Si la science continue de progresser dans les enquêtes criminelles, cela ne signifie pas que les meurtres non résolus disparaîtront complètement. Et ces « cold cases » – ces affaires non résolues dans la langue de Molière – continuent de fasciner un public toujours plus large. «Parfois, je les croise dans les salons littéraires en train de jouer aux détectives amateurs», s’amuse Jean-Pierre Machain, auteur de «Crimes et affaires non résolues en Normandie» qui vient de paraître aux éditions Orep. « Ce n’est pas mon cas. Je me contente de revenir sur les affaires qui ont marqué en me concentrant sur les faits, sur les témoignages de l’époque, grâce à un travail de recherche minutieux.
Et si Jean-Pierre Machain s’est intéressé aux affaires pénales normandes, c’est parce qu’il a parfois l’occasion de rencontrer certains de leurs auteurs dans son métier. Car l’écrivain a également été gardien de prison, pendant près de 25 ans, à la prison de Bonne-Nouvelle, située à Rouen (Seine-Maritime). «Je m’intéressais à l’histoire des prisons en général [son premier livre paru en 2019 était consacré à l’histoire de Bonne-Nouvelle, NDLR] et par extension aux criminels incarcérés dans la région, dont certains j’ai pu rencontrer comme Alfred Petit, Nicolas Cocaign qui a tué un compagnon de cellule avant de manger une partie de son poumon, Patrick Henry lorsque j’étais en poste à Caen…” Cette fois-ci, parmi la trentaine d’histoires qu’il raconte, il a choisi d’en sélectionner quinze dont les coupables n’ont jamais été retrouvés.
La plus ancienne remonte à 1913 et a provoqué des troubles dans la région de Caux. Les Bobées, une famille d’agriculteurs, ont été retrouvés criblés de plomb dans leur exploitation de La Remuéue (Seine-Maritime), suscitant la peur dans les campagnes environnantes, les gendarmes n’ayant jamais eu de piste sérieuse permettant d’identifier l’auteur du crime. Seul le fusil a été retrouvé par hasard près de deux ans après les faits, trop tard pour les aider à percer le mystère de ce triple meurtre.
« L’affaire qui m’a probablement le plus marqué ? C’est celui d’Antoinette Lenepveu”, assure l’auteur rouennais. « Mais pas à cause des circonstances de sa mort, même si cette femme a été tuée très violemment à son domicile de la Glacerie dans la Manche en 1983 et que son corps a été décapité. Mais plutôt pour le mystère qui entoure son passé. Car on ne sait rien d’elle de 1929 à 1953. Certaines rumeurs disent qu’il a collaboré pendant la guerre et qu’il se cachait. Une autre qui était une ancienne prostituée qui voulait oublier ce passé. Mais pour les enquêteurs, il s’agit d’un véritable trou noir où pourraient se cacher les motivations de ceux qui l’ont tuée. »
Et bien qu’un homme en costume ait été aperçu par les pompiers près de son domicile au moment présumé du meurtre, il n’a jamais été identifié. Un crime qui restera impuni ? Pas sûr…
Comme l’explique Jean-Pierre Machain, « depuis mai 2023, le dossier est entre les mains de la cellule des affaires non résolues du tribunal de Nanterre ». Dédié au traitement des crimes en série ou non élucidés, ce service a été créé en mars 2022. Et après l’appel des témoins, de nouvelles pistes sont examinées. Quant au corps, il a été exhumé à la recherche de nouveaux indices. « Aujourd’hui, et c’est ce que j’essaie d’illustrer dans mon livre, c’est que les cas non résolus ne sont plus toujours des impasses. Et que la possibilité de découvrir les coupables, même plusieurs années après les faits, existe. Surtout pour les cas les plus récents”, précise-t-il. Avec un espoir presque secret en tête : « Il est possible que certains de mes lecteurs se souviennent d’un détail concernant l’une de ces affaires et apportent un témoignage décisif aux enquêteurs. » Une hypothèse certes improbable, mais qui fournirait alors matière à une série digne des meilleurs thrillers.
« Crimes et affaires non résolues en Normandie », de Jean-Pierre Machain (OREP éditions), 418 pages, 11,90 €.