Un nouveau défi entre terre et mer pour Jean Imbert. Après le Martinez, le Venice Simplon-Orient-Express ou le Plaza Athénée, le chef ami des stars s’offre une institution vieille de 1 300 ans ! Cette fois, le quadragénaire lauréat du concours « Top Chef » en 2012 ne cherche pas à décrocher des étoiles mais à s’ancrer au pays de son enfance. « Les ingrédients doivent avoir un lien avec le lieu où ils sont consommés », précise celui qui offre sa première grande table au deuxième site le plus visité de France. Pour ce gourmand de projets prestigieux, l’appétit vient du management : il peut compter sur la fidélité de ses équipes. Prochaine étape pour ce globe-trotter du goût, la côte ouest des Etats-Unis !
Paris Match. Vous, le chef des étoiles et du Plaza Athénée, parmi les agneaux des prés-salés du Mont-Saint-Michel… C’est inattendu !
Jean Imbert. Mais vous savez, je ne viens pas spécialement du monde du luxe. Avant d’avoir 900 personnes sous ma responsabilité dans les établissements pour lesquels je travaille, je dirigeais seul mon restaurant. Problèmes de personnel, la moindre ampoule qui casse, le frigo qui tombe en panne la nuit : c’est pour vous ! C’était ma vie pendant dix-sept ans. Ici, au Mont-Saint-Michel, je retrouve ce que je faisais avec ma grand-mère : une cuisine très ancrée dans le lieu, dans une petite maison. Luxe mais authentique ! J’ai toujours été attiré par les marques patrimoniales. Le Venise Simplon-Orient-Express, le Plaza Athénée, le Martinez, la maison Dior ou le Brando en Polynésie ont ce point commun : ils ont une histoire ! Dans le même esprit, le Mont-Saint-Michel, merveille de l’Occident, est le site le plus emblématique de France… après Paris.
Comment êtes-vous entré dans l’aventure Logis Sainte-Catherine ?
Lorsque Valérie Le Guern Gilbert, la patronne de Mauviel avec qui je travaille depuis l’âge de 22 ans, m’a parlé de cet appel d’offres, j’ai immédiatement accepté. Je voulais vraiment un projet qui me recentrerait. Et cet endroit est fou !
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Faites-nous rêver…
C’est une maison typique de ce coin de Normandie, perchée sur le Mont avec un jardin devant, dans une rue piétonne. La famille de Mère Poulard y vivait. Je n’aurais pas aimé reprendre un restaurant existant. Le soir, tout sera éclairé aux chandelles. Nous avons imaginé une brasserie sensible qui a une âme. Au menu, il y aura par exemple de l’araignée de mer en pâté chinois ou des lasagnes aux crustacés. Ce sont mes propres plats, que je prépare pour mes amis bretons et que je n’ai jamais vus à la carte d’autres restaurants.
Est-ce une longue histoire d’amour entre les casseroles Mauviel et vous ?
Le cuivre m’a toujours fait rêver. A 15 ans, j’ai demandé à ma grand-mère mes premières poêles Mauviel. C’est une maison historique et familiale qui possède un véritable ADN culinaire ! Quand j’ai ouvert mon premier restaurant, à 22 ans, je voulais des casseroles en cuivre : j’avais l’impression que cet ustensile ferait de moi un meilleur cuisinier. Dans mon bureau, je gardais la première casserole de ma grand-mère, dans laquelle elle préparait sa béarnaise. J’ai une petite fétichisme pour les objets qui ont une âme ! Valérie Le Guern Gilbert m’a toujours suivi et soutenu.
Le Mont-Saint-Michel n’aurait-il pas aussi pour vous le goût d’une madeleine de Proust ?
Bien sûr ! Nous y allions souvent avec mes parents quand j’étais petite. Notre cabane familiale, à côté du Cap Fréhel, est à une heure de route. A l’époque, nous allions manger chez Mère Poulard. Je me souviens encore du bruit des œufs battus à l’entrée. Je reviendrai m’asseoir là quand je serai là ! Nous ne sommes pas en compétition mais en complémentarité ! Ce serait merveilleux si le Mont-Saint-Michel devenait une destination gastronomique. J’aimerais que nous soyons perçus comme l’un des meilleurs restaurants de la région. Et que les locaux viennent spécialement pour y dîner.
« L’exemple de Michael Jordan m’a tiré vers le haut. C’est fou combien de fois il a perdu et finalement gagné.
Le terroir local vous a particulièrement parlé ?
C’est le répertoire que j’aime cuisiner ! Araignée de mer, poisson de ligne, artichauts, chou-fleur, brocoli. Ici, tout est de saison : fruits, légumes, pêche comme les coquilles Saint-Jacques, les huîtres… Même idée pour l’agneau des prés salés : il n’y en aura pas au menu avant Pâques ! Je ne suis pas soudainement devenu un chef « local » parce que c’était stylé. Pourquoi aller au bout du monde pour trouver quelque chose quand on a de beaux produits d’un gars du coin ?
Vous êtes à la frontière Normandie-Bretagne. Avez-vous respecté la parité de ces deux régions savoureuses ?
