Né à La Havane, Joel Guillen est aujourd’hui le seul Cubain du Rugby professionnel. Ce rêve, le Biterrois est allé le chercher grâce à sa détermination et son amour du rugby, sport auquel il n’était pas prédestiné.
Si l’on vous présente Joël Guillen, analyste vidéo à l’ASBH, près du Stade Raoul-Barrière, il y a de fortes chances qu’on vous fasse deviner sa nationalité. C’est sûr que vous n’en trouverez pas, car ce pays n’est pas réputé pour le rugby. L’homme souriant à l’accent espagnol devant vous est né sur une île des Caraïbes il y a 29 ans. « Tout le monde me répond : « Que fais-tu au rugby ? Il n’y en a pas à Cuba ! Pourquoi ne fais-tu pas de boxe ou de baseball ?“ Si la planète ovale s’étonne de voir un Cubain, l’inverse est également vrai. “Là-bas, les gens me demandent si c’est du sport avec le casque et les protectionscontinue-t-il. Je leur dis que c’est ça le football américain et je leur explique le rugby. Quand on parle des All Blacks et du haka, les Cubains le savent. Mais très peu savent comment ça marche. Mais ce n’est pas sur son île natale que Joël Guillen découvre le rugby.
Rue Cárcel à La Havane, au 51, au coin de la rue, l’ambassade d’Espagne est un magnifique et imposant bâtiment blanc. Pendant les heures d’ouverture, il y a souvent une file d’attente à l’extérieur. Les Cubains tentent d’obtenir un visa pour émigrer à la recherche d’une vie meilleure, leur pays étant toujours en proie à de graves problèmes économiques et structurels, comme en témoigne la coupure générale d’électricité qui prive les 11 millions d’habitants de l’île. îlot d’électricité, en octobre dernier. Quand le futur Biterrois a six ans, il suit sa famille à Madrid, pour échapper à la situation cubaine, à la dictature et aux problèmes sociaux. « Depuis mon enfance là-bas, je me souviens d’être allé à l’école, mais sans avoir froid.dit-il. Le paysage était différent : quand je suis arrivé dans le centre-ville de Madrid, il n’y avait pas de mer. La mentalité n’est pas la même non plus. À Cuba, malgré les problèmes, nous sommes en paix. C’est très différent des Espagnols mais surtout de vous, les Français, nerveux, sous tension. Depuis le Covid, je n’y suis pas retourné car la situation s’est aggravée : il y a encore moins de ressources, les problèmes alimentaires se sont aggravés… Ce n’est pas le bon moment.»
La révélation lors d’un Bath-London Irish
Durant son enfance dans la capitale espagnole, le natif de La Havane s’y adonne pendant de nombreuses années à des sports populaires, comme le football (il devient fan de l’Atlético Madrid), le handball et le basket-ball. Jusqu’au coup de foudre. « Un jour, à la télé, j’ai vu un match de rugbyil joue à nouveau. C’était super moche ! C’était Bath contre les London Irish. Il y avait je ne sais combien d’attaquants et de mêlées… Aujourd’hui, je connais le rugby, donc je dirais que c’était un match catastrophique. Mais j’ai adoré l’esprit du jeu, le combat, les joueurs qui tombaient et se relevaient, les arbitres qui ne parlaient pas à l’arbitre, le public… J’ai découvert quelque chose de complètement différent et j’avais envie de tester. J’ai cherché une boîte de nuit accessible en métro. J’ai donc intégré le lycée français de Madrid, même si je n’avais aucun lien avec la France. Je ne savais même pas comment dire bonjour !
Ses premiers tacles ont confirmé cette révélation. Installé comme pute, il a vite voulu “transmettre cet amour pour ce sport”. A 17 ans, il commence en parallèle à entraîner les poussins de son club : « C’était une expérience formidable car je m’entendais bien avec eux. J’ai commencé à passer mes journées au club, à jouer et à entraîner. J’ai encadré les juniors puis les cadets. Je trouvais ça intéressant parce que ça se structurait, il fallait étudier le jeu. Quand à 25 ans j’avais les deux genoux abîmés, je me contentais de m’entraîner. J’ai toujours ce regret de ne pas avoir commencé plus jeune, avant 10 ans. dans un pays favorable pour cela. Le rugby n’est pas venu à moi, c’est moi qui suis venu à lui.
Après la jeunesse, la Madrilène d’adoption a dirigé l’équipe féminine du Rugby Liceo Francés puis celle des Complutense Cisneros (2019-2021), en première division. « Il y avait pas mal de joueurs internationaux dans l’équipe. Ils connaissaient bien le rugby, donc c’était un premier défi pour moi en tant qu’entraîneur »il admet. Parallèlement, il était également team manager de la sélection espagnole (2018-2021) : «Je ne pense pas que j’aurai à nouveau ce travail de ma vie maintenantrit le Cubain. Mais j’ai profité de chaque seconde pour aller voir des entraînements, des analyses vidéo, discuter avec les coachs, les préparateurs physiques… J’étais avec la sélection masculine et les U18 hommes du VII. Il y avait Charly Malié, Jon Zabala, Marco Pinto-Ferrer, Guillaume Rouet… »
J’ai vu que ce qui était marginal chez nous, en Espagne, était une religion à Biarritz et à Agen. Je suis tombé amoureux de la France
Si la progression de Joël Guillen se déroulait bien en Espagne, il avait un rêve. « Quand j’étais plus jeune, quand j’étais au lycée français, il demande encore, nous avions des liens avec le SU Agen et le Biarritz Olympique. Nous avons fait des stages dans ces clubs et j’ai découvert le rugby français. J’ai vu que ce qui était marginal dans mon pays, en Espagne, c’était une religion dans ces villes. Les infrastructures, la ferveur, tout a été décuplé. Je suis tombée amoureuse de ce pays et depuis, j’ai toujours eu envie d’y venir ! Et à ce moment-là de ma vie, je voulais vivre du rugby. Mais en Espagne, c’est très difficile… Alors j’ai sauté le pas en France !
