Au tribunal correctionnel de Paris,
Cela faisait trois jours que son ombre planait sur le procès de l’affaire Pogba, son nom était sur toutes les lèvres sans que le son de sa voix ne soit encore entendu. Tapi dans la boîte vitrée dans un coin de la salle, accompagné d’une escorte policière lorsque le reste de la bande des Fox a pris place sur un banc parmi le public et les magistrats, Roushdane K. a enfin vu son heure venir.
Personnage clé de cette affaire d’extorsion, son profil se démarque des autres prévenus. Plus âgé, Roushdane dit « Le Rouge », affiche surtout un CV judiciaire sans commune mesure avec les amis proches de Pogba, pour la plupart inconnus du bataillon des autorités. Condamné (entre autres) à dix ans de prison pour tentative de meurtre en 2006, ce Béninois a déjà passé quinze ans de sa vie derrière les barreaux.
Décrit par tout le monde comme « le grand frère » de la ville de La Renardière, celui qu’on respecte et écoute, Roushdane se présente comme une sorte de médiateur avec la bande Pogba lorsqu’il y a des petits différends à régler. Pas de la même génération que le reste du groupe, « c’est très rare que je traîne avec eux », confie-t-il. “Je les ai tous vus grandir grâce à mon frère (Machikour K., également au banc des accusés).”
Roushdane a une mémoire défaillante
C’est justement ce qu’interrogent les magistrats, qui se demandent ce qu’il faisait avec la bande dans la nuit du 19 au 20 mars 2022, pour ce qu’il qualifie lui-même de « soirée entre amis », la soirée où Pogba s’est fait braquer. Lourdement soupçonné d’être le cerveau de l’opération, qu’il ait organisée ou financée, Roushdane s’efforcera de s’exprimer le moins possible devant le tribunal. Ses réponses sont évasives, quand elles existent, choisissant la plupart du temps de garder le silence.
Entre sa première audition devant la police et celle de jeudi devant le Président, il n’a cessé de changer sa version du déroulement de la soirée. Il ne se souvient plus si c’est lui qui était au volant pour conduire Pogba jusqu’à l’appartement de Montévrain, ni comment il s’est retrouvé avec la bande ce soir-là. On comprend vaguement qu’il avait un projet d’affaires à proposer à Pogba, alors qu’il se piquait auparavant de ne pas être du genre à mendier n’importe quoi auprès du joueur. Mais ce n’est pas pour lui, c’est pour ses connaissances.
« Lesquels ? » Quelle est cette connaissance ? », demande le Président. « Des connaissances, des gens que je connais », répond-il laconiquement. Les trois heures d’interrogatoire seront du même acabit. Désigné par tous comme celui qui a ordonné à tout le monde d’éteindre son téléphone, de « se taire », il refuse d’être vu comme le donneur d’ordre ou « le méchant de l’histoire ». Lui aussi est « une victime », jure-t-il la main sur le cœur.
Complice ou victime ?
Quant à ce qui s’est passé ou à ce qu’il s’est dit une fois qu’il a ouvert la porte aux voleurs, sa mémoire faiblit à nouveau. Quand il ne s’agit pas d’un refus catégorique de décrire le braquage : « Je ne parle pas de ça. » Sous la pression du court, il finit par se jeter à l’eau (à reculons). “J’essayais de trouver une solution pour nous sortir de là, je n’écoutais pas ce que les deux hommes demandaient à Pogba”, rembobine-t-il.
Il prendra quand même l’initiative de se porter garant du joueur, s’assurant qu’il finira par payer. Et le procureur lui a demandé : « mais comment pouvez-vous garantir ? Vous aviez 42 centimes sur votre compte courant et étiez endetté de 25 000 euros ? « . Encore une fois, silence radio. Un point tout de même éminemment intéressant, alors que tout le monde se demande comment les braqueurs ont réussi à connaître l’adresse de l’appartement et les codes d’accès à l’immeuble, il déclare les avoir envoyés par SMS à ces fameuses connaissances au cours du trajet.
Y aurait-il un lien de cause à effet entre les deux ? «Peut-être que c’était eux et qu’ils m’ont piégé», songea-t-il, sans paraître plus bouleversé que cela par les conséquences de son acte. Alors que Pogba répétait aux enquêteurs que Roushdane semblait très complice avec le mystérieux commando armé, échangeant des sourires avec lui, il rétorquait que l’ancien Mancunien disait des bêtises. D’un bout à l’autre de l’après-midi, « Le Rouge » tient à répéter qu’il est une victime, qu’il craint des représailles.
Hé, voici à nouveau Paul Bismuth !
Abattu par balle le 10 août 2022 dans des conditions tout aussi étranges, il l’a brandi tout au long de son interrogatoire pour qu’on cesse de le soupçonner. Malheureusement, la vidéo de la fusillade, que ses agresseurs lui ont ensuite envoyée, a été accidentellement supprimée. Il faut croire qu’il s’agit d’une manie pour lui, puisque l’enquête a montré qu’il avait systématiquement supprimé toutes ses conversations sur les messageries cryptées qu’il utilisait, ainsi que son historique d’appels.
Durant les semaines qui ont suivi les événements, il a utilisé pas moins de neuf lignes téléphoniques achetées sous de faux noms. Une sorte de Paul Bismuth à la sauce Rackham Le Rouge, dirons-nous. Pris ensemble, ces innombrables éléments et la manière dont il s’est défendu vendredi ont peu de chance de convaincre le tribunal de son innocence. A voir la réaction de Mathias Pogba tout au long de l’interrogatoire de Roushdane K., la tête dans les mains ou les yeux écarquillés, il semblerait que lui non plus ne soit pas vraiment convaincu.
Le frère du champion du monde en dira peut-être plus à ce sujet lors de son audition mardi prochain à la barre. Car s’il est prouvé qu’il n’a pas participé directement ou indirectement à l’enlèvement de son frère, Mathias Pogba a eu l’occasion de s’en prendre à « Roush » dans les semaines qui ont suivi. C’est en effet chez le père de ce dernier, en Normandie, qu’il a enregistré les vidéos accusatrices contre Paul. Le tribunal, dans une dernière et désespérée tentative de comprendre le rôle qu’il a également joué dans cette affaire, va encore une fois se casser les dents.
Il n’en démord pas, il n’y est pour rien, il n’a été guidé dans cette affaire que par l’envie de sortir ses amis du pétrin face à la menace mystérieuse. Une menace qui, depuis la prison de Fresnes où il est actuellement incarcéré, ne cesse de le hanter. « Si je parle, ce sera pire », lâche-t-il. « Mais vous avez peur pendant que vous êtes en prison », demande le procureur. Qu’est-ce qui est pire ? « . Et il conclut, glaçant : « La mort ».