Élisa Julien arrive toujours en avance pour son entraînement bihebdomadaire de MMA à l’Académie de Boxe El Baja, dans le quartier des Fontaines à Tours (Indre-et-Loire). Ce sport de combat, que la jeune femme de 21 ans a découvert il y a deux ans après avoir pratiqué la boxe et le krav maga lorsqu’elle était adolescente, contribue à son équilibre.
«Si je ne viens pas m’entraîner, je ressens un manque, confie-t-elle. Le MMA me permet de me défouler,pour extérioriser des choses que je ne peux pas expulser ailleurs. J’ai aussi plus confiance en moi.Quand je marche dans la rue tard le soir, je n’ai aucune appréhension. S’il m’arrivait quelque chose, je saurais me défendre, même si je dirais toujours qu’il vaut mieux courir. rigole ce combattant surnommé « Smiley ».
Son sourire ne quitte jamais son visage, “sauf sur un ring, jusqu’à ce qu’elle gagne par KO”, témoigne Ulrich Vitry, son entraîneur, qui vante sa rage de gagner et son investissement. Dans l’espace confiné de l’octogone, la peur d’encaisser des coups lui est totalement étrangère : « Je ressens une sensation intense, une pression unique que j’ai ressentie, dans une moindre mesure, lorsque je faisais crossfit (une méthode de conditionnement physique très puissante, utilisée notamment par les militaires, NDLR). Ma tête est complètement vide. Il est temps. Pas le choix, tu dois y aller. décrit Élisa, titulaire du grade vert (le quatrième sur les huit grades existants), qui lui a ouvert la porte à ses premiers combats.
Toutes ses qualités pourraient même, aux yeux de son coach, la propulser vers un destin professionnel à l’instar de Manon Fiorot, l’actuelle numéro deux mondiale, qui a remporté son titre de championne du monde amateur à 27 ans. « Chez les femmes et chez les poids lourds dans les catégories masculines, il y a de la place. Si Élisa le décide, elle a toutes les cartes en main. » assure-t-il.
A l’heure où tant d’autres rêvent d’une carrière auréolée de gloire et d’argent, la jeune femme n’envisage pas de quitter le monde amateur : «Je suis encore jeune, j’ai envie de voyager et je ne sais pas ce que je ferai l’année prochaine. Pour le moment, je vis pleinement cette passion. »
Une réputation sulfureuse
Face à l’engouement pour cette discipline très prisée des jeunes, Nedjid El Baja, le fondateur de cette institution tourangelle des sports de combat, très réputée pour son savoir-faire en boxe, a limité le nombre d’inscriptions.
« On s’est arrêté à 43 licenciés et on a limité l’accès aux plus de 16 ans. Mais nous aurions pu en avoir beaucoup plus, notamment des enfants. J’accueille les enfants de 7 ans qui veulent devenir des stars du MMA », observez celui que tout le monde dans le quartier appelle « le patron ». Méfiant, il n’a pas immédiatement ouvert son club à cette pratique : « Au début, je ne pensais pas que ça allait prendre une telle ampleur. Et je voulais trouver le bon entraîneur pour véhiculer l’image, les valeurs du club et garder le contrôle. »
Depuis le premier combat UFC (Ultimate Fighting Championship) médiatisé en 1993 (lire les benchmarks), cette discipline émergente, héritage contemporain du pancrace associé à un mélange d’arts martiaux et de sports de combat, s’est répandue comme une traînée de poudre, suscitant confusion et méfiance parmi les pouvoirs publics.
De leur côté, les grandes fédérations des disciplines olympiques voient d’un mauvais oeil l’émergence de ce concurrent controversé. La brutalité de ces duels spectaculaires, comparés par ses détracteurs à la fosse aux lions et aux jeux de cirque, a ralenti la légalisation des compétitions officielles. Jusqu’en janvier 2020, lorsque la ministre des Sports de l’époque, Roxana Maracineanu, décide finalement d’autoriser sa pratique en France.
« Le MMA s’est développé à contre-courant » précise le sociologue Yann Ramirez, auteur de l’essai Dans la cage du MMA, sociologie d’un sport du XXIe sièclesiècle (Éd.Atlas). « La France avait jusqu’à présent développé une grande culture sportive d’amateurisme et l’Olympisme. Le sport de loisir a toujours précédé l’apparition des compétitions professionnelles et médiatisées. C’est le contraire qui s’est produit pour le MMA. »
Apparues dans le domaine de l’événementiel, dans la foulée des grands shows de lutte, ces compétitions sont en pleine démocratisation.. « C’est ce que j’ai appelé dans ma thèse la « sportivisation inversée ». Mais c’est encore aujourd’hui en France la discipline la plus populaire avec le moins de licenciés. souligne le chercheur.
