. Nous nous aimons tous. « Et maintenant, conclut Charles Voyer, « les gars savent qu’en travaillant, on peut gagner. »
Un deuxième gain
Cette victoire a donné des ailes au Titan. Même après avoir cédé certains de ses meilleurs joueurs début janvier, le club est redevenu compétitif. Il a même ajouté une deuxième victoire à sa fiche en battant le Phoenix de Montréal 7-5, et a tenu les Braves de Salaberry-de-Valleyfield, deuxièmes de la ligue, à 0-0 jusqu’au début de la troisième période, JEUDI. Un magnifique modèle de travail et de persévérance pour tous les athlètes de la province qui vivent une saison difficile.
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