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« Il faut resserrer la vis, il n’y a pas d’autre choix »

Nous sommes à moins d’un mois des élections, pensez-vous que les affaires (1) qui ont marqué l’été du rugby français en seront la clé ?

Non. D’abord, sur le plan professionnel, les présidents de clubs sont très unis parce qu’ils savent qu’ils ont eux aussi une sorte d’épée de Damoclès sur les épaules. Ensuite, ils nous parlent des problèmes du quotidien et non des événements qui se sont produits.

Même si ce n’est pas un élément déterminant, on ne peut pas nier que ce qui s’est passé à Mendoza puis le drame de Medhi Narjissi a porté préjudice à l’image du rugby français auprès du grand public et de vos partenaires…

C’est une certitude, et je ne vais pas chercher à cacher la vérité. Puisque nous parlons de ces sujets, j’ai d’abord une pensée pour la famille Narjissi et pour Medhi. Mais oui, cela n’a pas fait de bien à l’image du rugby et ce que nous voulons expliquer, c’est que le rugby, ce n’est pas forcément ça. Qu’il y a aussi des écoles de rugby qui font un travail de fou, qu’il y a des bénévoles qui accueillent des gens de toutes origines, qui travaillent en milieu rural et dans les quartiers. Mais oui, le rugby n’échappe pas aux problèmes de la société, il subit les mêmes tourments. Mais le cas Medhi Narjissi, c’est une autre affaire.

Regrettez-vous la manière dont vous avez géré la disparition de Medhi Narjissi et la communication avec ses parents ?

Il est très difficile de trouver la bonne manière de gérer la colère et la douleur d’une famille. Je pensais qu’ils ne voulaient pas me voir. J’ai regretté d’avoir mal compris et je leur ai présenté mes excuses. Ensuite, je n’ai pas pu partir immédiatement en Afrique du Sud. On a mis en place une cellule de crise, il y avait trente mineurs à rapatrier et beaucoup de choses à faire en même temps : les relations avec l’ambassade et le consulat, la cellule psychologique, l’envoi de Jean-Marc Béderède, le DTN adjoint.

Vous avez déclaré que vous n’envisagiez aucune sanction pour Auradou et Jegou s’ils étaient acquittés. Pensez-vous qu’ils ont été suffisamment punis ?

Pour Hugo Auradou et Oscar Jegou, on verra ce que décidera la justice argentine dans cette affaire de viol présumé. S’il y a condamnation, je ne peux pas imaginer qu’il n’y ait pas aussi une sanction. S’ils sont jugés innocents, la question sera donc : faut-il les sanctionner pour cette sortie nocturne ? Ma réflexion de base est que beaucoup de joueurs sont sortis. Melvyn Jaminet n’a pas été sanctionné pour sa sortie mais pour des propos racistes qui sont inacceptables quand on porte le maillot de l’équipe de France. Si je devais sanctionner, il faudrait faire une autre enquête pour identifier tous les joueurs et les membres de l’encadrement qui sont sortis. La vérité, c’est que depuis des années dans le rugby on tolère un certain nombre de choses. Cela s’est produit sous toutes les présidences. Je veux m’occuper de l’avenir. Il faut mettre en place un cadre strict, pour les joueurs comme pour le staff, avec des sanctions financières et sportives.

Il y a eu un cadre. Le capitaine avait dit : « tout le monde rentre ». Il y a une règle qui a été enfreinte.

Je ne sais pas tout de ce qui s’est passé. Plus de trois joueurs sont partis. Les langues se sont déliées. Les caméras de l’hôtel ont montré qu’il y avait des retours tardifs. Je ne trouve pas normal qu’on soit sur le toit en pleine tournée. Je ne veux pas être le mauvais comptable du passé lors d’une soirée festive qui est la énième soirée festive. Le cadre était ce qu’il était à l’époque, c’est-à-dire un cadre basé sur l’autonomie et la responsabilisation. Ça ne marche pas. Il faut que ça change.