Casser les idées reçues
Depuis 2020, le MMA est entré dans le giron de la Fédération Française de Boxe (FFB) en tant que discipline associée. Lionel Brézéphin, responsable technique national de la FFB, référent du projet MMA, s’est vu confier la mission d’encadrer sa pratique : «Je suis parti d’une page blanche pour proposer un cadre réglementaire et structurer le volet formation», explique le manager, qui s’est inspiré pour cela des expériences de grands pays pionniers (Etats-Unis, Japon) et de l’expertise du monde de la boxe dans la protection des sportifs. De son côté, le vétéran Johnny Frachey a déployé un système de grades techniques, basé sur «la codification des 680 techniques connues à ce jour, afin qu’elles puissent être enseignées en club. »
Intéressant les grands médias, le parcours des stars françaises (Cyril Gane, Francis Ngannou, Karl Amoussou, Cédric Doumbè, etc.) a contribué à briser les idées reçues sur ce sport, qui « posera toujours des questions en France », admet John Ramirez. « Dans nos sociétés occidentales, sensibles à l’hygiène, on a du mal à comprendre comment un sportif peut atteindre un tel seuil de tolérance à la douleur. »
A l’inverse, dans le Caucase, au Brésil ou en Asie, où la violence ronge le quotidien des populations, sa pratique, solidement ancrée, relève de l’instinct de survie : “Je viens d’un pays où il faut savoir se défendre pour sauver sa peau”, » reconnaît Ruslan, le deuxième entraîneur de MMA de l’Académie de boxe El Baja et ancien membre de l’équipe nationale de lutte du Daghestan, république fédérée de Russie.
Stratégie plutôt que force
S’appuyant sur des études scientifiques faisant état de traumatismes moindres qu’au rugby, en boxe ou encore en football, Lionel Brézéphin réfute l’idée selon laquelle ce sport serait plus violent qu’un autre : « En MMA, il y a effectivement des blessures, parfois très impressionnantes comme on l’a vu lors du récent combat de Benoît Saint-Denis à l’UMC (Championnat martial ultime), mais c’est surtout une activité à engagement physique très fort, opposant deux protagonistes consentants, qui se livrent à une partie d’échecs. Le but est de pouvoir utiliser une technique pour dominer l’adversaire. plaide ce grand promoteur de ce qu’il appelle “Combattre le QI”. Seuls les bons stratèges et les plus créatifs se démarquent : “Quelqu’un qui ne pense qu’à la violence ou à la force ne sera jamais un bon combattant” il dit.
Bien qu’attirés par l’adrénaline des combats, la grande majorité des combattants de MMA ne le feraient pas, selon Élisa Julien, « les premiers à rechercher les combats dans la vie de tous les jours, ne serait-ce que parce que nous savons mieux que quiconque de quoi nous sommes capables ». Dans son club, les licenciés s’engagent également à adopter un comportement irréprochable en dehors du ring. Ulrich Vitry nous l’assure : « Ceux qui se battent dehors savent qu’ils ne pourront plus jamais remettre les pieds dans la salle. »
La Fédération française de MMA prévoit, de son côté, de diffuser à tous les pratiquants un « code d’honneur », rédigé, dans un premier temps, pour les membres de l’équipe de France, chargés de donner l’exemple.
—–
100 000 praticiens en France
La France compte 270 clubs a écrit MMA.
100 000 personnes pratiquent ce sport. Parmi eux, 10 000 licenciés sont inscrits dans un cursus concours.
Créée le 31 janvier 2020, la FMMAF (« Fédération Française de MMA ») a déjà formé 1 500 coachs, dont 980 pendant la crise sanitaire.
Depuis la légalisation des compétitions en Franceen janvier 2020, cette instance interne à la Fédération française de boxe organise des événements comme la MMA League, un circuit de combat amateur.
L’Ultimate Fighting Championship (UFC)créée aux États-Unis en novembre 1993, est considérée comme la ligue la plus importante au monde.
Les combats amateurs s’étendent sur trois rounds de trois minutes. En championnat, elles se déroulent en cinq tours de cinq minutes.
Pour en savoir plus :
– Un livre : Dans la cage du MMA, sociologie d’un sport du XXIe siècle de Yann Ramirez (Éd. Atlande), 276 p., 19 €.
– Une série : La cage de Franck Gastambide, disponible sur Netflix.
Related News :