Le choc contre le Leinster, la dynamique actuelle du Stade Rochelais, son année 2024 contrastée, son niveau de performance ou encore ses récents efforts de préparation : le capitaine et numéro 8 du Stade Rochelais évoque tous les enjeux de son actualité. Avec la lucidité et la détermination d’un concurrent déterminé à revenir au sommet.
Comment le capitaine du Stade Rochelais aborde-t-il la rencontre face au Leinster ?
Ce sont les matchs qu’on préfère jouer, vous le savez. De plus, celui-ci intervient après l’élimination en quart de finale à Dublin la saison dernière. Cette fois, nous avons la chance de recevoir. Je tiens à remercier l’EPCR de nous avoir donné l’opportunité de rattraper notre retard.
Vous avez semblé particulièrement abattu après la défaite à Dublin au printemps. Cette élimination a-t-elle laissé des traces ?
Cela m’a marqué à l’époque, oui, mais cela n’a finalement laissé aucune trace. Parce que nous n’étions tout simplement pas prêts à relever ce défi à ce moment-là. Ce n’était clairement pas le cas. Cette rencontre nous a remis les pieds sur terre. D’une certaine manière, cela nous a presque fait du bien.
En revenant sur ce quart de finale quelques semaines plus tard, vous disiez que l’équipe s’était mentie lors de l’avant-match. Pensez-vous que vous avez raison cette fois ?
Au vu de nos derniers matches, non, je ne peux pas dire que nous avons raison. Mais je pense que l’équipe va dans la bonne direction. Je suis convaincu qu’il suffit d’un peu de confiance pour que les automatismes reviennent et que nos intentions et toutes nos opportunités soient récompensées.
Que pouvez-vous nous dire sur la version Leinster 2024-2025 ?
Cette équipe a gardé son côté irlandais qui veut beaucoup garder le ballon mais, depuis l’arrivée de Nienaber, sa défense est devenue plus agressive. Cela donne un mélange assez dangereux. A nous de saisir les opportunités que nous créons et de ne rien leur donner. Il faudra être très précis, très propre et très efficace.
Qu’est-ce qui rend ces rencontres contre le Leinster si spéciales ?
Dans le Monde, il y a Toulouse puis Leinster. Nous allons jouer contre l’une des deux meilleures équipes du monde, à domicile, devant notre public qui, je l’espère, sera en feu. Quand on est compétiteur, quand on aime le rugby, jouer dimanche sur France Télévisions contre un tel adversaire, c’est juste parfait.
Vous venez de dire : « Dans le monde, il y a Toulouse puis Leinster. » Il y a deux ans, vous aviez pour projet de vous installer à leurs côtés, tout en haut…
Oui mais, en l’année 2024, on ne peut pas estimer que nous faisons partie des deux meilleures équipes du monde. Il ne faut pas se mentir. Ce qui est également clair, c’est que nous avons l’ambition d’en faire à nouveau partie. Pour cela, il faut prouver, il faut des actions. Et cela commence ce week-end en montrant notre meilleur visage. C’est un défi pour chacun de nous et pour le collectif.
Ronan O’Gara a insisté samedi dernier, après la victoire très difficile contre Toulouse, sur la nécessité de changer quelque chose pour amener l’équipe à un nouveau niveau. Alors en quoi cette semaine est-elle différente ?
A mes yeux, la première chose à faire est de véhiculer une bonne énergie. Les comportements pendant la semaine déterminent les attitudes le week-end. Cette semaine, je vois beaucoup d’efforts et je trouve qu’il y a une bonne dynamique. Notre mission sera de faire en sorte que tout cela se réalise sur le terrain dimanche.
En parlant d’énergie, nous vous trouvons personnellement plus à l’aise, plus énergique sur le terrain depuis un mois…
Je me sens très bien physiquement, oui. J’ai beaucoup travaillé, beaucoup les « préparations » physiques pendant un mois. Et j’ai l’impression que ça porte ses fruits. Ça me remet dans une bonne dynamique, ça me donne envie de travailler encore plus pour progresser.
