Brett Robinson, le nouveau président de l’instance suprême World Rugby, n’était pas un joueur de haut niveau, mais un international honnête, occupé par ses études, capitaine d’Oxford et désormais riche de diverses expériences professionnelles.
Brett Robinson s’est donc imposé d’une courte tête (27-25), au deuxième tour de l’élection à la présidence de World Rugby, face à Abdelatif Benazzi, un peu à l’image de ces Wallabies des années 90 qui convertissaient toutes leurs occasions avec une froide rigueur. Robinson a porté le maillot de sélection à seize reprises entre 1996 et 1998, sous l’autorité de Greg Smith puis de Rod McQueen. De plus, Robinson avait battu Benazzi à deux reprises sur le terrain au cours de l’été 1997 avant de le rencontrer dans les salons douillets du siège de World Rugby. Il a également été le premier capitaine des Brumbies, la nouvelle franchise professionnelle de Canberra. Cela lui permet de vivre une finale de Super Rugby perdue de peu en 2000 à domicile face aux Crusaders de Scott Robertson et Andrew Mehrtens (20-19). Brett Robinson est alors entraîné par un certain Eddie Jones. Et on disait que ces Brumbies jouaient un rugby encore plus attractif que celui des Wallabies, même s’ils étaient en plein essor.
Une candidature qui vient de loin
Cette accession au fauteuil de patron du Monde du rugby est-elle une surprise ? Vu de France on serait tenté de dire oui. Les derniers échos étaient bons en faveur de Benazzi, certains observateurs affirmant même que le vote était impossible à perdre. avec cette alliance entre la France et l’Afrique du Sud (Mark Alexander, président de Saru, était le « couple » de Benazzi ; l’Anglais Jonathan Webb était celui de Robinson). Les neuf voix du « troisième homme », l’Italien Andrea Rinaldo, ont donc mal reflété le Franco-Marocain au second tour.
Mais au jeu des pronostics, les votes de l’Irlande, de l’Écosse, du Pays de Galles et du Japon restaient incertains, tout comme ceux de l’Asie. Contrairement à Abelatif Benazzi, Robinson est plutôt favorable au carton rouge de vingt minutes, mais pour le reste les positions des deux « finalistes » divergent plutôt sur des questions purement politiques (la représentativité des petits pays notamment).
J’ai toujours été très clair sur le fait que les finances de nos membres se trouvent à un point critique. Il va falloir trouver des moyens d’y remédier, de développer notre jeu en veillant à ce que nos marchés « cœur de cible » soient en bonne forme.
Une chose est sûre. Dans l’ombre, Robinson avait tissé sa toile et entretenu son réseau. Après tout, il était membre du comité exécutif de World Rugby depuis huit ans. Il a su changer les voix décisives dans la fameuse nuit dernière, celle des négociations les plus sensibles, des promesses et des retours d’ascenseurs. Des pratiques jugées « archaïques » par le perdant, mais inhérentes à tout scrutin fermé. Et cela se produit depuis la nuit des temps. De plus, l’Australien était candidat depuis longtemps, il avait des semaines d’avance sur Abdelatif, déclaré en septembre. Face à un homme méthodique et expérimenté, le désavantage était énorme.
Des études de médecine qui raccourcissent sa carrière
Brett Robinson n’est pas une personnalité tonitruante. Il ne nous a pas laissé une image aussi triomphante que celle de son adversaire. Mais il s’est fait une réputation d’homme de dossiers, de leader travailleur. « J’ai travaillé avec lui lorsque j’étais vice-président de l’institution. C’est un homme sympathique et très calme, très au courant des dossiers. Sa capacité de travail était l’un de ses atouts. Il n’était pas avec la fédération australienne à ce moment-là, car avec eux, ça ne marche pas comme chez nous. Il travaillait plutôt sur des sujets généraux, on ne parlait pas des intérêts particuliers des Wallabies ou des franchises de son pays.
Brett Robinson est clairement une tête bien faite, issu d’un certain rugby australien issu de collèges huppés. Il a fait ses études au Downlands College de Towoomba, un établissement catholique qui a également formé le mythique centre Tim Horan et plus récemment, le pilier Greg Holmes.
Brett Robinson, président de World Rugby
Né le : Né le 24 janvier 1970 à Toowoomba (Queensland, Australie)
Mesures : 1,88 m ; 101 kg.
Alors: Troisième ligne d’aile.
Clubs successifs : Brumbies (1996-2000, 43 matchs).
Sélections nationales : 16 sélections pour l’Australie entre 1996 et 1998.
1er match de sélection : Italie – Australie, à Padoue, le 23 octobre 1996.
Points en sélection : 10 (deux essais).
