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« Avec ce métier, j’ai sans doute essayé de gagner la confiance qui me manquait »

ENTRETIEN – Pour une actrice, quel plus grand défi que d’incarner le premier monstre sacré de l’histoire ? Répondez dans Sarah Bernhardt, la divine, le biopic de Guillaume Nicloux.

Victor Hugo l’appelait « la voix d’or » lorsque Jean Cocteau inventait le terme de « monstre sacré » pour la désigner. Sarah Bernhardt fut la première actrice adorée de l’histoire, la première à triompher en tournée sur les cinq continents, à signer des autographes, à diriger un théâtre, à inspirer l’art et la mode, à être enterrée avec les honneurs d’un chef d’État. Libre de corps et d’esprit, elle aime les hommes et les femmes, et s’engage politiquement en soutenant Louise Michel, Alfred Dreyfus et en s’opposant à la peine de mort. Sa vie était un scénario de film. Elle n’avait cependant jamais été transposée à l’écran.

C’est désormais chose faite en Sarah Bernhardt, la divine. Guillaume Nicloux livre un portrait flamboyant et sensible de ce monument national, subversif mais admiré, despotique mais insoumis. Trouver une interprète capable d’assumer les contradictions de cette légende, ses défauts (elle a été abandonnée par sa mère), son impertinence et ses excès, était un défi. Mais Sandrine Kiberlain est venue naturellement il y a cinq ans, dès la naissance du projet.

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« Je suis tombé amoureux du rôle, mais je n’étais pas sûr de pouvoir enfiler ce costume que je trouvais trop grand pour moi. La confiance de Guillaume m’a donné des ailes. Sa vision m’a ému : il voulait capturer une personnalité entière, engagée, exaltée, et non copier-coller des événements marquants et des images célèbres.

Jamais prouvée, l’idylle de Sarah Bernhardt avec Lucien Guitry (Laurent Lafitte dans le film) est ainsi fantasmée pour raconter la quête de l’absolu de la tragédienne, décédée le 26 mars 1923, quelques mois avant ses 80 ans. « Si son nom a traversé les âges, son histoire reste peu connue, sa vie à contre-courant trop peu citée en exemple. Il était important d’attendre le centenaire de sa mort pour sortir ce film et donner à Sarah toute la lumière qu’elle mérite”, souligne Sandrine Kiberlain qui, à son tour, pourrait recevoir les honneurs. Subtil équilibre entre fantaisie et autorité, son interprétation mérite une nomination aux Césars. Au moins.

Madame Figaro. – Quelle image aviez-vous de Sarah Bernhardt avant de recevoir ce scénario ?
Sandrine Kiberlain. – Une image floue même si son nom est sorti de mon enfance. Quand j’étais petite, j’étais déjà joueuse, comédienne dans l’âme, un peu colérique. Pour calmer mon enthousiasme, mes grands-parents, fans de théâtre, me disaient souvent : « Ne fais pas comme Sarah Bernhardt. » Quand j’ai dit à ma grand-mère paternelle que je voulais devenir actrice, elle m’a aussi conseillé de changer de nom : « Super, mais tu dois t’appeler Sandra Bernhardt. » J’avais environ 12 ans et j’ai compris que cette actrice dont on me parlait était mythique. Je ne l’ai vraiment mesuré que lors de mon apprentissage au Conservatoire et à la lecture du scénario.

Sarah Berhnardt était un symbole de progrès pour ses contemporains qu’elle voulait libérer de leurs contraintes

Sandrine Kiberlain

Comment expliquer son aura ?
Elle révolutionne l’art du jeu et le statut des actrices, s’investissant comme aucune autre dans la mise en scène, les décors, les costumes, le choix des auteurs. Elle avait aussi un flair incroyable, travaillant par exemple avec Edmond Rostand avant même qu’il n’écrive Cyrano. Et malgré son emphase, ces syllabes qu’elle allongeait en longueur, la petite musique qu’elle créait sur scène touchait le cœur d’une manière presque inexplicable. Elle était aussi une femme engagée, en avance sur une société très patriarcale. Elle était la seule femme parmi les hommes, mais se permettait tout : elle jouait des personnages masculins, était bisexuelle, mère célibataire, indépendante financièrement… Un ovni à l’époque. Elle n’avait peur de rien, surtout pas de la transgression. C’est la société qui s’est adaptée à elle, et non l’inverse. C’est sans doute l’une des raisons qui ont fait d’elle la première star mondiale, devenue incontournable par la force de son talent, de sa personnalité et de ses convictions. Il manque des artistes comme elle dans le monde d’aujourd’hui, pour s’exprimer, pour fédérer, rassembler.

Mais est-il encore possible d’avoir une telle confiance à l’ère des réseaux sociaux, mauvais buzz et des tweets ?
Sarah était à sa juste place dans ses luttes. Femme et juive dans un monde rongé par la montée de l’antisémitisme, elle a défendu toutes les minorités opprimées. Artiste libérée des conventions, elle était un symbole de progrès pour ses contemporains qu’elle souhaitait libérer de leurs contraintes. Mais elle était aussi l’amie et l’alter ego de grands penseurs qui l’écoutaient et la respectaient. Aucune autre femme n’avait sa plateforme et son influence. Elle était unique en son genre. Aujourd’hui, c’est différent. Chaque personnalité est interrogée sur des sujets politiques, environnementaux ou sociaux : les discours sont dilués, tronqués, mal répétés. Et je ne crois pas que nous soyons légitimes ou pertinents sur tous les sujets. Pour ma part, j’ai choisi de transmettre mes convictions à travers mon métier : en incarnant Sarah, je défends ce qu’elle représente et les engagements que je partage.