Stephan du Toit, responsable de la préparation physique du club, cite votre démarche en exemple à suivre : il met en avant votre assiduité, vos heures supplémentaires les jours de repos… Qu’est-ce qui vous a poussé à redoubler d’efforts ?
Quand on a un petit creux, on peut trouver toutes sortes d’excuses, blâmer les coachs ou autre. Le constat était simple à mes yeux : le seul levier dont je disposais pour influencer le cours des choses était le travail. J’ai dû travailler davantage. Et puis voyez ce qui se passe.
Alors que se passe-t-il ?
J’ai déjà perdu du poids. Deux kilos. Cela peut paraître peu, mais cela me fait du bien. De manière générale, j’ai retrouvé mes standards et de meilleures sensations. La confiance aussi revient. Faire deux ou trois bonnes performances d’affilée, ça faisait du bien à ma tête.
Et cela vous a permis de mieux terminer une année 2024 pour le moins mitigée : il y a eu le capitanat en Bleu mais aussi des déceptions avec La Rochelle, une tournée de novembre moins réussie sur le plan personnel…
C’est vrai qu’il s’est passé beaucoup de choses. Il y a eu plus de négatif que les années précédentes mais c’est comme ça qu’on se construit, qu’on se renforce. Je suis convaincu que c’est une année qui me fera grandir. Si je pouvais avoir des titres chaque année, je signerais, évidemment, mais ce n’est pas le cas. Quand je repense à mon parcours, je dois me dire que cette année a été utile et que j’ai pu en tirer des résultats positifs.
Depuis vos premiers pas chez les pros, votre carrière apparaît comme une irrésistible montée en puissance. Comment avez-vous vécu le renversement de courbe, sur le plan mental ?
Je ne me suis pas posé beaucoup de questions, tu sais. J’étais toujours conscient de mon niveau et de ce qui m’arrivait. La vérité est que je n’ai jamais été au meilleur de ma forme physiquement au cours de la dernière année. Si je n’avais pas pu jouer et n’avais eu ni réponse ni explication, cela aurait été plus inquiétant. Là, il n’y avait aucun doute. J’ai gardé les pieds sur terre et surtout je ne me suis jamais menti. J’en suis fier, d’une certaine manière. Dans cette situation, nous pouvons avoir tendance à nous fermer. Ce n’était pas le cas.
Vous y aviez bien réfléchi, mais pensez-vous que votre pause après la Coupe du Monde soit responsable de cette baisse de performance ?
Cela a joué un rôle, c’est sûr. Physiquement, j’ai mis du temps à retrouver le rythme. Et il y a eu le fait de relâcher d’un coup toute la pression, tout ce que j’avais accumulé depuis des années… Il a fallu aussi du temps pour revenir à ce niveau-là.
Si c’était à refaire…
Je ne regrette pas ma décision mais peut-être que je procéderais différemment. Après, je me dis que je ne me suis toujours pas blessé. Cette pause a sans doute permis de préserver mon corps. Eh bien, cela m’a mis à l’épreuve auprès du public et des médias.
Trouvez-vous que les points de vue et les opinions des gens ont été trop durs à votre égard ?
Non. Nous sommes des personnalités publiques, des personnes exposées. Quand tout va bien, les gens disent du bien de nous. Et nous sommes heureux de lire ces mots. Quand ça va moins bien et que ce qui est dit est justifié, il faut l’accepter de la même manière. J’ai toujours accepté cela. Dans l’ensemble, je trouve que les gens ont été gentils en analysant ma performance. Il n’y avait aucun mensonge, aucune méchanceté ou vulgarité à mon égard.
Le plaisir a-t-il toujours été aussi fort ? Dans une carrière, le plaisir et la motivation peuvent connaître des baisses…
Je n’ai jamais perdu le plaisir. En fait, c’est la chose la plus importante quand on y pense. Le jour où je ne l’aurai plus, je devrai me poser des questions. Mais ce n’est pas encore le cas. Il y a beaucoup de motivation, beaucoup d’envie de performer, de gagner des titres. Quand je réalise que je suis ici depuis déjà sept ans… Ça a passé très vite. J’espère faire encore sept ans. Et dans sept ans, je ne veux pas avoir de regrets parce que j’ai raté quelque chose, parce que je n’ai pas tout donné.
