Arrivé à Castres en 2022 au milieu de la trentaine et alors qu’il était en perte de vitesse à Toulon, le deuxième ligne fidjien de Castres Leone Nakarawa est redevenu un brillant joueur dans le Tarn. Voici pourquoi.
Il fait partie de cette caste rare de joueurs, ceux pour qui le rugby semble facile, instinctif, inné. Pour être honnête, si Leone Nakarawa était né cycliste italien, on aurait dit de lui qu’il était une « fuoriclasse », un homme absolument doué. Et même s’il faudrait deux cyclistes italiens pour égaler ses 127 kg et que son île natale se situe loin de la douceur de la Toscane, cela n’enlève rien à son talent et au sentiment que les bonnes fées ont regardé dans son berceau pour lui donner ça petit plus qui le rend unique.
Car à 36 ans (il en aura 37 en avril), Leone Nakarawa est toujours un joueur extraordinaire, capable d’évoluer à un niveau stratosphérique lorsque les planètes s’alignent et que la magie opère. Il réussit la quadrature du cercle en étant un joueur hybride, capable de s’affranchir des fonctions de son poste de deuxième ligne tout en se transformant en un attaquant magicien qui n’a pas son pareil pour faire vivre l’équipe. balle après lui. Le « spécial » de Leone est la passe post-contact, le « déchargement » dans la langue de Shakespeare. Peu de personnes sur la planète rugby peuvent se targuer de maîtriser aussi bien que lui cette arme de l’arsenal. Les chiffres le prouvent : lors du dernier exercice, il a été le joueur le plus performant, avec quarante-trois buts pour vingt-cinq matches disputés. Cette saison, il en compte déjà quinze, soit le deuxième meilleur total de la division après neuf matches, juste derrière les Lyonnais Davit Niniashvili et Semi Radradra qui en totalisent seize chacun. Mais les Lyonnais et les Toulonnais ont joué respectivement 580 et 430 minutes, contre seulement 380 pour le géant castrais. “C’est pendant mon séjour à Glasgow que j’ai vraiment développé cette capacité, explique Léone. Gregor Townsend, mon entraîneur à l’époque, ne cessait de me répéter que c’était un bon moyen de battre les défenseurs. Je pense qu’il avait raison. Et puis, il n’y a pas de secret, je reçois beaucoup d’aide de ma hauteur… »
Je l’avoue, c’est surtout pour pouvoir acheter une maison que je suis passé d’une carrière militaire à une vie de rugbyman. Il fallait gagner de l’argent rapidement
En effet, il faut le voir attaquer la ligne avec ses grands compas de double mètre, le ballon tenu souvent dans une seule de ses mains grosses comme des chauves-souris, enroulant ses bras semblables à deux puissants pythons autour du corps de l’adversaire pour le lancer, avec le force du poignet, une passe clé, une de celles qui débloquent une situation et brisent les barrières des défenses les plus aguerries. Cela fait bien longtemps qu’on ne compte plus, dans le Tarn, le nombre de procès qui sont directement imputables à l’un de ses recours collectifs. Nakarawa est bien le roi Leone.
Pourtant, lui, l’enfant de Tavua, ne pensait pas avoir un talent particulier et encore moins une carrière dans le rugby : « J’ai commencé à jouer au ballon quand j’étais à l’école primaire, à Matanaga, dans la région de Vatukoula. Au début, je jouais juste pour m’amuser et parce que le rugby est le sport phare de notre pays, se souvient du colosse. J’ai idolâtré certains joueurs qui ont fait la légende du rugby fidjien comme Vilimoni Delasau, Rupeni Caucaunibuca, Waisale Serevi ou Viliame Satala… »
Prison militaire et or à VII
Il était donc difficile pour nous de ne jamais voir sa grande carcasse se déployer sous nos latitudes. La vie était dure aux Fidji au tournant des années 2000. Il fallait gagner sa vie et Leone Nakarawa, de 2007 à 2013, était avant tout un militaire engagé dans la « Army Green » fidjienne. À l’époque, tout ce qui lui importait était de pouvoir construire une maison pour sa famille. « J’étais soldat avant de partir à Glasgow pour jouer au rugby. Je l’avoue, c’est surtout pour pouvoir acheter une maison que je suis passé d’une carrière militaire à une vie de rugbyman. Je devais gagner de l’argent rapidement et le rugby était le seul moyen pour moi d’y parvenir. Sélectionné pour participer à la Coupe du monde 2011, le colosse fidjien doit démissionner temporairement de l’armée, la Nouvelle-Zélande interdisant l’entrée des soldats fidjiens sur son sol depuis un sombre coup d’État datant de 2006. Deux ans plus tard, lorsque ses performances rattrapent le Aux yeux des recruteurs européens, tout devient compliqué. Leone doit démissionner de l’armée, définitivement, cette fois. Il sera confiné trois semaines dans l’équivalent d’une prison militaire et aura l’obligation d’aider l’équipe de base à remporter un match important pour pouvoir sortir de sa condition de prison ! Plus d’une décennie après son changement de vie, on peut dire que Leone n’avait pas tort. Marre du rugby à sept, qu’il regardait compulsivement à la télévision lorsqu’il était jeune, il touche son Graal en devenant champion olympique de la discipline en 2016, “le meilleur souvenir de ma vie”assure-t-il encore. En parallèle, Leone impressionne à XV. Il parcourt l’Europe, de Glasgow au Racing 92, club avec lequel il recevra le titre de meilleur joueur du Vieux Continent en 2017. Rien que ça.
