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« Jouer contre Toulon, c’est un crève-cœur à chaque fois »

Interviewé à la Foire internationale de Montpellier sur le stand Midi Libre qui y fêtait ses 80 ans, le directeur du MHR rugby Bernard Laporte s’est longuement exprimé sur la situation de son club : staff, recrutement, avenir, et surtout formation, « Bernie » n’a pas éviter n’importe quel sujet. Il a également raconté ses meilleurs souvenirs de son passage à Toulouse et a réagi à l’annonce des élections présidentielles de la FFR, taclant au passage l’actuel président Florian Grill.

Que pensez-vous du début de saison du MHR ?

L’équipe est en reconstruction et est aujourd’hui dirigée par un staff jeune dont les membres ont, pour la plupart, porté le maillot de Montpellier. Ce staff a donc une véritable identité montpelliéraine, comme le souhaitait le président. C’est une saison chaotique, mais j’en profite pour remercier Patrice Collazo, Vincent Etcheto et Christian Labit, car ce sont eux qui ont sauvé le club, maintenant nous sommes de retour sur un nouveau projet. Beaucoup de joueurs sont partis, autant sont arrivés et il faut remettre la mécanique sur les rails. Aujourd’hui, nous manquons de points, nous aurions dû gagner à l’extérieur comme à Bayonne ou au Stade Français mais sur ces deux matches nous n’avons joué qu’une mi-temps. Et puis c’est difficile à domicile, avec déjà deux défaites et cette victoire contre Vannes dont on a eu du mal à se débarrasser.

Cette équipe montpelliéraine a souvent été critiquée pour son manque d’identité et pour avoir embauché des techniciens ou des joueurs étrangers. Dans quelle mesure était-il important de s’appuyer sur ce ciment montpelliérain ?

C’est vrai, ce club a souvent été dirigé par des entraîneurs qui n’étaient pas d’ici. Là, ce staff portait le maillot du MHR, et ils connaissent le club. C’est une bonne solution mais il faut leur laisser le temps de travailler. Le seul indicateur est le terrain. Mais encore une fois je veux leur laisser du temps car ça marche bien. Malheureusement, le temps presse. En Top 14, il y a des descentes. Et hormis quatre équipes qui sont en tête, le reste du championnat est plutôt homogène.

Bernard Laporte a fait une partie de sa carrière au Stade français de 1995 à 1999
Icon Sport – Baptiste Fernandez

Quels axes de progrès avez-vous identifiés ?

Nous devons être meilleurs dans notre camp. Souvent, on marque et puis on reprend des points. Il faut sortir de notre camp, à pied ou à main. Cela ne sert à rien de marquer si vous faites une erreur derrière. Nous devons être très concentrés. Pour être une grande équipe, il faut une très bonne défense et une grande discipline. Je cite le cas du Stade Français l’an dernier avec la onzième attaque du Top 14 mais qui est passé tout près d’atteindre la finale.

Vous avez souvent été à la tête d’équipes victorieuses ou dominantes, comment vivez-vous le fait d’être à la tête d’une équipe en difficulté ?

Je le vis avec passion. Dans une équipe, que ce soit entre le staff et les joueurs, il doit y avoir de la passion et de l’entraide. Je ne suis pas masochiste hein, quand on est en difficulté on a l’impression qu’on compte plus que quand ça va bien. Je ne m’entraîne plus, je ne suis plus assez vieux. J’adorerais, mais il me faudrait une semaine pour m’en remettre ! J’essaie donc de construire avec eux, et surtout de faire en sorte qu’ils ne se démoralisent pas. Comme je leur ai dit, ce rôle n’est pas facile. J’ai eu la chance de gagner beaucoup, mais j’ai aussi beaucoup perdu. Et on oublie tout ça ! Quand on prend quarante points contre les All Blacks à Lyon, je peux vous dire qu’on a juste envie de rentrer à l’hôtel et de boire deux ou trois whiskies pour oublier ! J’ai eu leur passion et je les comprends, mais il faut du sang-froid. J’en ai parfois manqué dans ma carrière, mais aujourd’hui je le sais : ça ne sert à rien de s’énerver.

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Comment constituer une équipe compétitive ?