Si l’on regarde vos statistiques sur la saison, vous restez l’un des numéros 8 les plus complets du championnat… Même sans être en pleine possession de vos moyens, vous gardez cette marque de fabrique, paradoxalement…
Quand j’étais petite, à chaque fois que j’entrais dans le domaine, mes parents me demandaient d’en faire le plus possible… Encore aujourd’hui, c’est ce que je m’impose. Dans un match, il faut tout donner et tout donner pour l’équipe, pour le maillot. Après, je le fais plus ou moins bien, selon ma forme physique. Il y a des jours avec et des jours sans. Mais je n’abandonnerai jamais, je n’abandonnerai jamais.
Parmi les statistiques notables, vous semblez avoir retrouvé le goût de la passe après contact. Est-ce une envie de votre part ?
Après avoir mis l’accent sur la défense, je suis revenu un peu vers l’attaque et c’est vrai que j’essaie de jouer plus après moi, de jouer un peu plus les espaces. C’est un secteur qui procure du plaisir supplémentaire. Il ne faut pas forcer les choses mais quand il y a des situations favorables, je dois saisir l’opportunité.
Peut-on dire que vous êtes, comme le Stade Rochelais, en reprise début 2025 ?
Il y a un peu de ça. Mais il y a surtout (il pense)…négligence. Je ne sais pas si c’est le bon mot… Disons que, pour le moment, j’avance sans me soucier de la suite. Je ne me pose aucune question : je travaille dur la semaine et j’essaie de tout lâcher le week-end. Et répétez. Je m’amuse beaucoup en ce moment, alors je me dis que ça marche.
Parmi les premières échéances de l’année, il y a la liste du Tournoi. Compte tenu de votre absence lors du dernier test de la tournée d’automne, abordez-vous ces moments différemment ?
Ces quatre dernières années, j’ai toujours dit qu’il n’y avait aucun joueur titularisé en équipe de France. Et à chaque fois, j’attendais la liste avec beaucoup d’intérêt et d’envie. C’est toujours le cas. En revenant sur la tournée de novembre, je me dis que ça peut paradoxalement me faire du bien. Cela ne réinitialise pas tout mais cela peut lancer une nouvelle dynamique. C’est comme un nouveau défi à relever et ce n’est pas un problème pour moi. J’ai toujours des objectifs élevés, des objectifs à long terme. Même si j’ai du temps devant moi pour les réaliser, je ne veux pas rater trop d’opportunités.
D’autant que la concurrence n’a peut-être jamais été aussi forte en troisième ligne…
Oui, il y a beaucoup plus de profondeur sur le troisième trio qu’à d’autres positions. Et nous en avons d’ailleurs besoin. Quand on voit ce qui est arrivé au pauvre Charles (Ollivan)… Si l’on remonte à la saison précédente, entre l’équipe qui a affronté l’Angleterre en 2020 et l’équipe qui a affronté les Noirs lors du match d’ouverture de la Coupe du monde, il y avait beaucoup de différences. Cette profondeur d’effectif est essentielle. Après, niveau joueurs, on ne peut pas savoir qui sera là à la fin…
Sur le papier, nous approchons de la moitié de cette législature : la Coupe du monde en Australie, c’est déjà dans deux ans…
Ça va vraiment vite. C’est pourquoi nous devons faire tous les sacrifices possibles dès maintenant car nous pouvons nous réveiller un jour et avoir des regrets. Il faut tout donner, sans compter. Nous aurons le temps de profiter et d’écarter les orteils plus tard.
La Coupe du monde 2027, vous y pensez déjà ? Ou est-ce trop loin compte tenu de votre état d’esprit actuel ?
Bien sûr, j’y pense. Je me lève et travaille dur tous les jours pour pouvoir faire partie du groupe qui part en Australie. À long terme, c’est mon objectif principal.