« Antoine, aujourd’hui c’est LE sujet. » Prononcés par Fabien Galthié, ces mots dessinent une évidence. Un constat dont personne à Marcoussis ne se plaindra. Le phénomène a fait une aubaine pour les « communicants » de la fédération la semaine dernière : il leur a évité de devoir se plonger dans le manuel de gestion de crise pour les nuls. Si on a évidemment beaucoup parlé du durcissement du cadre de vie, pour le premier rassemblement du XV de France depuis la pathétique tournée de juillet en Argentine, le retour du demi de mêlée, plus d’un an après sa dernière apparition avec le Une quinzaine de joueurs français ont servi de contre-feu parfait.
Illustration lors de la conférence de presse dédiée à la présentation de la charte interne désormais en vigueur. Aussi chaud soit-il, l’ordre du jour a dévié en moins de cinq minutes avec une question adressée au sélectionneur : était-il évident de (re)confier le capitanat au désormais champion olympique de Rugby à sept, alors qu’il n’a plus joué avec cette équipe depuis le quart-temps ? défaite finale contre l’Afrique du Sud à la Coupe du Monde ?
«Je suppose que cela fait partie du voyage lorsque vous atteignez ce type de notoriété. Il y a une forme de peopolisation du traitement dès qu’il le concerne »
Avant même d’être élu meilleur joueur du monde en 2021, Antoine Dupont avait pris l’habitude de catalyser l’attention. A quelques semaines du début de la Coupe du monde, ses proches parlaient déjà des accessoires – casquettes et autres lunettes de soleil – qu’il devait sortir pour partager des moments simples en public. Sa médaille olympique, la première de la délégation française aux JO de Paris, n’a finalement fait que le pousser à étoffer sa garde-robe…
Personnes
« Les JO ont ouvert la visibilité d’Antoine à des gens qui ne sont pas forcément férus de sport et de rugby en particulier », observe Christophe Quiquandon, fondateur de Bros Agency, société d’image dont Antoine Dupont est également actionnaire : « Mais ce qui me frappe le plus, c’est qu’il y a beaucoup de dissimulation à propos d’Antoine, quoi qu’il fasse.
Après sa publication Instagram, où il fait sa valise avec un maillot des Chargers (la franchise de football américaine de Los Angeles) avant de partir aux USA, ce fut un effusion : entre spéculations, fausses informations, c’était tout et n’importe quoi ! Je suppose que cela fait partie du « voyage » lorsqu’on atteint ce type de notoriété. Il y a une forme de « peopolisation » du traitement dès qu’il le concerne. »
Antoine Dupont ne semble pas avoir été outre-mesuré par cet épisode. Comme les précédents. “Il relativise : pour l’instant, il arrive à se laisser happer par ce côté médiatique, mais sans lâcher aucune énergie, sans s’impliquer émotionnellement”, a témoigné l’ancien deuxième ligne lors du podcast Crunch. l’international Yoann Maestri, qui est aussi son ami : « Il arrive à segmenter tout ça. » Son entourage identifie quand même un risque. « Cela pourrait laisser naître l’idée qu’Antoine pourrait se disperser », s’inquiète Christophe Quiquandon : « C’est ce qui me dérange le plus. Ses vacances ont généré une couverture médiatique qui peut suggérer qu’il fait trop de choses alors qu’il a en réalité fait trois ou quatre mini-activités. »
Vision
Jusqu’à présent, il semble avoir réussi à éviter ce piège. Aiguisée par le travail spécifique qu’il a accompli pour s’adapter aux exigences du rugby à sept, l’aura sportive du capitaine des Bleus est intacte. Conforté même par son triomphe olympique et, plus généralement, une année 2024 haletante, récompensée par un nouveau doublé Top 14 – Champions Cup. « Antoine est le rugbyman français qui a réalisé beaucoup de choses exceptionnelles, estime Fabien Galthié. Comme marquer un triplé en moins de 10 minutes à son retour à la compétition, après deux mois de vacances, en octobre face à Clermont… « Il a une vision devant lui », souffle avec déférence Emilien Gailleton.
« Il est entré dans une autre dimension, mais ce n’est pas un influenceur. Tout vient de ce qu’il fait sur le terrain.
Il entretient au quotidien ce talent qui fait de lui un candidat à une nouvelle distinction individuelle aux World Rugby Awards. “Quand on était ensemble, il s’entraînait comme un fou”, a raconté Yoann Maestri, sur le soutien de “L’Equipe”, après avoir partagé des moments ensemble cet été : “Aux Etats-Unis, il s’entraîne comme un fou aussi. Il prend des photos, on dirait qu’il y passe la journée, mais ça ne fait que 10 ou 15 minutes en fait ! »
Sa préparation, ce qu’il appelle une « routine » dans laquelle la récupération prend une place primordiale, donne le « le » à ses autres activités. « La stratégie de communication d’Antoine n’est pas de développer sa notoriété », insiste Christophe Quiquandon : « Le choix sera la qualité des projets et la combinaison du respect de sa récupération et de sa performance sportive. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous essayons de faire peu. Même s’il existe un décalage entre le nombre de ses interventions et la médiatisation qui lui est consacrée. » Lors de cette tournée, il devrait donc se « contenter » de prendre la parole lors des conférences de presse assignées au capitaine.
Tri sélectif
Hormis le tournage du Téléthon, qui lui a duré une heure à Marcoussis, il a rejeté les sollicitations des médias. Depuis cet été, Antoine Dupont n’a donné suite qu’à une poignée d’entre eux. Il a fait la Une du magazine « Têtu » en juin et Les Rencontres du Papotin sur France 2. Une émission au cours de laquelle il a notamment évoqué pour la première fois les circonstances du décès de son père en janvier 2023. Un sujet sur lequel il ne souhaite cependant pas s’exprimer.
» Il a fait « Têtu » pour faire bouger les lignes sur le rapport à l’homophobie dans le sport en général et le rugby en particulier. Et le Papotin est une expérience unique : c’est lui qui a demandé à participer », explique Christophe Quiquandon. Deux événements seulement. Mais deux séquences qui ont encore stimulé sa notoriété. Antoine Dupont a désormais dépassé le million d’abonnés sur le réseau social Instagram.
Ce chiffre le distingue dans son sport. A une altitude où seuls le Néo-Zélandais Dan Carter et le capitaine des Springboks Siya Kolisi se sont aventurés. « Il est passé dans une autre dimension, mais ce n’est pas un influenceur », tergiverse Christophe Quiquandon : « Sa nature n’est pas qu’on parle de lui toute la journée. Cela va avec la stature qu’il a maintenant. Mais tout vient de ce qu’il fait sur le terrain. » Où le phénomène Dupont continue de prospérer.