Il faut faire venir de grands joueurs, bien les choisir, les faire jouer ensemble. Il n’y a pas de grande équipe sans grands joueurs. Ce qui est aussi très important, c’est d’avoir un centre de formation de très haut niveau. La Ligue nous impose des contraintes qui sont nécessaires avec le Jiff et le plafond salarial. Cela donne encore plus d’importance à la formation. Les trois équipes qui dominent le championnat, Toulouse, La Rochelle et Bordeaux-Bègles, sont trois immenses centres de formation. Pour avoir des saisons complètes, il faut cinquante joueurs. Les jeunes doivent agir immédiatement. Ici à Montpellier, on a relancé la machine il y a quatre mois avec l’arrivée de Jo (Caudullo, NDLR.) mais cela prendra du temps. Cela fait dix ans que le club n’a plus rien gagné dans les catégories jeunes, et nous n’avons sorti que cinq internationaux en dix ans. Ce n’est pas possible. C’est un travail énorme, il faut labourer. Nous souhaitons également étendre notre bassin autour de Montpellier, et notamment vers le bassin de Nîmes. Nîmes est un club qui fonctionne très bien et il faut l’aider à monter en National pour pouvoir échanger des joueurs. Nous n’avons pas peur de lancer des jeunes : Lenni Nouchi n’a que 20 ans et nous lui avons confié le capitanat ! Le problème, c’est qu’il faut que ces jeunes soient prêts. Et c’est bien trop rarement le cas.

Votre discours sur la formation contraste avec la politique de recrutement que vous avez souvent mise en œuvre, à savoir le recrutement de stars. Envie de faire un Toulon bis à Montpellier ?

Quand je dis qu’il faut faire venir des stars, ce n’est pas de manière flamboyante… A Montpellier, l’offre sportive de haut niveau est tellement énorme qu’il faut faire un choix. Résultat, nous avons moins de monde qu’ailleurs. Ce n’est pas péjoratif, j’ai joué devant sept personnes au Stade Français ! Et avec Max Guazzini, nous avons touché 80 000 personnes ! Je pense que Montpellier est plus proche du Stade Français que Toulon. A Paris, il y a des milliers d’autres choses à faire que d’aller voir du rugby. Le président voulait un staff montpelliérain et je pense que les gens peuvent désormais s’identifier à cette équipe, mais encore une fois il faut avoir un très grand centre de formation.

Un très bon rugbyman ne pénalise pas les 14 autres

Vous avez treize joueurs en fin de contrat, est-ce problématique ?

Non du tout. Certains resteront, d’autres partiront, c’est comme ça dans tous les clubs. Ce n’est pas une contrainte. La contrainte, c’est de gagner des matchs.

Quel débriefing avez-vous fait de la rencontre contre le RCV ?

Quand on mène 10-0, on n’a pas le droit à l’erreur sur la saisine suivante. Cela change tout le cours du match. Cela demande de la gestion, de la discipline. Un très bon rugbyman ne pénalise pas les 14 autres. La semaine dernière, un de nos joueurs a coûté trois fautes : je lui ai demandé ce qui se passerait si 23 joueurs pensaient avoir le droit de commettre trois fautes chacun : cela ferait 69 fautes ! Ce n’est pas possible. C’est aussi pour ça que Vannes nous a posé beaucoup de problèmes. Mais je reste persuadé que ce match, l’année dernière à la même époque, on l’aurait perdu.

Qu’est-ce qui vous rend optimiste ?

Je sens que ça marche bien, qu’il y a une âme, un esprit de corps plus fort que l’année dernière, où l’équipe était traumatisée. Il a été très difficile de les remobiliser. Il y a eu des clans, et même des affrontements entre eux lors d’un stage en Corse. Il n’y avait ni confiance, ni unité. Cette année, je ressens plus d’unité et d’enthousiasme.

Un jour, j’ai dit à Bakkies dans le vestiaire qu’il était le plus grand joueur que j’aie jamais entraîné.

Un déplacement important à Toulon approche, comment abordez-vous ce match ?

Nous n’avons plus besoin de faire de calculs. Tous les matchs sont importants. Ensuite, nous recevrons La Rochelle et nous irons à Castres. Nous devons tout jouer à fond. Les joueurs ont bien réagi après le match contre Vannes. Nous devons continuer nos bonnes performances à l’extérieur.

