Trois ans après la sortie de Top GunLe réalisateur Oliver Stone coupe les ailes de Tom Cruise Né le 4 juilletune adaptation passionnante des mémoires d’un vétéran de la guerre du Vietnam.
En 1989, le grand retour de l’Amérique prend fin. (« Rendons à l’Amérique sa grandeur ! ») rêvé par Ronald Reagan. L’acteur de série B catapulté à la Maison Blanche neuf ans plus tôt ferme définitivement ses portes et cède sa place à George Bush Sr. Le rideau tombe alors sur tout une part du cinéma viscéralement chauvine, militariste, manichéenne et viriliste qui incarnent le « corps durs » de Sylvester Stallone, Arnold Schwarzenegger et d’autres bodybuilders (voir Le cinéma des années Reagansous la direction de Frédéric Gimello-Mesplomb).
Ce triomphalisme impérialiste efface un passé pas si lointain où les États-Unis s’enlisaient dans la jungle sud-asiatique. Après l’avoir condamné (Voyage au bout de l’enfer), sublimé (Apocalypse maintenant)réécrit (Les bérets verts) et rapatrié (Rambo)L’Amérique relègue la guerre du Vietnam dans le placard et avec elle, des vétérans trompés par la patrie. C’est dans ce pays frappé d’amnésie qu’un cinéaste survivant inocule une double dose d’antidote au virus Reagan. Trois ans plus tard Section, Olivier Pierre expose au public un autre type de guerre dans Né le 4 juillethistoire du retour porté par un Tom Croisière frais payés à partir de Top Gun Tony Scott.
L’éternel retour
En 1976L’Amérique, colorée de bleu, de rouge et de blanc, célèbre le bicentenaire de son indépendance. L’administration du président Gerald Ford a capitulé trois ans après la proclamation d’un cessez-le-feu au Vietnam. Alors que les visages brisés et les réfugiés vietnamiens se ruent aux portes du pays, Travis Bickle (Robert De Niro) régurgite sa paranoïa milicienne dans les rues du New York de Dante. Chauffeur de taxi par Martin Scorsese.
A des milliers de kilomètres, un Francis Ford Coppola au lithium filme son Apocalypse maintenant à Manille. En fin d’année, pré-production de Voyage au bout de l’enfer. Dans cette ambiance de résilience paraissent en librairie les mémoires d’un vétéran du Vietnam, Ron Kovic, Né le 4 juillet.
« C’était l’histoire dramatique d’un garçon de Long Island, américain de la tête aux pieds, qui a grandi dans une famille nombreuse où le patriotisme était une seconde nature. Il s’est enrôlé dans les Marines et a été grièvement blessé au Vietnam. Le cœur de l’œuvre se concentre sur la manière dont Kovic s’adapte à cette nouvelle vie qui n’a plus rien à voir avec la précédente.«
Oliver Stone – À la recherche de la lumière
Producteur Martin Bregman (Serpico, Un après-midi de chien) se précipite pour acquérir les droits, pour scénariser la vie de Kovic et pour donne-le à son ami Al Pacino. La périlleuse entreprise échoue entre les mains d’Oliver Stone, un ex-GI qui a fréquenté l’Université de New York, dont le seul bagage est un court métrage expérimental inspiré de son expérience de guerre. “Je ne voulais pas m’identifier à cet homme qui avait tant souffert.” Ni affronter l’impasse d’un scénario qui lui est propre sur le retour d’un jeune vétéran manchot.
S’il craint « Les injonctions impitoyables de Bregman », maniaque du contrôle, Stone a accepté cette tâche après avoir longuement rencontré Ron Kovic. William Friedkinen disgrâce après l’échec cuisant de Convoi de la peur, accepte de porter à l’écran cette première version à condition de remettre de l’ordre dans ce film dégoulinant d’américanité « sucre pur ».
La sortie triomphale de Dos le Hal Ashbyl’histoire d’un ancien champion de football revenu mutilé du front pour laquelle Ron Kovic a été consulté, dissout la belle équipe de Né le 4 juillet. « Je détestais tout Hollywood, cette bande de lâches ! Personne n’aimait ce que je faisais, personne ne voulait de mes films ! Personne ne voulait voir le vrai visage du Vietnam ! »hurle le réalisateur dans ses mémoires, dégoûté d’assister, impuissant, à la nuée des films de retour revanchards : Rambo II, Manquant…
Après Sectionautre projet longtemps malmené par Hollywood, Stone sort son film du tiroir, cette fois sans Al Pacino, mais avec un jeune Samaritain, Tom Cruise, chef de l’US Air Force. Né le 4 juillet entremêlera trois histoires de l’Amérique des années 60 aux années 80.
Trois hommes et un destin
Gare à ne comparez pas à la hâte l’histoire de Ron Kovic et celle d’Oliver Stone. Bien qu’ils soient nés en 1946, ils ne vivent pas dans la même Amérique.
