News Day FR

“On dit souvent de moi que je suis trop gentille”

Entretien – Dans Six joursde Juan Carlos Medina, en salles le 1er janvier 2025, l’actrice incarne une mère en deuil, prête à tout pour retrouver l’homme qui a un jour kidnappé sa fille. Entretien.

Actrice, réalisatrice, militante des droits des femmes, productrice, présidente du Festival Twin Sisters… Julie Gayet semblait avoir toutes les cordes à son arc. Trois décennies après le début de sa carrière, elle incarne aujourd’hui le personnage le plus éloigné de sa personnalité. Dans Six joursfilm de genre de Juan Carlos Medina qui sortira en salles le 1er janvier 2025, elle se glisse dans la peau d’une mère en deuil, prête à tout pour retrouver l’homme qui a un jour kidnappé sa fille. Pour ce faire, elle a un allié de taille : Malik, un inspecteur de police incarné par Sami Bouajila. Un rôle dans lequel Julie Gayet se surpasse – comme elle aime tant le faire.

Lire aussi
“A 50 ans, elles deviennent grand-mères” : François Hollande explique comment Julie Gayet lui a ouvert les yeux sur les inégalités au cinéma

»
data-script=”https://static.lefigaro.fr/widget-video/short-ttl/video/index.js”
>

Entre enfer et paradis

Madame Figaro. – Qu’est-ce qui vous a donné envie de jouer dans le film de Juan Carlos Medina ?
Julie Gayet. – J’adore les films de genre. Je me souviens Le félin (1982), d’Étranger (1979) et longs métrages de David Lynch. Le thriller Six joursde Juan Carlos Medina, est comme un tourne-page. Nous voulons savoir comment cela se termine. Quand j’ai découvert le scénario, je me suis dit que certaines scènes allaient être incroyables à tourner. J’ai commencé à filmer avec l’affiche. Il pleuvait à verse, nous courions, nous étions trempés. C’était incroyable visuellement, on aurait dit un ballet avec les figurants. Je me suis dit qu’on faisait un film très fort et très émotionnel. Le fait de donner la réplique à Sami Bouajila était aussi un argument pour accepter ce rôle. Il est certainement l’un des meilleurs acteurs de notre génération. Il ne joue quasiment pas, il se laisse contrarier.

Mon personnage est aussi sombre, dur, violent que je peux être souriant et léger

Julie Gayet

Comment décririez-vous votre personnage dans le film ? Qu’est-ce qui vous a fasciné chez elle ?
Mon personnage et celui de Sami Bouajila sont très solitaires. Leur seule raison de vivre est que justice soit rendue. J’ai été très surpris lorsque j’ai reçu le scénario, car je me suis dit que mon personnage était mon opposé. Elle est aussi sombre, dure, violente, que je peux l’être souriante et légère. Les gens disent souvent que je suis trop gentil. Elle, pas du tout. J’attendais depuis longtemps qu’on me propose un rôle si différent du mien. Quand Juan Carlos m’a dit : « Je l’imagine brune aux cheveux courts », j’ai répondu : « Super ». J’ai adoré composer ce personnage.

Y a-t-il une scène que vous redoutiez de jouer ?
Celle que je redoutais était celle où mon personnage découvre que sa fille est morte. Nous l’avons tourné à Dunkerque, sur cette digue du bout du monde, dans un lieu incroyable. Avec toutes ces usines, on avait l’impression d’être dans Coureur de lame (1982). Et de l’autre côté, il y avait la mer, des plages désertes. Nous étions entre l’enfer et le paradis. C’était très étrange. Il faisait sombre, il y avait une tempête de sable, des conditions apocalyptiques. C’était véritablement le cauchemar du personnage, une scène de terreur.

Derrière la caméra

Votre personnage est prêt à tout par amour. Pour vous, jusqu’où peut-on aller dans l’amour, qu’il soit romantique, amical ou familial ?
J’ai souvent dit à mes enfants que l’amour devait être simple. Je l’ai découvert un peu tard. C’était fou à quel point j’étais moi-même. En tout cas, il ne faut pas se transformer par amour. Nous sommes une génération de femmes qui ont grandi avec Disney, l’impression que notre prince charmant viendra… Je suis heureuse quand je vois des films comme Barbie (2023), de Greta Gerwig, qui moque avec humour ce sexisme. Aujourd’hui, il y a des modèles, des personnages féminins incroyables, ça fait du bien. Et puis, il y a de nouvelles histoires portées par des réalisatrices. Récemment j’ai vu Vingt dieux de Louise Courvoisier, et j’ai adoré.