On imagine que ce voyage à Toulon rappellera de bons souvenirs…

Jouer contre Toulon, c’est à chaque fois un crève-cœur. Toulon, c’est beaucoup de souvenirs, beaucoup d’amis, beaucoup de joueurs avec qui je suis encore en contact et qui ne sont plus là. Toulon est une ville où le rugby est une religion. J’ai vécu les deux extrêmes avec le Stade Français, et j’ai adoré les deux extrêmes.

Êtes-vous toujours en contact avec Bakkies Botha ?

Bien sûr. Nous nous sommes vus l’année dernière, lors de l’inauguration du RCT Hall of Fame. C’est difficile de décrire ce qui s’est passé avec ses joueurs. Ils m’ont dit que j’étais le meilleur entraîneur du monde et je leur ai dit qu’ils étaient les meilleurs joueurs du monde. Il y a eu un sentiment qui s’est passé entre nous. J’étais dur avec eux, mais je les appréciais aussi. Quand on entraîne de grands joueurs, on ne peut pas toujours être dur. Un jour, j’ai dit à Bakkies dans le vestiaire qu’il était le plus grand joueur que j’aie jamais entraîné. Et je pense qu’il voulait me montrer que je n’avais pas tort. Au-delà du fait que ces gars étaient des stars, c’était avant tout qu’ils voulaient tout gagner, tout renverser. Pour tout chambouler. Mais vous devez choisir ces gars avec soin. Il faut les rencontrer avant de les signer, il faut les ressentir. Nous ne pouvons pas recruter sur cassettes. Je me souviens du recrutement de Bryan Habana. Je suis allé le voir à Londres, en marge d’un match des Springboks. J’ai passé trois heures avec lui et à mon retour j’ai dit à Mourad (Boudjellal, NDLR) : « Signez-le très vite. » Il connaissait le RCT mieux que moi ! Et quand je lui ai demandé pourquoi il voulait venir à Toulon, voici ce qu’il m’a répondu : « Il y a deux choses. Tout d’abord, je veux vivre l’expérience de descendre du bus avec tous les supporters. Et la seconde est que je veux jouer avec Jonny Wilkinson. »C’est fabuleux. Ces gars n’étaient pas des mercenaires. Ils étaient là pour tout gagner, pour être les meilleurs. Même à 35 ou 36 ans.

Les choses m’ont frappé, m’ont choqué

Samedi aura lieu l’élection du président de la FFR, quel est votre avis sur les deux candidats ?

J’en suis très loin. Je connais un peu « Codor » car j’ai un peu joué contre lui, et je l’ai rencontré en équipe de . Je ne dirais pas que c’est un ami, mais je l’aime bien et il connaît très bien le rugby. Je ne sais pas qui va gagner. J’ai du mal à comprendre pourquoi les gens sont coincés avec tout ce qui s’est passé cet été. Je pense que si j’avais été président, je serais parti. Chacun fait ce qu’il veut, c’est juste un sentiment. Que celui qui gagnera aide le rugby français à se développer, c’est tout.

L’actualité du rugby français a été très chargée cet été avec des dérapages, des aventures et des drames. Le rugby est-il à un tournant de son histoire ?

Ces moments ont été douloureux. Le plus douloureux est la disparition de ce jeune garçon, Medhi Narjissi. C’est terrible. Je pense à son papa que j’ai un peu connu. J’offre à la famille mon soutien et mes condoléances, mais ce n’est rien. Je pense qu’il a raison de dire : « On dit que le rugby est une grande famille, je n’y crois plus. » Je le comprends. Les choses m’ont frappé, choqué. Des gens qui font la fête, malgré ça, qui pensent aux élections, malgré ça. C’est pourquoi j’ai dit plus tôt que je serais parti. Premièrement, je serais allé en Afrique du Sud avec lui, c’est clair. J’aurais pris l’avion avec lui. C’est le moins que nous puissions faire. Même si vous ne l’avez pas fait, c’est vous le patron. Je me mets à la place de Jalil. Il n’y a rien de pire dans la vie que ça. Les choses me déplaisaient. Alors je le comprends quand il dit qu’il ne croit plus à la grande famille du rugby.

 
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