De nouveau championne du Monde du 100 km samedi dernier à Bangalore (Inde), en 7h08’43”, deux ans après son premier sacre à Berlin, Floriane Hot a eu le - de longuement s’entretenir avec athle.fr de sa performance, de sa préparation et ses vœux pour les mois à venir. Confidences.
Athle.fr : Vingt-huit mois après votre victoire aux Championnats du monde 2022 et quatorze mois après la naissance de votre premier enfant, vous êtes à nouveau champion du monde. Comment avez-vous préparé cette échéance dans un contexte géographique et climatique inédit ?
Nous savions que la course serait complètement différente de celle que nous connaissions, qu’elle serait chaude et humide, que le parcours serait vallonné et situé à 1000 m d’altitude et que l’environnement serait pollué. De nombreux paramètres sont à prendre en considération. J’ai la chance d’habiter dans le sud-est de la France, où il fait souvent très chaud. Même si les mois de septembre à décembre pendant lesquels je me suis préparé ne sont pas ceux où les températures sont les plus élevées, mon corps était préparé car je suis habitué à la chaleur. Et puis vers ma maison à Aix, rien n’est plat, donc même quand je fais une petite course de récupération, j’ai toujours un peu de dénivelé, évidemment. Cela m’a donc donné un petit avantage.
Le cours a-t-il été aussi difficile que prévu ?
Franchement, il s’est vraiment cassé les jambes ! Mais malgré cela je l’ai préféré à celui de Berlin, en 2022, qui était complètement plat sur une longue ligne droite aller-retour. Le scénario n’a jamais changé, c’était interminable et très difficile mentalement. A Bangalore le parcours était complètement atypique : le fait d’avoir une montée et une descente divisait bien le parcours de 5 kilomètres et comportait quelques variantes. En plus, c’était un peu « folklorique ». Officiellement, la route était fermée, mais parfois des motos et même des camions passaient. Nous rencontrions régulièrement des étudiants, car nous étions au milieu d’un campus. Il y avait même des singes qui mangeaient de tout autour de l’endroit où se trouvait la nourriture ! Dans l’ensemble c’était agréable, malgré la douleur des 100km…
Un tel contexte nécessite une bonne adaptabilité. Est-ce une de vos qualités naturelles ?
Je l’ai depuis que je suis maman. Avec un jeune enfant, il faut constamment s’adapter, surtout lorsqu’on souhaite préparer des événements sportifs. Avant d’avoir un plan d’entraînement à suivre, je devais juste m’occuper de moi, c’était “facile”. Désormais, nous ne serons jamais à l’abri de passer une mauvaise nuit, de tomber malade ou d’être porteur d’un virus. Les plans changent de jour en jour. Il faut s’habituer à l’idée que peu importe si tout n’est pas parfait ou ne se passe pas exactement comme prévu. Nous nous adaptons et faisons mieux. Cela me permet de lâcher prise beaucoup plus. J’ai donc préféré cette préparation, même si elle est plus fatigante physiquement, car elle fixe un objectif et on sait encore mieux pourquoi on fait tout ça. C’est une motivation supplémentaire.
Pouvez-vous nous décrire, dans ses grandes lignes, le contenu de votre préparation ?
Évidemment plusieurs kilomètres. Avec mon coach (Jérémy Cabadet, ndlr), nous avons choisi de suivre un stage de préparation marathon, mais avec plus de volume. J’ai fait des séances de vitesse, notamment des séries de 300 et 400 mètres sur piste, et je sais que nous ne sommes pas nombreux dans cette situation. Le seul vrai changement était que je faisais plus de répétitions que mes partenaires d’entraînement, qui se préparaient pour le marathon de Valence. Et dimanche, au lieu de faire des blocs au rythme d’un marathon, j’ai fait de longues sorties de 50 à 55 kilomètres au rythme de 100 km. J’ai également prévu une grande préparation physique avec mon kiné, dont une séance hebdomadaire de renforcement musculaire ciblée.
N’aviez-vous pas inclus cet aspect dans votre formation auparavant ?
Un peu, avant d’accoucher, à la salle de sport. Mais depuis, je n’arrive pas à trouver le - pour ça, c’est un peu passé au second plan. Je savais qu’il fallait absolument revenir pour la Coupe du Monde et avec mon kiné nous avons bloqué une place tous les jeudis matin. Cela a énormément contribué à mes performances, me permettant déjà de faire face à la charge de travail sans me blesser. Même à la fin, quand j’ai mal aux jambes…
Quand avez-vous recommencé à courir après avoir donné naissance à votre fils ?
J’ai très bien recommencé. Je n’étais pas pressé d’y recourir, même si cela me manquait visiblement. Je ne voulais pas sauter d’étapes, je voulais repartir dans une perspective à long terme, pour ne pas me blesser deux mois plus tard. Au début j’ai fait des exercices de respiration pour renforcer mes muscles abdominaux, puis j’ai alterné marche et course, marchant un peu moins et courant un peu plus progressivement. Petit à petit, j’ai pu à nouveau parcourir de longues distances, jusqu’à courir le marathon de Valence en décembre dernier. Sans aucun objectif, juste pour le plaisir. Cela fait six mois que j’ai accouché. J’étais encore en post-partum, mais à ce moment-là, je me sentais physiquement capable d’entreprendre une préparation plus avancée. Ce que j’ai fait pour les championnats de France de marathon, mon objectif du début d’année, qui s’est très bien passé (il a remporté le titre national en 2h46’02”, ndlr). Puis c’est Nicolas (Navarro, son partenaire, ndlr) qui a commencé à préparer le marathon des Jeux Olympiques, puisqu’on alterne, pour qu’il y ait toujours quelqu’un avec Nino. Durant cette période, j’ai fait quelques courses ludiques, comme le semi-marathon du Ventoux et Marvejols-Mende, pour rester actif.