« La troisième mi-temps fait partie de notre ADN. Ce que je ne veux pas, ce sont les quatrième et cinquième mi-temps. »

Durant la tournée, l’opposition a pointé du doigt l’absence de tour manager, pour des raisons financières. Comment justifiez-vous l’absence de Raphaël Ibanez qui détient toujours le titre de manager ?

Il y avait d’abord un chef de délégation qui s’appelait Bernard Viviès. Il avait amené Melvyn Jaminet. Cela aurait pu être Raphaël Ibanez. Sa présence n’aurait rien changé. Qu’il faille revoir l’organisation, c’est une certitude. On ne traite les choses correctement qu’en disant la vérité, en établissant les bons diagnostics. Pas en balayant la poussière sous le tapis.

Marcoussis redeviendra-t-il « Marcatraz » ? Quel cadre de vie souhaitez-vous créer ?

Je ne suis pas surveillant de prison. Le rugby doit accepter la troisième mi-temps. C’est dans notre ADN. Ce que je ne veux pas, ce sont les quatrième et cinquième mi-temps. On ne peut pas avoir des nutritionnistes, viser le très haut niveau, être très bien payé et, en même temps, ne pas comprendre qu’on n’est plus dans le rugby amateur. On a le devoir de donner l’exemple aux 360 000 licenciés, aux 60 000 bénévoles qui expliquent aux parents qu’au rugby, on apprend le respect. On ne peut pas vivre de l’argent de partenaires qui sont attentifs aux questions de racisme, de respect des femmes et qui disent, on s’en fiche, on fait la fête. J’ai beaucoup aimé les mots de Didier Lacroix, lors des États généraux, qui disait : il y a 30 ans, certains trouvaient ridicule de vouloir éradiquer la culture de la bagarre dans le rugby. On y est parvenu.

Vous allez donc mettre en place des contrôles contre les drogues mais aussi contre l’alcool ?

Cela fera partie des mesures prises dans le cadre des États généraux où toutes les familles étaient représentées. Il y aura de la sensibilisation, de la prévention, mais aussi des contrôles et des sanctions. Nous sommes en train de préciser le cadre juridique des contrôles dans les clubs, en équipe de France. Fabien Galthié est impliqué là-dedans. Nous avons un devoir d’exemplarité. Ma vision du rugby, c’est qu’on n’est pas seulement responsable du sport, on est aussi responsable des hommes. La cocaïne n’est pas festive. La cocaïne tue.

« Il ne s’agit pas de les infantiliser mais de les responsabiliser »

N’est-il pas contradictoire d’attendre des joueurs qu’ils soient décideurs sur le terrain et de les infantiliser en dehors ?

Il ne s’agit pas de les infantiliser mais de les responsabiliser. Il s’agit qu’ils ouvrent les yeux sur le fait qu’il y a tout un écosystème qui dépend d’eux. J’ai vu l’image écornée du rugby avec toutes les conséquences que cela peut avoir, avec des partenaires, des spectateurs qui se détournent de notre sport. Il faut serrer la vis, il n’y a pas le choix. Nous le ferons sans trembler.

Depuis votre arrivée à la tête de la FFR, vous n’aviez qu’un seul canal de communication : celui d’évoquer la situation financière alarmante de la FFR. Et pourtant, vous aviez conservé Alexandre Martinez, l’ancien trésorier, au sein du comité directeur. Pourquoi ?

Ce n’est pas de la communication. C’est un devoir de vérité. Alexandre Martinez, au lendemain de mon élection, a eu le mérite d’attirer mon attention sur des points délicats. Au congrès de Poitiers, il a exprimé une vision différente des comptes. Malheureusement, les chiffres ne mentent pas. Il a démissionné au lendemain du diagnostic du cabinet KPMG. Cet audit précise que les fonds propres de la Fédération sont de 29 millions d’euros. La trésorerie de la Fédération est de 69 millions d’euros, mais sur cette somme, 49 millions correspondent au fonds d’assurance dédié aux gros blessés. La trésorerie nette est donc de 20 millions d’euros. La Coupe du monde 2023 a perdu 35 millions d’euros. Or, comme nous sommes actionnaires à 55 % du GIE, cela fait 19 millions de pertes. Et un jour, il faudra les payer. Je ne comprends pas comment ce sujet peut être débattu. Les chiffres sont les chiffres. Ne pas dire la vérité aux clubs est coupable. Et je ne parle même pas d’autres dossiers comme Le Coq Sportif qui nous doit 5,3 millions d’euros.

