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“Je voulais que la Comédie-Française ne soit plus un château inaccessible”

Paris Match. Avec « La Chaussure de Satin », vous promettez une véritable expérience théâtrale de plus de sept heures. À une époque où tout doit aller vite, y a-t-il un public pour cela ?

Éric Ruf. Lorsque Paul Claudel a donné naissance à cette œuvre dont la version complète dure douze heures, il ne pensait pas qu’elle serait un jour réalisée. Cela laisse donc une grande liberté de représentation. Je vais essayer de faire en sorte que, dès le départ, ce soit comme une fête : on va impliquer le public, avec des scènes graphiques, des jeux. Et il y a le plaisir de l’apnée : quand les spectateurs entrent dans la salle à 15 heures et en ressortent à 23 h 30, à la fin, ils s’applaudissent autant que les comédiens. Il y a plusieurs entractes, une pause pour le dîner, qui permettront peut-être aux gens de sympathiser.

Le théâtre de Claudel est souvent considéré comme austère. Faux?

On le réduit à sa réputation de grand poète catholique, mais c’est avant tout un dialoguiste extraordinaire, qui connaît la nature humaine, notre orgueil, nos jalousies, et qui les décrit avec une plume empathique et drôle. Claudel n’est pas un homme noble qui écrit des choses incompréhensibles. Son langage est presque un langage de cinéma, très vivant. Alors, la politesse de la clarté du texte, j’y travaille avec une grande joie pour le public.

Je ne pars pas parce que je suis en colère ou parce que j’ai été expulsé

Éric Ruf

En août prochain, vous quitterez votre poste d’administrateur général après onze ans…

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J’ai effectué mes trois mandats : un de cinq ans, deux de trois ans. Comme je suis légaliste, je respecte les principes. On adore faire des exceptions, essayer de gagner du -, mais je ne trouve pas ça bien. Avant de partir, je mets en forme la saison suivante, pour que la personne qui arrive en septembre puisse s’appuyer sur un planning déjà fixé. J’aimerais que la tutelle puisse déterminer le prochain administrateur bien à l’avance afin que nous puissions passer la main en douceur. Cette maison a rarement connu cela, car la plupart du -, les administrateurs n’étaient pas reconduits alors qu’ils souhaitaient continuer. Je ne pars pas parce que je suis en colère ou parce que j’ai été expulsé.

Répétition du « Soulier de satin » mis en scène par le réalisateur, entre les comédiens Alain Lenglet et Laurent Stocker.

© Julien Liénard

Quelle est la plus grande fierté de vos mandats ?

Certainement voir les salles remplies. Et puis je pense que la maison a ouvert. Aujourd’hui, de nombreux jeunes différents peuvent s’y identifier. Je voulais que la Comédie-Française ne soit plus un château inaccessible, tant pour les gens du métier que pour ceux de l’extérieur. Aussi, beaucoup de salariés me disent que c’est agréable de travailler ici, parce qu’il y a de la joie. Je pense que j’ai beaucoup travaillé au quotidien pour ça et j’ai l’impression que c’est là. Dernièrement, les gens m’arrêtent et me disent « merci ». Comme si je résistais à quelque chose. Comme si j’arrivais à m’imprégner de thèmes sociétaux, à m’imprégner de nouvelles esthétiques, sans faire de choix politique.

Je vois la troupe comme une arche de Noé, avec tous les âges, toutes les couleurs, toutes les écoles

Éric Ruf

Entre autres succès, vous avez ouvert la troupe à plus de diversité.

Nous recevons beaucoup d’écoliers à la Comédie-Française, environ cinq cours par jour dans nos trois salles. Pour expliquer à un enfant que ce qu’il vient voir, c’est son répertoire et qu’il peut l’utiliser, il faut qu’il puisse se retrouver sur le plateau. Je vois la troupe comme une arche de Noé, avec tous les âges, toutes les couleurs, toutes les écoles. Il y a tous types d’acteurs : les brutaux, les volatiles, les pachydermiques… C’est la beauté de cette maison.

Vous avez rejoint la Comédie-Française au début des années 1990 et l’avez quittée trois décennies plus tard. Vous ne vouliez pas rester membre ?

Si je restais, les gens m’éliraient certainement au conseil d’administration. Je ne pense pas que ce serait confortable pour mon successeur. Je suis entré dans cette maison à l’âge de 23 ans, j’y ai joué beaucoup de rôles, j’ai créé des décors, je l’ai mis en scène, je l’ai administré… Il ne doit pas rester une seule cellule de cette ruche que je n’ai pas visitée. Maintenant, je dois savoir comment m’éloigner. Même si je vais être nommé membre honoraire. Un titre donné aux personnes qui travaillaient pour cette maison. C’est comme avoir une médaille sur votre vieux plastron de grincheux napoléonien. On peut me demander de revenir jouer occasionnellement, mais pas plus.

J’aurai enfin le - de lire autre chose que les budgets initiaux et les budgets rectificatifs

Éric Ruf

Que veux-tu faire ensuite ?

Je ne sais pas si la suite de ma carrière sera plus contemplative ou tout aussi laborieuse. Je vais avoir une certaine décélération, c’est sûr. Parce que j’ai beaucoup travaillé, ici mais aussi dehors, j’ai monté des opéras, fait un peu de cinéma. Je ne sais pas quelles propositions me seront faites ensuite. Je n’aurai évidemment pas les mêmes moyens de production. Je me sentirai plus léger sans les questions d’organisation, de sponsoring, de ressources humaines, sans meetingitis. J’aurai enfin le - de lire autre chose que les budgets initiaux et les budgets rectificatifs. C’est une littérature que j’ai apprise mais qui n’est pas ma préférée. J’ai des piles de livres que j’ai achetés et qui m’attendent. Ici, j’ai beaucoup écrit, mais des mémos et de la correspondance. J’aimerais maintenant écrire autre chose. [Il rit.] Non pas pour faire de la théorie mais pour partager ce qui me passionne depuis tant d’années. On ne passe pas si longtemps avec des poètes sans avoir sa propre plume tremblante. Donc j’ai tout ça qui m’attend après. J’ai envie de dire : le mariage c’est bien, mais la séparation l’est aussi.


« Le soulier de satin », de Paul Claudel, à la Comédie-Française, salle Richelieu, du 21 décembre 2024 au 13 avril 2025.

©DR

 
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