Pour la tranquillité du foyer, oui ! Mais y a-t-il une si grande différence entre le homard de Chausey et le homard de Bréhat ? Les coquilles Saint-Jacques de Normandie et celles d’Erquy ? Je pense que vu de loin on a l’impression que c’est la même chose, vu de près c’est un autre débat. [Il rit.]
Quel est le point commun entre vos tables de Los Angeles, Paris, Saint-Barth et le Mont-Saint-Michel ? Y a-t-il une signature Jean Imbert ?
Je ne veux pas de chaînes ou d’un concept disponible partout. Chacun de mes restaurants doit être ancré dans sa « géographie ». Ma méthode, pour chaque personne, c’est de partir du lieu : quel est son ADN ? Par exemple, si l’on prend Saint-Barth, c’est les Caraïbes, l’esprit cabane, le sucré-salé. Ils servent du poulet cuit en croûte de cabosses de chocolat, ou du bar en croûte de sable de la plage de Flamands, du homard, avec des petites ravioles de poivrons végétariens produits sur l’île par Jean-Michel.
Qui sont vos mentors ? Appartenez-vous à une famille de chefs ?
Bien sûr, j’ai beaucoup de respect pour des chefs célèbres, des bâtisseurs comme Michel Guérard, Paul Bocuse ou Alain Ducasse. Mais la seule personne qui m’a vraiment donné envie de devenir chef, c’est ma grand-mère, ma muse ! Et puis, cela peut paraître plus inattendu, mais l’exemple de Michael Jordan m’a vraiment remonté ! J’ai regardé tous ses matchs. C’est fou le nombre de fois qu’il a perdu… seulement pour gagner. Le jour où je l’ai à ma table, je prends ma retraite !
Comment gérer son emploi du temps quand on doit jongler avec des établissements à travers le monde ?
C’est une vie intense avec beaucoup de pression sur les épaules. Prendre l’avion, arriver à 6 heures du matin, repartir vers un autre établissement, c’est devenu mon quotidien. Avoir quinze minutes à perdre, c’est pouvoir répondre à des mails et passer plusieurs appels. Je suis très fier d’être entouré depuis longtemps d’une petite équipe très soudée. Nous avons appris à devenir ultra-efficaces et à décider en deux heures ce qui nous prenait deux mois il y a cinq ans. Zéro superflu !
Ce rythme de 1 000 heures vous laisse-t-il du temps pour votre vie personnelle ?
Je m’organise ! Je suis resté très proche de ma famille et j’essaie de passer au moins deux jours par mois en Bretagne.
« Une de mes plus grandes fiertés : Mamie, le restaurant que j’ai ouvert avec ma grand-mère »
Les chefs sont devenus les chouchous des réseaux sociaux, de la télé… Est-ce que ça fait partie du métier aujourd’hui ?
J’ai émergé avec “Top Chef” et, les premières années, j’ai été le chef le plus suivi au monde sur Instagram. J’ai adoré le côté instantané du support. Aujourd’hui, je pense être l’un des chefs étoilés de France qui publie le moins. L’influenceur n’est pas mon métier. Je souhaite créer des menus et travailler sur de nouveaux restaurants. J’ai besoin de réalité. Et, quand je ne travaille pas, j’ai envie d’être ancré dans la vraie vie : passer du temps avec mes proches, loin de mon travail.
Vingt ans après, quel regard portez-vous sur votre parcours et votre carrière ?
Autant sur le plan personnel j’aurais fait les choses différemment. Mais professionnellement, je ne changerais rien. Pas même mon échec à New York. Une de mes plus grandes fiertés reste Mamie, le restaurant que j’ai ouvert avec ma grand-mère. Même une table sur la Lune ne m’aurait pas procuré des émotions aussi intenses ! J’ai réalisé tous les rêves que j’avais il y a dix ans. Je me challenge désormais sur de nouveaux projets authentiques. Si vous regardez les réseaux sociaux, vous avez l’impression que tout est rose, mais j’ai aussi des périodes de remises en question très profondes.
Quel est le secret pour réaliser vos rêves ?
Ne jamais abandonner. Si vous saviez combien de fois je suis allé voir François Delahaye, le patron du Plaza Athénée, combien de fois il m’a mis dehors avant de me recruter ! [Il rit.] D’autres palaces parisiens connus m’avaient fait des offres, mais je voulais le Plaza ! Même chose pour le Venise-Simplon-Orient-Express. J’ai eu une histoire qui a parlé pour moi, la finale de “Top Chef” qui s’est déroulée à bord du train. Et j’étais ami avec le chef qui y a officié pendant trente-sept ans. Je rêvais de lui succéder.
Quels sont vos prochains défis ?
Mon futur projet sera sur la côte ouest des Etats-Unis. Mais pour le moment, je souhaite me consacrer à des choses qui ne sont pas directement liées à mon travail. Écrivez un livre, bien sûr. J’aimerais réaliser un film un jour. J’ai commencé à écrire un scénario et le début d’un roman, ça a fait rire mes équipes. Je réfléchis aussi à transformer la maison de ma grand-mère en banlieue parisienne en école de cuisine.
Les célébrités adorent vos restaurants parisiens. Parviendrez-vous à les convaincre de venir au Mont-Saint-Michel ?
Je leur en ai déjà parlé. J’ai même montré la photo à Pharrell et Beyoncé… Ils ont trouvé l’endroit fou !
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