L’opposition proteste contre le fait que vous ayez menacé l’entreprise d’une procédure de liquidation.

C’est surréaliste. Il y a une entreprise qui doit 5,3 millions d’euros à la Fédération et qui ne respecte pas les plans de remboursement de la dette. Faut-il ne rien faire sous prétexte que cela pourrait la mettre en difficulté alors que nous sommes en difficulté ? Quand on est membre du conseil d’administration, sa responsabilité est d’abord de protéger les salariés de la FFR et les clubs. Nous avons donc déposé un acte de liquidation judiciaire. Oui, c’est une pression. Mais c’est une bonne pression. Je suis patron d’une PME, pas un politique. Je gère la FFR avec les moyens qui sont les miens. Ce serait une erreur de gestion de laisser faire cela.

Didier Codorniou vous a également accusé d’être à l’origine des informations de L’Équipe sur les deux enquêtes en cours le concernant en tant que maire de Gruissan. Des commentaires ?

Non. La campagne a toujours été propre de mon côté. Je n’ai jamais attaqué personne. Je ne l’avais pas fait devant Bernard Laporte. Donc soupçonner que je pourrais être derrière ça… Non.

« Nous voulons redresser les finances en trois ans mais nous le ferons sans impacter les clubs et sans plan social »

En raison des affaires, on n’a pas beaucoup parlé de perspectives. Votre projet pour le rugby français est-il autre chose que l’austérité ?

Bien sûr. Je ne suis pas partisan de l’austérité mais d’un développement rationnel. Quand on regarde le rugby français, il y a d’abord une difficulté financière à affronter. Nous voulons redresser les finances en trois ans mais nous le ferons sans impacter les clubs et sans plan social à la Fédération. Ensuite, nous avons une vraie stratégie pour relancer le rugby à la base. Pour cela, nous avons un plan Marshall de 20 millions d’euros. Chaque club peut avoir une enveloppe de 50 000 euros pour améliorer ses installations. Nous avons mis 3 millions d’euros supplémentaires sur les ligues régionales et sur les comités. Nous avons créé huit titres de champions de France sur le rugby territorial. Depuis 15 mois, nous avons réussi à gérer très bien le rugby avec seulement 11 élus sur 40 et seulement 3 ligues sur 13 métropolitaines.

Rugby mondial

Une chance pour Benazzi. Un mois après les élections à la Fédération française, se tiendra l’élection du président de World Rugby. Pendant longtemps, l’Ecossais John Jeffrey était le favori pour succéder à l’Anglais Bill Beaumont. Mais l’ancien troisième ligne a renoncé après avoir échoué à obtenir le soutien de sa fédération. Reste alors trois candidats : l’Australien Brett Robinson, l’Italien Andrea Rinaldo et le Français Abdelatif Benazzi. L’ancien troisième ligne des Bleus a été le dernier à se déclarer mais dans une élection qui s’annonce ouverte, Benazzi a de réelles chances de l’emporter.

Allez-vous consacrer les mêmes moyens au XV de France et au rugby à 7 qui est également devenu une vitrine ?

Nous n’avons pas coupé dans les moyens, si ce n’est que les formations ont lieu à Marcoussis. Nous sommes aussi plus vigilants sur la catégorie des hôtels, nous réservons les avions à l’avance, nous mutualisons les achats. Ce n’est pas un plan d’austérité, c’est une bonne gestion.

(1) Propos racistes de Melvyn Jaminet et mise en examen pour viols présumés d’Hugo Auradou et d’Oscar Jegou lors de la tournée du XV de France en Argentine, disparition de Medhi Narjissi emporté par l’océan près du Cap de Bonne Espérance lors d’une séance de récupération avec l’équipe de France des moins de 18 ans.

 
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