Le verlan est une forme d’argot qui consiste à inverser les syllabes des mots pour en créer de nouvelles. Né d’un besoin de dissimulation, ce code est depuis plusieurs années un symbole identitaire et culturel fort. Même s’il perd aujourd’hui en popularité auprès des nouvelles générations, le verlan continue d’intriguer les nostalgiques et de fasciner les plus jeunes. Petit retour sur un code autrefois bien vivant et ses mutations.
On raconte que les premières traces de verlan remonteraient au XVIIème siècle.e siècle, mais c’est au début des années 1970 que l’on trouve les premières attestations publiques de verlan en français. Jacques Dutronc en a écrit une chanson en 1971, « J’avais le cerveau qui faisait des ondes », en voici un extrait :
« J’ai eu le vellecer qui zaifeu des gueva quand je l’ai reçu dans mes bras je l’ai vue un resoi de yaijui dans un leba du téco de la yeutibasse menvrai lijo c’est un yeufi que je me dis je dois je la cheubran. »
Quelques années plus tard (1978), c’est avec la chanson « Laisse concrète » de Renaud que les premières formes de verlan commencent à se répandre.
Le verlan devient rapidement une véritable arme linguistique en banlieue. Il permet aux jeunes de se distinguer des générations précédentes tout en protégeant leurs échanges des oreilles indiscrètes : parents, autorités, ou tout simplement ceux qui ne maîtrisent pas ce code.
Mais c’est dans les années 1990 que le verlan connaît un véritable âge d’or, porté par l’essor du rap français. Des groupes musicaux comme le ministère AMER, IAM ou NTM l’intègrent dans leurs textes, faisant de cette langue un pilier de la culture urbaine. A travers des pièces comme « Little Brother » ou « Flirte avec le Murder » Verlan devient une voix engagée, qui permet de dénoncer les inégalités sociales, les violences policières, ou encore les difficultés des jeunes dans les villes.
A l’époque, il fallait faire un effort pour comprendre ce chanteur du groupe NTM lorsqu’il déclarait qu’il était « prêt à péter pour des scalpas » (« prêt à se frapper pour des pascals » – pascal était alors le nom donné aux billets de 500 francs de l’époque, en raison du portrait du philosophe qui les illustrait).
Les règles du jeu : comprendre la mécanique du verlan
Linguistiquement, le verlan suit des règles de formation relativement simples mais rigides. Les syllabes des mots sont inversées, et parfois, des troncatures ou des réanalyses phonologiques sont nécessaires pour rendre la prononciation du mot verlanisé fluide et naturelle.
Dans les cas les plus simples, qui sont aussi les plus courants, les syllabes d’un mot en contenant deux sont simplement inversées : matière (« regarder, souvent avec insistance ») devient sujet, Français devient céfran, pourri devient reposetc.
Si le mot se termine par une consonne ou un -e, un e est prononcé, ce qui explique que mec devenir keume, tête passe à Deut, tombe devient veugraetc. Dans certains cas, le mot verlanisé subit une transformation supplémentaire, qui consiste en une troncature de la voyelle finale qui est appelée apocope. C’est ce processus que les mots ont subi coupable (reumeu = mère), reuf (reufrè = reuf), veuch (veucheu = cheveux), etc.
Si le mot n’a qu’une syllabe, la voyelle est prononcée avant la consonne : chaud devient et, fou passe à ouf, moi se prononce wam, oinj est dit pour articulationetc.
Dans les cas plus rares de mots trisyllabiques, on a un processus un peu plus complexe : la dernière syllabe est placée en premier, et on ne garde que la deuxième ou la première. Concrètement, irrité passe par vé-ner-é pour devenir révérer (perte du dernier élément), arabe devient beurra après avoir traversé beu-a-ra, africain passe à cuivre par modification de kin-a-fri.