Ceux qui l’ont vu jouer pensent qu’il aurait pu remporter plus de sélections s’il n’avait pas combiné sa carrière de joueur avec des études de médecine à l’Université du Queensland puis à Oxford. Il fait partie de ceux qui ont « essuyé les plâtres » du rugby professionnel, voulant le pratiquer sans être sûr de pouvoir en vivre. Son séjour en Europe l’a empêché de participer au succès des Brumbies en Super Rugby en 2001 (36 à 6) contre les Sharks. En échange, il a eu le privilège de disputer et de remporter deux Varsity Matches en 2000 (19-16, malgré deux côtes cassées) et 2001, le deuxième comme capitaine lors du premier affrontement sans essai (9-6). On se souvient de cet après-match, où il exprimait à quatre reprises la satisfaction de n’avoir jamais perdu à Twickenham : un nul 15-15 contre l’Angleterre pour un premier de Clive Woodward, puis une nouvelle victoire avec les Wallabies contre les Barbarians en 1997. On se souvient de ses paroles : « Je ne jouerai plus de matchs de haut niveau. Je vais maintenant retourner en Australie pour commencer à travailler.
Le nouveau patron de World Rugby aurait pu devenir chirurgien orthopédiste, spécialiste du genou. Mais il s’oriente rapidement vers l’administration du sport. Il rejoint rapidement la fédération australienne (ARU) où il occupe pendant dix ans le poste de responsable de la haute performance. Il a fait de son mieux pour maximiser les filières de formation, il a également beaucoup investi dans le développement du XV dans la province de Perth, et l’émergence de la Western Force ainsi que l’organisation de la Coupe du monde 2003. Il a également rédigé les premières conventions collectives du rugby australien. Il évolue alors dans une ambiance optimiste et expansionniste, les Wallabies tiennent la distance face aux All Blacks et aux Springboks, Sanzaar rêve d’étendre le Super Rugby à une vingtaine de participants.
Un passage dans les assurances et dans les résidences pour personnes âgées
Puis Brett Robinson a quitté le monde du rugby pour rejoindre AIG, le géant de l’assurance dont les bureaux sont à Sydney. Il retourne ensuite dans le Queensland pour se rapprocher de ses parents âgés et investir dans le secteur des résidences adaptées aux besoins des personnes âgées. Il avait été marqué par la fin de vie inconfortable de son père, atteint de la maladie de Parkinson et décédé à 81 ans. C’est ainsi qu’il devient le patron de RetireAustralia. « Mon père était un homme brillant, avocat puis vigneron en fin de carrière. Mais il a développé la maladie de Parkinson et finalement, il a fallu arriver à prendre soin de lui. Il a été bien soigné, mais c’était en milieu hospitalier et il a fini par perdre le contrôle et même l’appétit de vivre. Le système ne lui a pas donné le chemin qu’il méritait, si je peux changer cela pour d’autres, j’en serais très fier. .» C’est donc fort de toutes ces expériences que Brett Robinson est revenu sur la planète ovale il y a huit ans pour quelques travaux d’ombre.
Son élection a été décrite comme celle d’une certaine continuité, d’un « statu quo », d’une « inertie » peut-on lire, à contre-courant du discours d’Abelatif Benazzi, souhaitant ouvrir World Rugby aux pays émergents. Brett Robinson était soutenu par l’Angleterre, la Nouvelle-Zélande et bien sûr l’Australie. Il était présenté comme l’héritier naturel de Bill Beaumont, garant d’un certain contrôle anglo-saxon sur le jeu. Mais de là à en faire un modèle de conservatisme, il y a une limite que nous ne franchirons pas, déjà parce qu’il est le premier président élu de l’hémisphère sud (aussi surprenant que cela puisse paraître), et ensuite parce que son discours n’est pas un manifeste réactionnaire. Il s’est félicité de l’impact du rugby olympique et du développement du rugby féminin. “Il est conscient des enjeux, il faut trouver des revenus complémentaires, il faut aussi rendre le jeu plus lisible et le simplifier”, poursuit Bernard Laporte. Les propositions de Brett Robinson sont très claires : “Il n’y a pas assez de moments où le ballon bouge, trop de coups de pied sans beaucoup de direction, on ne privilégie pas assez l’attaque.” La dernière Coupe du Monde en France a été fantastique, mais certaines des tendances qui ont émergé ont été frustrantes. En mars dernier, nous avons réuni tous les joueurs du rugby pour partager avec eux des données qui revenaient des supporters : ils en avaient assez des échanges de coups de pied interminables. Ils voulaient que les équipes mettent en valeur le mouvement. Et nous voulions faire en sorte que les moments où le jeu s’arrêtait soient moins fréquents. Depuis les derniers changements introduits, le temps de jeu du ballon a augmenté de trois minutes.
Les puristes verront en lui un véritable « Sudiste », un Australien influencé et concurrencé par le rugby à XV, peu sensible aux charmes de la mêlée et à l’occupation tactique du rugby. Dans tous ses propos transparaît la volonté de faire d’une pierre deux coups : promouvoir un rugby spectaculaire pour attirer les investisseurs et remplir des caisses de plus en plus creuses : « J’ai toujours été très clair sur le fait que les finances de nos membres se trouvent à un point critique. Nous devrons trouver des moyens d’y remédier, de développer notre jeu en veillant à ce que nos marchés « cœurs cibles » sont dans une bonne dynamique. Le rugby dont il hérite n’est pas une corne d’abondance. Il le sait et cette fois, il ne compte pas gérer la fin de vie, mais il espère une renaissance.
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