Simba*, 17 ans, debout sur une table dans la cour de la maison Calendal, se lance dans un saut périlleux. Une nouvelle joie de vivre, après une expérience traumatisante de trafiquant de drogue dans les quartiers nord de Marseille. “Je ne vais pas recommencer, je ne veux pas gâcher ma vie”, a-t-il déclaré.
A 14 ans, après une « discussion » avec son oncle qui l’hébergeait à Paris, Simba arrive à Marseille et se met très vite à « vendre de la drogue ».
L’adolescente aux cheveux bouclés et à la moustache qui pousse se souvient d’une période « violente ». « On te crie tout le temps, tu as peur, c’est des problèmes, du stress. Vous perdez la marchandise, nous vous tuons. Vous arrêtez de vendre, on vous tue… ceux qui disent que c’est de l’argent facile ne savent pas ce qu’ils disent.
Ces dernières années, les trafiquants marseillais ont de plus en plus recours à une main d’œuvre très jeune, venue d’autres régions, souvent fragile et plus facilement remplaçable.
Simba fait partie de la cinquantaine de jeunes pris en charge par le foyer Calendal, géré par l’association d’utilité publique Fouque, au centre de Marseille.
La plupart des adolescents placés ici par les services d’aide et de protection de l’enfance ont déjà travaillé pour un réseau de trafic de drogue, un fléau dans la deuxième ville de France.
« Extrêmement endommagé »
Educateur spécialisé, Yves Depieds souligne qu’ils souffrent de « polytoxicomanies fréquentes » : « cela va de fumer un joint à la prise de crack, de cocaïne, d’alcool, de mélanges, de pilules. Et donc les trois quarts, pour s’approvisionner, sont dans les réseaux.»
“Ces enfants sont extrêmement endommagés”, résume Karine Courtaud, directrice du foyer, “par leur enfance, leur histoire familiale et leur vie institutionnelle.” Calendal, c’est un peu « la fin de la course », quand ils étaient « rejetés partout ».
Pour prendre soin d’eux, le directeur applique « la clinique éducative », pour leur permettre de « s’asseoir » : « manger des gâteaux », « apprendre à faire du vélo », puis soigner les addictions.
A côté du soin, l’accueil doit aussi « travailler sur la culpabilité » : « nous sommes responsables devant les magistrats, et nous sommes là pour leur construire un avenir. Mais avant de devenir adultes, ils doivent apprendre à être des enfants », poursuit le réalisateur.
Dans ce grand bâtiment isolé de la rue par de hauts murs, un groupe de trois garçons arrive pour le repas en se déhanchant sur un air de rap. « Là, ils sont cool mais ça peut dégénérer en un quart de seconde », glisse Yves Depieds. A la cafétéria, tout le monde s’assoit, enlève sa casquette, range son téléphone.
Lorsque Simba se balance sur sa chaise, il est immédiatement recadré : « Cela ne me dérange pas, j’aime les règles ici. Dans ma famille, nous ne nous aimons pas beaucoup, donc partager un repas était quelque chose que nous ne faisions pas.
Plus jeune
A ses côtés, Nino*, 16 ans, de petite taille, a commencé dès l’âge de 13-14 ans à « se méfier » d’un deal après le collège. « Comme mes frères, c’est tout », dit-il. «Je savais que j’irais au réseau depuis que je suis petite.»
Des trafiquants de plus en plus jeunes, auxquels les travailleurs sociaux ont dû s’adapter : “Quand j’ai commencé on n’avait pas de délinquance grave avant 16-17 ans, aujourd’hui ça commence à 14 ans, parfois avant.” explique Yves Depieds, en poste depuis plus de 15 ans.
Un rajeunissement corrélé à une violence extrême : la proportion de mineurs impliqués dans le narchomicide ne cesse d’augmenter.
Le foyer n’est pas épargné : après l’arrestation d’un habitant soupçonné d’avoir participé à une exécution, Calendal a été menacé par des membres du réseau, venus récupérer le « cachet » du « contrat ».
« C’est une violence à laquelle je ne pensais pas être confrontée, j’ai dû monter la garde », confie Karine Courtaud, déplorant que l’ASE « manque de moyens » pour faire face à une situation hors de contrôle. Placés, mais pas enfermés, certains « replongent ». “Parfois, ils n’ont pas le choix : j’ai vu des gamins sauter par-dessus le mur pour aller “travailler”, sinon on s’en prend à leur famille, c’est le principe de la mafia.”
«On l’attend»
Même dans les pires moments, le foyer reste aux côtés de ces jeunes « qui ne font plus confiance à personne ». Si l’on est incarcéré, raconte Karine Courtaud, “on va le voir au parloir, on lui dit qu’on l’attend à la sortie”.
Une fois conformes à la loi, certains « se révèlent être des joyaux », renchérit Yves Depieds. “Nous avons eu un délinquant très grave qui est aujourd’hui en CDI, après une formation de boucher, avec un conjoint et un enfant.” C’est l’objectif : que chacun reparte de Calendal avec des papiers en règle, un logement et un emploi.
Kevin*, 18 ans, placé depuis l’âge de 7 ans, se sent prêt à passer son bac. Mais surtout, pour compenser son « manque d’amour », dit-il simplement. Il a appris « à toucher les gens » en écrivant des textes de rap, guidé par Mohamed M’Sa, alias « Boss One », du groupe 3e Œil, un éducateur spécialisé.
« Nous essayons de leur ouvrir des possibilités, explique Mohamed M’Sa, nous nous battons chaque jour pour que ces enfants s’épanouissent et effacent certaines souffrances. »
Ce soir-là, Mohamed emmène Kevin enregistrer dans un studio du centre-ville. D’abord renfermé, bientôt Kevin n’a plus envie de lâcher le micro, laissant couler ses rimes : “une vie entre parenthèses, des rêves à réaliser, on a envie de manger, de boire, et de sortir du béton, ne pas finir dans les dettes”. …».