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Grâce à une utilisation continue, certains mots ont fini par être connus de tous et ont donc dû être relanisés. Le verbe Putainqui était passé à Ken par troncature de AVOIR devenu prends-le. Keuf (verlan apocoposé de flic) devenu feukeuAlors Putainpar analogie avec l’anglais, etc. De ces revernalisations seul le mot survit aujourd’hui rebeu (verlan de verserforme apocopée de beurra pour l’arabe).
Aujourd’hui…
Le Verlan n’est plus aussi à la mode qu’il y a 30 ans. On estime que c’est à la fin des années 1990 que le processus a perdu de sa vitalité. On peut émettre l’hypothèse que sa popularisation dans les médias, la musique et la publicité a progressivement réduit son rôle initial de code « secret ». Utilisé par un public de plus en plus large et de plus en plus vieillissant, le verlan a perdu de son attrait auprès des nouvelles générations. Celles-ci ont favorisé d’autres formes d’expression, issues du monde numérique et des réseaux sociaux, peu utilisées alors par les personnes âgées (connaisseur, défileur, demander, dès que possible, fantômeetc.).
Il reste cependant des formes en langue française qui sont entrées dans le dictionnaire. Petit aperçu :
Grand-mère : verlan de toubabun mot arabe originaire d’Afrique sahélienne, attesté en français depuis le milieu du XXIe sièclee siècle pour désigner un Européen, un Français métropolitain ou un Blanc, tout simplement. Cette variante verlanisée rejoint les pages de Robert en 2023.
Pouah : attesté en 1986, le mot Pouah est la forme verlanisée et apocopée du mot herbe (elle-être = être-elle = mauvaise herbe). Maintenir le h final dans l’orthographe peut peut-être s’expliquer de manière analogique : Pouah C’est la façon dont s’écrivent les onomatopées qui expriment le dégoût ou le mépris amusé.
Keupon : la première apparition de cette forme verlanisée du mot punk n’est pas daté. Selon toute vraisemblance, il ne peut remonter plus loin que 1973. C’est en effet à partir de cette date que le français emprunte le mot à l’argot américain, qui désigne en France comme au Royaume-Uni un mouvement de protestation qui rassemble des jeunes affichant divers signes extérieurs de protestation. provocation contre l’ordre social dont ils se moquent.
Fille : le mot fille est attesté dès 1981. De par la fréquence de son usage, il s’apparente avec d’autres mots formés sur le même modèle (Pouahverlan apocopé de fête, 1984; acheterverlan apocope de flic1978), des mots que l’on oublie souvent sont le résultat d’un processus de verlanisation.
Ouf : on trouve le mot ouf dans les textes écrits depuis 1988. Il garde le même sens que l’adjectif fouauquel il correspond. Il est utilisé pour décrire quelque chose ou quelqu’un comme surprenant, incroyable ou impressionnant. Cela peut avoir une connotation positive ou négative selon le contexte. Par exemple, « C’est wow ! » » peut signifier « c’est incroyable ! » » ou « c’est fou ! » »
Verlan : attesté en 1953, le mot lui-même est une auto-référence à son propre processus linguistique (« [à] l’inverse » = Verlan). Il est aujourd’hui intégré au vocabulaire général pour désigner non seulement ce phénomène spécifique d’inversion de syllabe, mais aussi, par extension, cette forme d’argot populaire dans les années 1990.
Les mots de Verlan sont apparus dans les années 1970, mais n’ont pas tous connu le même sort. On peut voir sur ce graphique, généré à partir des données de Google Books, que dans la littérature francophone, des mots comme fille (femme) restent plus utilisés que des mots comme relou (lourd) ou bizarre (ombragés), qui se sont ensuite démocratisés (et qui n’apparaissent toujours pas dans les dictionnaires largement utilisés). Enfin, la trajectoire que l’on peut voir à travers le mot Verlan montre bien que le processus a connu une vitalité croissante puis stable entre 1990 et 2000, avant de retomber doucement au début du XXIe siècle.e siècle.
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