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«Je le voulais depuis Festen»

ENTRETIEN – Un maître dans l’art de peindre les angoisses de l’homme moderne, et après des films aussi marquants que l’Oscarisé Ivre ou la frappe si La fêtele réalisateur danois livre avec Des familles comme la nôtre sa première série, magistrale, universelle.

MAGAZINE TÉLÉ. – Comment est née cette série ?
Thomas VINTERBERG – Il y a sept ans. Avant le Covid-19. Avant le Brexit. Avant la guerre en Ukraine. Avant les récentes prévisions sur les conséquences du changement climatique. Je logeais à Paris où l’on rencontre beaucoup d’étrangers comme dans la plupart des métropoles. Des hordes de touristes mais aussi des gens dont on sent immédiatement la lourdeur, la tristesse, la solitude, le sentiment d’abandon, et le regard des Parisiens pas toujours contents de les avoir là. J’étais moi-même dans cette ville étrangère, un dimanche, et j’ai réalisé que ma femme, mes enfants me manquaient et que, dans une moindre mesure, je ne savais plus vraiment pourquoi j’étais là et si ça valait vraiment le coup. Naît alors l’idée, puissante, dramatique, de renverser les situations, à savoir de placer les nantis que nous sommes dans la situation de ceux qui sont privés de tout. Et avec elle cette question : quelle serait notre réaction si tout ce que nous pensons avoir acquis, si tout ce que nous aimons nous était soudainement enlevé ?

Comment a-t-elle été reçue ?
C’est devenu une obsession. Comme la personne que vous venez de rencontrer, qui vous semble idéale et que vous souhaitez absolument présenter à vos amis. Très vite j’en ai parlé. Les gens, comme on pouvait s’y attendre, n’aimaient pas ça. Certains ont trouvé que le postulat ne tenait pas. D’autres que c’était trop expérimental. Mais Canal+ a été conquis. Je crois que dès le début, ils ont compris la portée de l’histoire. Je les en remercie.

Pourquoi une série plutôt qu’un film ?
Le contenu a généré le formulaire. Le contenu demandait du temps, du sérieux, une certaine solennité. Il a également demandé qu’on s’immisce dans l’intimité des gens à travers une succession d’épisodes, pour avoir plus de sens. Je l’ai trouvé attrayant. C’est pourquoi nous nous sommes tournés vers les chaînes plutôt que vers les plateformes. La série était le bon format pour cette histoire particulière. Encore fallait-il trouver les bonnes personnes et le bon moment. Aujourd’hui, alors que tous les réalisateurs réalisent des séries télévisées et recherchent la grandeur, nous approchons peut-être déjà de la décadence d’un genre qui était si nouveau pour nous il y a encore quelques années, peut-être se fait-on dire que c’était le bon moment. A vrai dire, je le veux depuis La fête.

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« L’idée était de choisir des privilégiés et d’observer leur comportement lorsque la suppression de ces privilèges était annoncée »

Thomas Vinterberg

Qui sont ces « familles comme la nôtre » ?
Cette série se déroule dans le futur mais devait être parfaitement crédible, tant au niveau de sa mise en scène qu’au niveau du choix des personnages et de leurs trajectoires. L’idée était de choisir des privilégiés et d’observer leur comportement lorsque la suppression de ces privilèges était annoncée. Des gens qui vivent dans des rues comme la mienne ou la vôtre. Des gens qui mènent des vies comme la mienne ou la vôtre. Des gens qui conduisent des voitures comme la mienne ou la vôtre. Des voisins, des cousins, un frère, une sœur, des amis… Des banquiers, des médecins, des entrepreneurs, des hauts fonctionnaires, des architectes, des avocats…

Qu’est-ce qui vous attire tant dans les histoires de chaos ?
J’aime bousculer l’ordre établi, botter les fourmilières, jouer le rôle de l’éléphant dans le magasin de porcelaine. J’aime observer les interactions entre l’individu et le groupe. Plus encore, j’aime quand le groupe réagit aux interactions de manière chaotique. C’est l’un de mes modèles préférés. Elle permet de prendre tous les risques, de jouer avec toutes les théories intellectuelles, avec toutes les conventions sociales, avec tous les systèmes et avec tous les modes de pensée. Comme mes films, la série pose la question du groupe, de nos réactions, de nos comportements individuels et collectifs et de la solidarité.

La question du groupe est récurrente dans votre filmographie…
J’ai grandi dans une communauté hippie, entre théories intellectuelles, naturisme et litres de bière. Ce que j’en ai appris, c’est leur sens de la solidarité. Ce type de communauté était très nouveau. Cela n’avait jamais été vécu auparavant. Il n’était pas du tout certain que ce mode de vie soit durable. Ils prenaient un risque. Mais ils l’ont pris ensemble. Alors oui, je suis restée très attachée à cette combinaison risque/être ensemble. Tous mes films sont construits autour de ça.

