Lorsque Kayla Tutino a raccroché ses patins en 2019, elle était complètement en paix avec sa décision. À 26 ans, l’attaquante des Canadiens de Montréal sentait qu’elle avait besoin d’un « changement de [sa] vie », et ses premiers pas en tant que coach lui ont rapidement permis de se découvrir une nouvelle passion.
Mais aujourd’hui, c’est le même Tutino qui domine le DIH, le principal championnat italien de hockey féminin. En tant que joueur, oui. Et elle se prépare à participer aux Jeux olympiques de 2026, qui auront lieu dans le pays où sont nés ses grands-parents.
Le décor entourant le Montréalais, lors de l’entrevue virtuelle avec La pressen’est pas exactement celui d’une arène sombre et froide. Le soleil brille à Caldaro, une petite ville du nord de l’Italie. On reconnaît vite les bâtiments jaunes typiques, même si l’architecture rappelle que la région appartenait autrefois à l’Autriche.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que le destin de Kayla Tutino a radicalement changé ces 18 derniers mois. En 2023, alors qu’elle était entraîneure associée des Martlets de l’Université McGill, elle reçoit un appel de Stéphanie Poirier, entraîneure adjointe des Carabins de l’Université de Montréal nouvellement nommée pour diriger l’équipe nationale italienne. . Connaissant les racines de son homologue, Poirier lui a demandé si elle était disponible pour l’accompagner durant l’été à un camp d’évaluation de l’autre côté de l’Atlantique. Proposition acceptée.
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Tutino a ainsi passé plusieurs mois au sein de l’encadrement de la sélection nationale, notamment au Championnat du Monde 1B (3e division), au printemps dernier. Constatant le calibre de l’équipe sous sa direction, et mesurant la réelle perspective de participer aux Jeux Olympiques, elle se met à jongler avec l’idée d’enfiler à nouveau son équipement.
Cela s’est produit tout naturellement, presque organiquement. Je pensais avoir encore les compétences nécessaires. C’était définitivement une décision importante, mais tout le monde m’a soutenu. Cela m’a donné confiance. Et me voici.
Kayla Tutino
Cette mention d’une « grande décision » n’est pas une exagération. Elle possédait déjà un passeport italien puisque sa mère et ses quatre grands-parents sont nés dans le pays de Dante. Et elle maîtrisait déjà la langue. Cependant, selon les règles de la Fédération internationale de hockey sur glace (FIHG), elle devait jouer au moins une saison en Italie et être membre de la fédération nationale depuis au moins huit mois avant de pouvoir défendre les verts, blancs et rouges.
Le 9 octobre, elle s’installe à Caldaro, dans la région du Tyrol du Sud, pour rejoindre les Egna Lakers. A la fin de la campagne, elle sera membre à part entière de l’équipe nationale et pourra participer au prochain Championnat du Monde.
“Ce n’était pas une décision facile”, répète-t-elle. On le comprend, puisqu’elle a démissionné de son emploi à McGill et vit maintenant loin de son conjoint, qui demeure à Montréal. « Cela ne fait que cinq mois dans ma vie », ajoute-t-elle cependant.
Deux facteurs ont pesé lourdement dans la balance. D’une part, son « attachement » à la culture de ses parents et grands-parents. “Je veux les rendre fiers”, a-t-elle déclaré.
De l’autre, cette occasion unique de vivre le rêve olympique. Même si elle a joué dans les échelons supérieurs du hockey féminin nord-américain dans les années 2010, dans la NCAA et dans la défunte Ligue canadienne, elle n’a jamais été dans le giron de Hockey Canada. La perspective d’accéder aux JO, au début de la trentaine, représentait donc, à ses yeux, une opportunité « unique dans une vie ».
Il fallait que j’essaye, pour ne pas avoir de regrets.
Kayla Tutino
La « chimie » développée avec les joueuses ainsi que les encouragements de son entourage ont fini par la convaincre. « Personne ne m’a dit de ne pas le faire ! » »
Entraînement
Mais pour atteindre son objectif, elle devait littéralement redevenir une joueuse, au sens athlétique du terme.
Ce n’est pas comme si elle partait de zéro. Elle a toujours continué à jouer dans des ligues récréatives de la ville et, grâce à son travail, elle chaussait des patins et manipulait des rondelles quotidiennement. En ce sens, on peut immédiatement gommer l’image de Rocky qui se lève avant l’aube pour aller courir dans les rues froides de la ville.