Le Cubain ne connaît aucun club et n’a aucun contact. Juste un ami qui vivait à Bordeaux. Direction ensuite la Gironde. Sur place, il s’est rendu en personne auprès des clubs. C’est Floirac qui l’a accueilli, l’endroit où il a eu le plus d’occasions d’apprendre selon lui. Il a pris en charge les Juniors. Son premier apprentissage fut celui de la langue de Molière. “Parfois, je me demandais comment les joueurs pouvaient comprendre ce que je demandais, alors que moi-même je ne savais pas ce que je disais”rigole le Béziersois. Il était associé à l’ancien centre international fidjien Julian Vulakoro. Si la saison se déroulait bien, il aspirait à voir plus haut, ayant déjà dirigé des jeunes en Espagne. “C’était difficile pour moi d’atteindre le plus haut niveau sans avoir de contacts et sans avoir été joueur professionnelanalyse-t-il aujourd’hui. Alors, j’ai regardé le staff des grands clubs et je me suis demandé ce que je pouvais apporter. J’ai repéré le métier d’analyste vidéo. J’ai vu qu’il y avait une formation d’un an à l’Université de Montpellier. J’ai dit pourquoi pas.
Accepté dans cette formation, malgré une trentaine d’élus seulement, il a trouvé son alternance à l’ASBH, aidé par son acolyte de Floirac. A l’issue de cette saison 2022-2023 passée dans l’Hérault, il n’a pas été retenu par le club, les Rouge et Bleus ne disposant que d’un seul poste d’analyste vidéo. Le voici de retour en Espagne, pour exercer son métier au sein de l’équipe nationale de Sevens : « Mais les conditions de travail étaient compliquées, ce n’était pas grave. Je me suis alors dit que je ne pouvais pas quitter la France. Une offre d’Aubenas (Nationale 2) pour devenir analyste vidéo professionnel et responsable des avants des Espoirs tombe à point nommé. La description de poste est idéale, « parce que le coaching est ce que j’aime le plus ! Ma maison, c’était le club ! Le matin j’étais avec les pros, l’après-midi avec les Espoirs. Mais en décembre, l’analyse vidéo de Béziers a quitté son poste. Les Languedociens l’ont rappelé et le voilà de retour dans le club des onze Brennus le 1erest janvier 2024, « au cœur d’une saison incroyable » qui se terminera en demi-finale de D2.
J’aimerais entrer dans l’histoire et devenir le premier entraîneur professionnel de rugby cubain
Dans l’Hérault, Joël Guillen travaille avec Pierre Caillet, un manager convaincu des bienfaits de l’analyse vidéo. Écoutez-le simplement en parler. Cela se traduit également par l’arrivée d’un deuxième homme à ce poste, Thibault Baget, débauché lors de la dernière intersaison de Chambéry mais aussi d’un alternant, Baptiste Grosbois. Le club a également réalisé un investissement pour acquérir l’un des derniers logiciels, Sportcode. « Ce qui est bien avec Joël et Thibault, c’est qu’ils sont analystes vidéo mais aussi coachsexplique le coach de l’ASBH. Ce sont les meilleurs analystes, ils travaillent dur ! Ils sont capables de faire plus. Lorsque vous leur confiez un travail, ils le font avec passion. Ils ne comptent pas leurs heures mais ils le font si vite ! Ce que vous coderiez en deux heures, ils le font en une minute. Ce sont des gens assidus. C’est un travail de plus en plus important. On parle toujours de joueurs recrutés, mais l’arrivée de Thibault pour enrichir le centre vidéo en plus de Joël vaut celle de deux joueurs dans l’avenir du club, à la manière d’être dans les analyses.
L’ancien troisième ligne donne un exemple concret de l’avantage d’avoir des analystes vidéo déjà coachés. “Joël, c’est un relaisdit-il. En début de saison, Baptiste Abescat-Leroy était critiqué sur certains secteurs de jeu. Je n’avais pas l’impression qu’il comprenait. J’ai demandé à Joël, en cachette, de faire un gros plan sur lui et il a préparé le rendez-vous individuel. Il connaît le rugby et il doit presque faire les choses tout seul, car il est compétent. Avec Thibault, ils ont déjà animé des séances en prépa.
Quand Joël Guillen décortique les matchs des Rouge et Bleu, Thibault Baget soigne les adversaires. Mais à l’écoute des Caraïbes, les deux hommes chevauchent souvent leurs travaux. Cette année, le Cubain est également entraîneur au centre de formation. Car le terrain, c’est ce rêve qui l’anime toujours. « J’aimerais entrer dans l’histoire et devenir le premier entraîneur professionnel cubain de rugby »a-t-il conclu. Et ainsi hisser ce drapeau rayé encore plus haut que dans les vestiaires de l’ASBH, où il traîne parfois…Jusqu’à la victoire toujours !
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