En termes d’écriture, comment passe-t-on du format de 2 heures – le temps d’un film – à celui de 7 heures – celui de cette série ?
N’ayant jamais écrit et réalisé que des films de cinéma, écrire une série était forcément assez nouveau pour moi. Je n’étais pas seul. Heureusement. J’ai plutôt écrit d’une traite avant de revenir en arrière et de tracer les fils conducteurs de chaque trajectoire et de chaque personnage. Restait à composer et découper le tout en sept épisodes de 52 minutes. Mais cela s’est fait tout naturellement. Je pense qu’au final, je n’ai pas beaucoup changé mes habitudes de travail.

Quant à l’aspect environnemental et sociétal. Vous êtes-vous entouré d’experts ? Avez-vous suivi des conseils ?
Oui. Nous leur avons demandé si notre scénario était crédible. Ils nous ont dit que non. La disparition sous l’eau d’un pays entier et la migration de l’ensemble de sa population en si peu de temps ne sont pas possibles. Et ce n’est pas grave, ce n’est pas ce que nous cherchions à démontrer. Des familles comme la nôtre n’est ni une série apocalyptique ni une série catastrophe. Il n’y a d’ailleurs aucun fléau à combattre. Il s’agit d’un drame psychologique à large spectre qui interroge le spectateur sur une situation donnée. La fin d’un monde sans doute. Celle d’un Occident en déliquescence, d’États en faillite et des conséquences de politiques d’immigration toujours plus restrictives. C’est une dystopie universelle qui questionne nos réactions, nos choix, nos comportements, bref l’humanité.

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« Je suis convaincu que si l’empathie disparaît au cœur de la crise, elle revient dès que la crise s’apaise »

Thomas Vinterberg

Les lois sur l’immigration se renforcent dans la plupart des pays occidentaux, dont le Danemark…
Nous avons fait pas mal de recherches à ce sujet. Comment obtenir un visa en ? Comment l’Europe gère-t-elle les flux migratoires ? Comment les différents gouvernements prennent-ils en charge les réfugiés, en termes d’accueil, de logement et de soutien ? Quelle est la procédure pour demander et obtenir la citoyenneté roumaine, française et britannique ? C’était sans fin. Mais il fallait que cela soit crédible, comme je l’ai dit plus haut.

La vision que vous donnez de tout cela semble assez pessimiste. Comment voyez-vous l’avenir de l’humanité ?
C’est plutôt positif, je pense. Des familles comme la nôtre met en scène de grands drames mais véhicule aussi de grands espoirs. Je suis convaincu que si l’empathie disparaît au cœur de la crise, elle revient dès que la crise s’apaise. C’est une question de nature humaine. Nous sommes des animaux sociables, collaboratifs et interactifs. Quant à l’avenir de la planète, je n’ai aucune raison scientifique d’être optimiste mais je suis néanmoins convaincu là aussi que l’humanité a la capacité de se réinventer, de s’adapter et de coopérer aux futures dégradations climatiques et environnementales. Même si je suis parfois choqué par notre inaction. Même chez des jeunes qui veulent révolutionner notre rapport au monde mais continuent de consommer et de prendre l’avion… Ce qui génère un grand sentiment d’inadéquation. Et l’insuffisance conduit nécessairement à l’ignorance.

Le casting est impeccable. On y retrouve également un certain nombre d’acteurs de vos films précédents. Est-ce sciemment ?
J’aime écrire pour des gens que je connais bien. Je sais exactement où je peux les emmener, comment je peux les pousser et comment ils réagiront eux-mêmes. Travailler avec des inconnus induit une distance quelque peu polie qui réduit le champ des possibles. Retrouver les mêmes personnes brise les barrières et permet d’explorer toujours plus loin les palettes d’émotions, d’intonations et de jeu. Mais nous avons aussi de nouveaux visages dont les deux jeunes héros sur lesquels repose toute la série. . Il a fallu du temps pour les trouver. Je ne peux que me réjouir que les autres soient déjà là.

Parmi les acteurs se trouve votre femme, dans le rôle de la compagne de Luka, l’architecte, bon travail, bon père. Est-ce une joie de travailler avec elle ?
Elle est ma partenaire, mon soutien, ma lectrice, mon accessoire. Elle joue un rôle important dans la série. Elle est également pasteur. Il y a quatre ans, lorsqu’elle l’a lu, elle a pleuré. Puis elle m’a dit que je commençais visiblement à devenir déprimée. Finalement, elle m’a demandé de retravailler un peu l’histoire pour y inclure l’espoir de retrouvailles et de lendemains meilleurs. Introduire une note d’espoir dans une histoire n’est pas aussi simple que d’appuyer sur un bouton dans une salle d’écriture. C’est un travail de longue haleine qui demande une attention toute particulière et un dosage très précis. Mais je pense que sans cet espoir, cette série n’aurait finalement jamais vu le jour.

Qu’espérez-vous que les téléspectateurs retiennent de cette série ?
Mes films ne prennent pas parti et ne transmettent jamais de message. Je fais toujours très attention à les limiter au champ de l’expérience humaine et existentielle vécue dans un contexte particulier.

 
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