Au cours de l’été dernier, elle s’est jointe au groupe d’entraînement du Centre 21.02, à l’Auditorium de Verdun, avec des joueurs professionnels de la région, dont ceux de la Victoire de Montréal.
Sur la glace, elle a notamment retrouvé Marie-Philip Poulin, qui avait été sa coéquipière à l’Université de Boston alors avec les Canadiens.
«C’est une travailleuse acharnée», a témoigné Poulin il y a quelques jours, après une séance d’entraînement Victoire. Elle voit bien le jeu, elle est très rapide… »
Sa persévérance et son éthique de travail n’ont pas changé. Vous voulez un joueur comme ça dans une équipe. C’est vraiment cool de la voir revenir.
Marie-Philippe Poulin
Surtout, «du début à la fin de l’été, elle s’est améliorée à chaque entraînement», a relevé la Beauceronne.
Entraîneur des gardiens de la sélection italienne, Karel St-Laurent vante l’impact immédiat que Tutino a eu sur ses nouveaux coéquipiers.
“On ne peut pas avoir un meilleur exemple à l’entraînement”, a-t-il déclaré. Lorsqu’elles la voient sur la glace, les filles comprennent ce qu’il faut faire. Elle a toujours la pédale au sol. »
La principale concernée souligne de son côté qu’elle a évidemment dû faire un petit rattrapage sur le plan physique, mais surtout mentalement, pour retrouver l’état d’esprit d’une joueuse d’élite. Les combats en tête-à-tête et le niveau de compétition lui ont confirmé dans quel genre d’aventure elle s’embarquait.
« Je me suis dit : si je le fais, il faut que ce soit à 100 %. Une des choses qui distinguent ces joueurs [professionnelles] pour d’autres, c’est la discipline. J’ai pris soin de moi et j’ai tout donné au gymnase. […] C’était plus difficile les trois premières semaines ; J’ai dû franchir un certain seuil. Quand cela s’est produit, j’ai eu l’impression d’être de retour là où je devais être. »
Fierté
Pas besoin d’un long bilan pour comprendre toute la passion qui anime Kayla Tutino. Le défi qu’elle s’était fixé était imposant, mais elle l’a relevé à bras le corps.
« Le hockey, c’est ma vie », dit-elle. Et on ne sait jamais où cela nous mènera. Je suis vraiment reconnaissant. Je n’avais pas le choix de bouger pour jouer, mais je veux en profiter au maximum et m’amuser. »
Jusqu’à présent, je l’adore. […] Je me sens le bienvenu, c’est vraiment amusant.
Kayla Tutino
Cela dit, le calibre de la ligue italienne est loin d’être le plus élevé en Europe, et le Montréalais est le premier à en être conscient. Avec tout le respect que je vous dois, le fait qu’une attaquante sortie de sa retraite il y a six mois ait accumulé trois points par match en dit probablement plus sur le circuit que sur la joueuse elle-même.
Tutino ne s’en offusque pas et souligne que la fédération italienne ne compte que quelques centaines de joueurs, tous âges confondus – 487 selon la FIHG. Pour compléter sa préparation, elle s’entraîne également avec des clubs masculins et a même disputé quelques matches avec une équipe U19. «Même s’il y a des revers, je m’adapte», dit-elle.
Ses attentes doivent aussi être réalistes avec la sélection nationale. Malgré l’ajout de joueuses comme elle ou Laura Fortino, double médaillée olympique avec l’équipe canadienne, il est pratiquement impensable d’aspirer à lutter à armes égales avec des puissances comme le Canada ou les États-Unis. L’Italie est automatiquement qualifiée pour le tournoi en tant que pays hôte, mais reste classée 19e.e rang mondial.
« Notre objectif est de présenter un produit honnête et de donner notre 100 », résume sobrement Kayla Tutino. Les filles sont très fières, et c’est cette fierté qui les anime. Nous n’allons pas trop penser aux statistiques. La seule chose que nous pouvons contrôler, c’est de nous rassembler, de travailler ensemble et de créer une alchimie. Nous verrons où cela nous mène. »
Et à titre personnel ? « Avec un casque et des gants bleus, avec le drapeau italien, je n’ai besoin de rien d’autre pour me motiver. »