Pari gagné pour Castres
Sauf qu’en arrivant à Castres en 2022, recruter Leone Nakarawa, joueur de Toulon depuis 2020, est en fait un pari dangereux. Depuis plus d’un an, il est en rupture de stock dans le Var. Le géant fidjien a largement plus de 30 ans et commence à faire son âge, errant sur le port comme une âme perdue, ne participant qu’à dix matchs du RCT toutes compétitions confondues… On dit alors de lui que son temps est révolu et qu’il le fera. ne soyez plus jamais cette deuxième ligne qui électrise les foules. « On ne va pas se mentir : ma période à Toulon n’a pas été la meilleure de ma carrière, réprimander Nakarawa. Je n’ai pas apprécié là-bas et je n’ai pas bien terminé mon aventure. D’ailleurs, en quittant Toulon, je me suis marié et je pensais arrêter le rugby, prendre ma retraite et profiter de ma famille. J’étais en train de planifier ma lune de miel lorsque j’ai reçu un appel du commandant, qui s’est montré intéressé par moi. Au fond de moi, j’ai toujours rêvé de remporter le Top 14 et je pense que Castres est un club capable d’y parvenir… Je n’ai pas hésité longtemps à m’engager… »
Il est à la fois aérien et terrestre, il saute en touche et pousse fort en mêlée. Il n’y a pas vraiment de débat : au sommet de sa forme, il était le meilleur deuxième ligne du monde
Pierre-Henry Broncan, manager du CO au moment de la signature du Fidjien, se souvient de ce pari tenté et largement réussi. “C’est un joueur très atypique, n’ayons pas peur des mots, » demande aussitôt celui qui est désormais le manager de Brive. Leone est un champion olympique de rugby à sept qui évolue deuxième ligne en XV… C’est à dire qu’il cumule les qualités des deux sports. Il a des mains phénoménales, il court vite, il est puissant et il a cette capacité à faire des jeux après lui que très peu d’autres joueurs ont. Il est à la fois aérien et terrestre, il saute en touche mais pousse fort en mêlée. Il n’y a pas vraiment de débat : au sommet de sa forme, il était le meilleur deuxième ligne du monde. Et je pense même qu’il aurait été un fabuleux numéro 8, compte tenu de ses qualités techniques. Mais aucun entraîneur n’ose se priver de son coup de pouce en mêlée fermée. Quand nous l’avons embauché à Castres, nous n’étions sûrs de rien. Il avait raté son déplacement à Toulon et lors de notre premier match amical de pré-saison, il s’est blessé à l’épaule. J’ai eu quelques sueurs froides. Mais j’ai été très vite rassuré. C’est un garçon qui connaît son corps, qui a travaillé seul pour revenir et au final il nous a fait une énorme saison. Comment Castres a-t-il pu relancer la machine fidjienne, qui semblait pourtant bloquée ? « Je pense que Leone est un homme qui travaille sur l’émotion. Au Racing, à Toulon, qui sont des grandes villes, il y avait moins le côté familial que recherche Leone. Castres, c’est tout le contraire. on se sent un peu chez soi dans le Tarn et ça fait toute la différence. C’est un gars qui a besoin de se sentir en confiance pour s’exprimer. Ce que confirme le principal intéressé : « Castres est une ville tranquille qui vit pour son club de rugby. Il n’y a pas grand-chose d’autre à faire que de jouer et de prendre soin de ma famille. C’est très sain.
Mais finalement, lorsqu’il explique pourquoi il semble toujours avoir ses jambes de 20 ans alors qu’il a presque 20 ans à deux reprises, Leone Nakarawa ne se cache pas derrière son mode de vie sain et son caractère travailleur. Très pieux, il pense que sa longévité vient de Dieu. A ce sujet, chacun aura son avis…
C’est LeBron Nakarawa, frérot !
Lorsqu’on interroge Leone sur sa meilleure anecdote de rugbyman, il raconte spontanément cette aventure, qu’il a vécue dans un aéroport coréen, lors d’un transit vers son île natale : “Je faisais la queue dans ce terminal pour faire tamponner mon passeport et je portais un maillot de basket de Cleveland. (une franchise NBA, le championnat nord-américain de basket, NDLR). J’avais laissé pousser ma barbe et je portais un chapeau. J’ai croisé le regard d’un homme, de l’autre côté de la ligne, qui me regardait en souriant. Je pensais qu’il « flirtait » avec quelqu’un derrière moi dans la file, alors je me suis retourné pour voir qui ça pouvait être et… j’étais le dernier ! Il n’y avait personne derrière moi. Une fois mon passeport validé, le type qui me regardait s’est précipité vers moi en riant nerveusement. Il m’a dit : « LeBron ! Puis-je prendre une photo avec vous et obtenir votre autographe s’il vous plaît ? Là, j’ai éclaté de rire et j’ai répondu : “Désolé, mais je ne suis pas LeBron James (star mondiale du basket-ball)Je ne suis qu’un joueur de rugby !
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Né le : 2 avril 1988 à Tavua (Fidji)
Mesures : 2 mètres, 127 kg
Alors: deuxième ligne
Clubs successifs : Glasgow (2013-2016 puis 2020-2021), Racing 92 (2016-2019), Toulon (depuis 2021-2022), Castres (depuis 2022)
Sélections nationales : 65 avec les Fidji (2011) au XV, 44 sélections avec les Fidji (2013) au VII
Palmarès : vainqueur du Pro 12 (2015), vainqueur de la Coupe des Nations du Pacifique (2015, 2016, 2017, 2018), champion olympique à 7 (2019), élu meilleur joueur européen de la saison 2017-2018
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