« Ron avait été tout ce que je n’avais pas été à New York dans les années 1950 : un boy-scout, une star du baseball et un lutteur. Il avait plusieurs frères et sœurs, son père tenait une épicerie, sa mère allait régulièrement à l’église et accrochait des crucifix sur presque tous les murs de leur maison. Il était profondément religieux et l’appel du président Kennedy à servir son pays […] l’avait considérablement affecté.«
Oliver Stone – À la recherche de la lumière
En même temps, Oliver Stone, originaire de Manhattanpréfère le conservatisme du sénateur républicain Barry Goldwater. Son expérience vietnamienne a commencé en 1965 lorsqueil a enseigné l’anglais pendant six mois à Saigon. Kovic, né à Massapequa, a déjà un an d’expérience dans le domaine. Stone est retourné au Vietnam en 1967, cette fois en bénévole. Quelques mois plus tard, une balle s’est logée dans la moelle épinière de Kovic, le laissant paralysé. Avec la Purple Stone et l’Étoile de Bronze sur la poitrine, Oliver Stone revient à New York en 1968, presque intact physiquement mais brisé de l’intérieur.
« Le Vietnam m’a montré la violence à son paroxysmeil explique dans une interview au magazine Cinéasteen 2023. Je pensais que la guerre du Vietnam serait finie, mais j’ai découvert […] une deuxième guerre [aux États-Unis]. » Celle de l’impossible réparation honorable d’un pays vaincu qui, honteusement, affiche sous ses yeux les glorieux vétérans de la Seconde Guerre mondiale. ses défilés du 4 juillet comme l’illustre l’une des premières séquences de son film où l’on voit le tout jeune Ron Kovic regarde les survivants alités sur la rue principale de Massapequa.
Ironiquement, un film pour glorifier le réarmement de l’armée américaine Né le 4 juillet. Plus gros succès commercial de 1986, Top Gun revitalise l’archétype du jeune héros américain dans un contexte de guerre nucléaire fantasmée par Washington. L’arrogant Maverick annihile avec l’énergie juvénile contagieuse de Tom Cruise le Travis Bickle, Benjamin Willard (Apocalypse maintenant) et d’autres.
Confiné dans un fauteuil roulant pendant deux heures, l’acteur donne-t-il bonne conscience à Né le 4 juillet ? Au-delà de la mutilation d’une adolescente sautant de Entreprise risquéequi a valu à Cruise sa première nomination aux Oscars, Oliver Stone retourne les armes mises entre ses mains contre les États-Unis bon gré mal gré.
L’ennemi de l’intérieur
Film fébrile et fiévreux, Né le 4 juillet veut être moins une biographie post-Vietnamienne dans la veine de Dos – ou trop peu connu Héros par Jeremy Kagan – iciune histoire allégorique. Oliver Stone résume le chronométré de l’Amérique des années 60 au son d’une superbe bande originale, mais peu citée, de John Williams mêlant trompette martiale et un certain mélodrame.
Les injonctions doloristiques du professeur de sport du lycée (“Tuer!” Pour gagner, il faut souffrir ! ») bourdonne dans les oreilles de Ron, endoctriné jusqu’à la moelle tant par sa famille, pieuse mais belliqueuse, que par culture populairece que Stone ne prend pas la peine de souligner malgré la mise en scène flashy. « Avant de partir au Vietnam, Ron et moi ne connaissions la guerre qu’à travers les films et la BD : Sergent Rock, Audy Murphy, John Wayne »explique le réalisateur dans les colonnes de Mondeen 1989.
Né le 4 juillet travail contre le cinéma de propagande diffusé par Hollywood des années 40 aux années 80. Trois séquences centrales offrent un contrechamp viscéral à cette production nationaliste qui cultive sa propre mythologie. La première, dans laquelle un recruteur vante les mérites de « 13 semaines d’enfer sur Parris Island » dans les lycées Massapequa se répète presque à l’identique », souligne judicieusement Louis Blanchot dans La vie de Tom Cruise, une scène du même acabit dans Top Gun.
La partie purement vietnamienne de Né le 14 juillet, saturé de teintes pourpres, cristallise le projet esthétique et idéologique du film. L’explosion de sang et de poussière capturée par la caméra cahoteuse de Stone répond à la bataille réécrite et glorifiée par Allan Dwan dans C’est Jima. Au charnier à ciel ouvert succède un décor hospitalier crasseux dans le Bronx où Kovic, négligé, peine à se remettre littéralement sur pied, martyr performatif auquel se soumet un jeune Marlon Brando glamour dans la mort propre de C’étaient des hommes Fred Zinnemann.
Le plaidoyer de Cruise (« Je veux juste être traité comme un être humain ! ») se noie dans le chaos socioculturel du début des années 1970entre le réveil du Black Power (« Le Vietnam, c’est de la merde pour nous ! »lance une infirmière afro-américaine) et la déconstruction des sexualités. En marge de sa contre-offensive, Oliver Stone dépeint la masculinité en crise à travers la figure d’un anti-héros tragique et émasculé qui ne sait que faire de sa sexualité sans ses organes génitaux.
Une ligne narrative subsidiaire que le cinéaste abandonne (trop vite), curieusement soucieux de parvenir à une réconciliation sur un ton presque messianique. Invité à prendre la parole lors d’un congrès du Parti démocrate, Kovic disparaît dans un halo de lumière, signalant le début deune résurrection « à l’américaine ».
Section et Né le 4 juillet ne liquident pas complètement le traumatisme vietnamien d’Oliver Stone. Le cinéaste ajoute un dernier opus à son diptyque en 1993, Entre ciel et terre avec Tommy Lee Jones, contrechamp mélodramatique et pompeux inspiré du calvaire d’une paysanne vietnamienne déracinée.
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