En plus de votre carrière sportive et de votre vie de mère, êtes-vous toujours contrôleur aérien ?
Oui, mais après le titre mondial à Berlin, j’ai changé de plan. Cela me permet de m’entraîner beaucoup plus facilement deux fois par jour. J’ai beaucoup de chance : mon patron me laisse de la liberté quand j’en ai besoin pendant les périodes de pointe. J’aime mon métier, qui est un métier de passion, donc je veux m’y tenir. Mais je ne pouvais pas faire la même chose en travaillant à - plein.
La défense du titre mondial a-t-elle toujours été dans votre esprit pendant cette pause maternité ?
Non, pas du tout ! Je me suis dit que je ne referais pas les 100 km, car c’est un gros investissement en termes de -. Je ne savais pas non plus si mon corps me le permettrait. Aussi, nous savions que la Coupe du monde aurait lieu en 2024, mais nous ne savions pas quand exactement. S’ils avaient été programmés plus tôt dans l’année, je n’y serais pas allé. Nous l’avons découvert fin 2023, donc je savais que cela devenait faisable, si nous pouvions arranger les choses au niveau familial. Je ne voulais pas non plus que cela soit au détriment de Nino, ou que cela gâche les moments passés avec lui. Nous avons tout préparé, réfléchi et, après le marathon français de mars, j’ai réalisé que la porte était ouverte. J’avais réussi à courir entre 130 et 150 km par semaine, et pour les 100 km c’était « juste un peu plus », jusqu’à 200 ou 220 km. Tout était compatible et on a réussi à le faire tous ensemble, c’était parfait.
En seulement trois courses de 100 km, vous remportez une victoire aux championnats de France et deux aux championnats du monde. Vous avez complètement sauté l’étape de la boîte d’apprentissage…
Je pense que la distance me convient. J’ai toujours aimé les courses longues, j’ai toujours fait des marathons au lieu de 10 km. Ce que j’aime, c’est l’aspect mental. Le mien m’aide beaucoup. Quand j’ai une idée en tête, je ne la lâche pas. Sur cette course c’était encore plus vrai : j’ai beaucoup pensé à mon fils, avec l’idée que je devais rentrer en France avec la médaille pour lui. Il n’y avait pas d’autres options. Ce sont aussi des courses dans lesquelles il faut courir avec la tête. Je n’ai aucun problème à faire mes courses sans me laisser entraîner par ce que font les autres filles. Évidemment, en tant que tenant du titre, j’avais un peu de pression, mais je n’en ai pas fait toute une histoire. J’avais déjà connu la victoire une fois, et je me disais que si je n’arrivais pas à revenir sur les filles qui étaient parties plus vite que moi, c’était tout simplement parce qu’elles étaient plus fortes. J’arrive aussi à faire attention, à ne pas m’emballer. À Bangalore, je savais qu’avec la chaleur et l’humidité, il était important de ne pas partir au rythme habituel, sinon on se heurterait à un mur. J’ai fait en sorte de l’éviter.
Êtes-vous accompagné pour travailler sur cet aspect mental de la performance ?
Je n’en ai jamais ressenti le besoin jusqu’à présent. Peut-être que je l’ai en moi depuis que je suis petite. C’est aussi notre vie qui nous façonne. J’ai beaucoup pensé à mon accouchement pendant la course, car ça avait été un peu compliqué. J’ai aussi beaucoup de soutien, de la part de tous mes proches, et je souhaite leur rendre ce soutien.
Vous êtes très entouré de votre famille, votre partenaire court aussi beaucoup et vous êtes très attaché à votre club. Courez-vous toujours seul ?
Bien sûr, et en grande quantité ! Avec deux entraînements par jour, il n’est pas toujours possible de rester en groupe. Je m’en fiche, du moment que je peux courir avec ma musique. J’adore aller courir seule, dans les collines près d’Aix-en-Provence. Je ne regarde pas l’heure, je cours et mes deux heures passent très vite. C’est aussi pour cela que les cours de préparation, même très longs, ne me posent pas beaucoup de problèmes. Le risque, c’est de rester dans sa zone de confort, et c’est pour cela que j’ai souhaité faire des séances avec mon groupe au club, et cela m’a fait progresser. La clé est d’en profiter. J’adore courir, que ce soit avec Nico, en groupe ou seul.
Vous avez couru deux fois entre 7h00 et 7h10. Un - inférieur à 7 heures doit être dans votre esprit…
Pour le moment je n’ai pas cet objectif. Je prends beaucoup de plaisir à la Coupe du Monde, avec le maillot et l’équipe de France. Par rapport à ma forme et aux séances que j’ai faites, si les conditions à Bangalore avaient été différentes, j’aurais commencé en moins de 7 heures. Mais je ne suis pas obsédé par ça. Peut-être que cela viendra plus tard.
Vous êtes double champion du monde. Comme dit le dicton “jamais deux sans trois”…
Ici, tout de suite, c’est sûr, j’ai envie d’y retourner. J’ai aimé la préparation, j’ai aimé la course. Mais il reste deux ans, nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve. J’ai aussi très envie de refaire un marathon et de progresser jusqu’à battre mon record (2h41’28” en 2021, ndlr). Des courses comme Boston et New York me donnent des frissons. Mais ce n’est pas vraiment compatible avec une préparation sur 100km. Défendre le titre est un rêve, mais nous ne savons toujours pas où et quand aura lieu la prochaine Coupe du Monde. Pour l’instant j’ai encore des étoiles devant les yeux, donc je suis partant. On verra en - voulu…
Commentaires recueillis par Etienne Nappey