Il ne faut pas se transformer par amour

Julie Gayet

Vous êtes vous-même récemment passé derrière la caméra pour réaliser un film sur Olympe de Gouges. Que vous a apporté cette expérience ?
Il m’a fallu du - pour le faire. C’est un peu le syndrome de l’imposteuse féminine. Il m’a fallu dix ans pour créer ma société de production. J’ai dit que je ne voulais pas réaliser de film, ni jouer dans ceux que je produisais. Et puis finalement, c’est à travers ces sujets qui m’intéressent, les réalisatrices, la place des femmes au cinéma, que j’ai commencé à réaliser des documentaires avec Mathieu Busson. Il était presque évident de coréaliser ensemble ce film sur Olympe de Gouges. Mais là encore, je ne voulais pas y jouer. S’il n’avait pas été là, j’aurais refusé. Ce syndrome de l’imposteur est quand même assez fou. Osez, les filles, osez ! Avoir réalisé ce film n’a pas changé ma vision des réalisateurs. Mais il m’a aidé à les comprendre.

Il y a dix ans, tu as réalisé Cinéastes un documentaire sur la place des femmes dans le monde du cinéma. Comment la situation des femmes dans ce milieu a-t-elle évolué depuis ?
Je pensais que les progrès iraient plus vite. En 2017 au moins, j’avais cet espoir. D’ailleurs, le Collectif 50/50 s’appelait le Collectif 50/50 pour 2020, avant qu’on supprime le 2020, car nous sommes en 2025 et il n’y a toujours pas de parité dans le milieu du cinéma. Mais ce qui est plutôt génial, c’est cette fraternité au sein de l’industrie. Olympe de Gouges en parlait déjà. Elle se demandait quand les femmes cesseraient de s’opposer les unes aux autres. Ayant vécu cette époque où il y avait une compétition entre actrices, je trouve que cela a complètement changé. Il y a de la bonne volonté entre nous, nous sommes unis. Avoir des références sur le plateau, la possibilité de parler, de se protéger, de s’exprimer nous a beaucoup apporté. Il est très important qu’il y ait des coordinateurs d’intimité, tout comme il y a des ajusteurs de cascades. En tout cas, il y a des progrès, mais il n’y a pas encore d’égalité salariale.

Discours d’Adèle Haenel

Vous êtes engagée depuis longtemps dans la lutte pour les droits des femmes. Comment avez-vous réagi aux propos d’Adèle Haenel, qui accuse le réalisateur Christophe Ruggia de l’avoir agressée sexuellement lorsqu’elle était adolescente ?
Les propos d’Adèle Haenel sont extrêmement nuancés et intelligents. Pour son premier discours en Mediapart elle expliquait qu’il n’y avait pas de monstres, que les prédateurs étaient parfois nos frères, nos pères, nos voisins, qu’il y avait une vision déformée du viol, des rapports de force. C’est assez terrible de voir l’inconscience de Christophe Ruggia, comme s’il y avait un déni, un refus d’admettre la question du consentement. Je suis extrêmement admirative pour Adèle Haenel. On a tenté de le caricaturer à cause de sa réaction lors des César 2021. Mais rien n’allait avec ces César. Aujourd’hui, nous ne ferions plus la même chose.

Avez-vous suivi le procès pour viol de Mazan ?
Le procès de Dominique Pelicot, c’est vraiment cette idée du prédateur, et en même - quand on voit l’accusé, c’est banal. Et dire que certains remettent en cause l’éducation sexuelle au collège et au lycée, qui est encore obligatoire… C’est une incompréhension de la jeunesse. C’est terrible, car les filles et les garçons doivent avancer ensemble sur ces questions. Je pense que c’est pour ça que j’ai réalisé Olympe de Gougesque je parle en ce moment dans les collèges et lycées, que je leur parle de consentement, de parité, d’égalité. Ce n’est pas du tout une histoire d’hommes contre femmes. C’est une prise de conscience collective. J’ai deux fils et nous en parlons souvent. Ils me disent : “Eh bien, il n’y a pas d’égalité salariale ?” Pour eux, cela devrait aller de soi.

Pour mes deux fils, l’égalité salariale vient naturellement

Julie Gayet

Vous êtes réalisatrice, productrice et actrice. Vous avez également initié le Twin Sisters Festival. Après plus de 30 ans de carrière, que peut-on encore vous souhaiter ?
Mon bébé, c’est le Festival Twin Sisters à Rochefort. Je voulais un événement où il y aurait des concerts, des avant-premières, de la musique. Où l’on vient découvrir des groupes et où les réalisateurs viennent parler de leur rapport à la musique. Il faut désormais ouvrir le festival à l’international. Nous avons quelques années devant nous. J’avais aussi le pressentiment de faire ce film sur Olympe de Gouges. J’ai dit à Mathieu Busson : “Est-on d’accord qu’il y a encore beaucoup de films, de portraits de femmes à faire ?” Nous parlons de annuler la culture. je parle de culture lumineuse. Cela ne m’intéresse pas d’effacer, je préfère mettre en avant ceux dont on n’a pas parlé. Nous travaillons actuellement sur un film dédié à Louise Michel. Nous n’avons pas fini…

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :