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Julien Poulin, au-delà d’Elvis Gratton

Elvis Gratton, bénédiction ou malédiction pour un acteur du calibre de Julien Poulin, que le Québec pleure aujourd’hui ? Certainement les deux, car malgré une carrière impressionnante – il a joué dans des dizaines de films et de séries télévisées – c’est évidemment ce personnage culte qui a laissé sa marque.

Lui, à l’image de l’imaginaire collectif québécois.

Un rôle que Julien Poulin n’a jamais renié, puisqu’il a accepté de le jouer à plusieurs reprises, mais qu’il a souvent dû traîner comme un boulet, a-t-il reconnu.

N’oublions pas qu’Elvis Gratton, alias Bob Gratton, est un peu le Frankenstein de Julien Poulin et du cinéaste Pierre Falardeau, qui ont travaillé à deux têtes et à quatre mains à leurs débuts, ce qui a notamment donné lieu au documentaire Et la soupe le dépliant Parler blanc. Dans le court métrage Parler blanc En 1980, le célèbre poème de Michèle Lalonde est lu par Marie Eykel, connue dans toute la province sous le nom de Passe-Partout, et qui fut la compagne de Julien Poulin pendant plus de 20 ans.

PHOTO ÉRIC ST-PIERRE, LA PIERRE ARCHIVES

Pierre Falardeau and Julien Poulin in 1999

Poulin, comme Falardeau, était alors au scénario, au son et à la réalisation de ce cinéma de combat qu’ils ont réalisé avec les moyens du bord, dans la passion de leur jeunesse. Mais c’est encore lui qui devait porter le poids de l’incarnation d’Elvis Gratton. Ce monstre indestructible qui continue sa vie sur les réseaux sociaux avec des lignes gravées dans les mémoires.

La créature Gratton était une réponse au référendum de 1980, vécu comme un échec lamentable par ces deux souverainistes farouches et militants, qui a cristallisé tout ce qu’ils voulaient voir disparaître : la mentalité du colonisé, l’aliénation capitaliste, l’obsession de la culture américaine, entre autres. . La première fois que j’ai vu Elvis Gratton : le roi des roisquand j’étais adolescente, je détestais ça. Je n’ai pas trouvé drôle du tout de reconnaître des gens de mon milieu dans cette image grinçante. J’ai reçu ce film au pied de la lettre, mais il m’a réveillé sur certaines choses.

Par une étrange ironie de l’histoire, la créature a échappé à Poulin et Falardeau, quand Elvis Gratton est devenu le personnage le plus emblématique du Québec, qui en redemandait. Et je pense que c’est en grande partie grâce à Julien Poulin. Comme si, derrière ce personnage qu’on aurait dû détester, on devinait néanmoins la vulnérabilité de son généreux interprète, qu’on ne pouvait s’empêcher d’aimer un peu. Julien Poulin se donne tellement dans ce rôle qui aurait pu tuer sa carrière ! On ne connaît pas beaucoup d’acteurs qui auraient accepté de jouer un tel idiot avec autant d’abandon, au risque de ternir à jamais leur image.

C’était tellement marquant que pendant quelques années, j’ai eu du mal à voir autre chose que Gratton chez Julien Poulin. Jusqu’au film La fête (1990), toujours avec Falardeau. Julien Poulin en détenu désespéré jusqu’au suicide est on ne peut plus opposé au burlesque de son Elvis, et c’est là qu’on voit l’étendue de sa palette. Le drame était, semble-t-il, plus proche de la nature de cet homme hypersensible, pétri de doutes, humble et timide, qu’on n’a d’ailleurs pas souvent vu dans les talk-shows. «C’était quelqu’un de très drôle et, en même temps, comme c’est souvent le cas avec les clowns, quelqu’un qui ne trouvait pas le bonheur facile», a déclaré Marie Eykel à RDI en entrevue.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE ARCHIVES

Louis Champagne, Claude Legault et Julien Poulin sur le tournage de la série Minuit, soir

Comment oublier le rôle de Gaétan dans la série Minuit, soirqui lui a valu un Gémeaux en 2007, ou encore celui de Germain dans le film Camionpour lequel il a remporté un prix Jutra en 2013 ? Ou récemment par le Père Laloge dans Les pays ci-dessustout comme Yvon dans Lion ?

Malgré l’ombre d’Elvis Gratton, Julien Poulin a fait sa place dans ce métier où il avait l’estime de tous, non seulement pour son talent, mais aussi pour ses qualités humaines.

Dans ses entrevues, on l’a senti à bout de nerfs, notamment dans celle qu’il a accordée à la tribune Éléphant, où il parle de son grand ami Falardeau, dont il avait pris ses distances avant son décès en 2009.

Watch Julien Poulin’s interview on the Éléphant platform

On comprend dans cette entrevue que l’intransigeance de Falardeau a probablement nui à leur amitié. « Ses contradictions », souligne Poulin en retenant ses larmes. J’ai l’impression que dans ce duo, Falardeau était l’intellectuel, et Poulin, l’artiste. Ses yeux étaient également humides lorsqu’il parlait de ce rêve inachevé d’un pays pour le Québec, qu’il n’a pas pu voir de son vivant, comme son ami. J’espère que, quelque part, ces deux-là se retrouveront et se réconforteront.

Le Roi n’est plus, vive Julien Poulin.

 
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