Comment s’approprier un si grand personnage ?
D’une biographie à l’autre, d’une photo à l’autre, ce n’est pas pareil. Comme elle a beaucoup changé physiquement et que les détails de sa vie restent incertains, j’ai eu beaucoup de liberté. Par ailleurs, le film n’est pas un biopic classique mais le portrait d’une femme dont Guillaume Nicloux a voulu retranscrire l’énergie et l’essence. L’idée n’était pas de la caricaturer, mais de l’évoquer telle qu’on l’imaginait, comme une femme divine et audacieuse. Mais jouer contre lui était un énorme défi. Non seulement elle a un langage et un flux de pensée particuliers, mais je la joue à trois époques : lorsqu’elle a 40 ans, puis dix ans plus tard au moment de son jubilé, en 1896, et enfin lorsqu’elle a 70 ans. vieux et a été amputé d’une jambe.

Une fois, on m’a proposé un film qui me plaisait, mais inconsciemment je pense que la disparition du personnage m’a fait peur.

Sandrine Kiberlain

Qu’avez-vous appris d’elle ?
Sarah a tout dédramatisé, a profité pleinement de la vie et a renforcé en moi ce besoin de profiter de chaque instant. D’une certaine manière, elle m’a donné envie d’évoluer. Sans oser me comparer, je me sens connecté à elle. Quand, avant de monter sur scène, elle dit : « Je me quitte pour devenir quelqu’un d’autre », cela résonne très fort en moi. Je ne suis pas du tout « difficile », mais quand j’arrive sur le plateau et que j’enlève mon jean pour enfiler le costume, le geste n’est pas anodin. Je le sais parce que cela me pèse parfois. Malgré l’amour du jeu, il peut arriver qu’on en ait marre de se quitter, de s’oublier.

Et pourtant, tu recommences. Comme s’il était nécessaire de vous fuir ?
Il y a cela, ou disons un besoin de transformation, de transcendance, de se nourrir de l’univers d’un autre. Peut-être est-ce lié à une idée un peu fade que nous avons de nous-mêmes ?

Sarah Bernhardt a joué pour combler un manque d’amour. Est-ce votre cas ?
Les acteurs ont souvent besoin que ceux qui ne voulaient pas les voir soient un jour obligés de les regarder et de croire en ce qu’ils font et disent. Avec ce métier, j’ai sans doute cherché à acquérir une confiance qui me manquait, peut-être même de manière un peu excessive.

Le mot star est totalement dépassé, sauf peut-être lorsqu’il s’agit de Catherine Deneuve et Isabelle Huppert

Sandrine Kiberlain

Être actrice, est-ce qu’être immortel laisse une trace ?
C’est jouer avec le -. Il s’agit d’inscrire une image de soi à tous les âges : 20, 30, 40, 50 ans… Mais il s’agit aussi de prolonger sa propre existence en jouant mille autres vies. Meurs un jour, ressuscite le lendemain. Cela dit, si j’y pense, je ne suis jamais mort au cinéma ! C’est mon seul obstacle en tant qu’actrice. Un jour, on m’a proposé un film que j’adorais, mais inconsciemment, je pense que la disparition du personnage m’a fait peur. Je trouve les rôles qu’on me propose souvent trop liés à ma vie et je ne veux pas lui porter de mauvais sort ! Je ne veux pas répéter ma mort à l’écran ni même y penser. C’est une de mes grandes différences avec Sarah, qui jouait l’agonie pas comme les autres. Elle a dû y voir une façon de conjurer le sort. En outre, elle dormait également dans un cercueil et vivait entourée de serpents et de bêtes sauvages.

Une actrice qui incarne la plus mythique des actrices, est-ce le rôle ultime ?
Sur la première page du scénario, il y avait cette citation de Mark Twain : « Il y a cinq sortes d’actrices : mauvaises, passables, bonnes, géniales, et puis il y a Sarah Bernhardt. » Mais il fallait absolument faire abstraction du statut de « monstre sacré » et d’« icône » pour l’aborder avant tout en tant que femme. Quoi qu’il en soit, je me méfie des superlatifs ! Dans ce métier, je dis toujours qu’il ne faut pas croire les critiques élogieuses pour ne pas avoir à croire les mauvaises.

Le mot « star » a-t-il encore un sens aujourd’hui ?
C’est complètement dépassé, sauf peut-être s’il s’agit de Catherine Deneuve et Isabelle Huppert. Les - ont tellement changé. Les réseaux se démystifient, le glamour du noir et blanc a disparu, et nous sommes plus nombreux. Le cinéma cherchant aussi à représenter au mieux notre société, les actrices s’inscrivent moins dans les canons de perfection qui, autrefois, en faisaient des êtres irréels, intouchables. Aujourd’hui, le terme « personnalités » me semble plus approprié : il décrit la diversité et la singularité des profils. Cela dit, les acteurs portent toujours avec eux une part du rêve. Mais, faisant partie de ce milieu, il est normal que je banalise un peu tout ça.

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Il y a trente ans, votre talent explosait Les Patriotes. Qu’est-ce qui vous inspire dans le voyage que vous avez entrepris ?
Je suis ému que tant de cinéastes pour qui j’ai un profond respect m’aient accordé leur confiance : Éric Rochant, André Téchiné, Lætitia Masson, Alain Resnais, Jacques Audiard, Emmanuel Mouret, Jeanne Herry, Bruno Podalydès… Je me réjouis aussi de ne pas ayant toujours cédé à la facilité. Après Les Patriotes, par exemple, on m’a proposé beaucoup de rôles de call girl, mais je ne voulais pas me répéter et j’ai attendu que Lætitia Masson me propose ce rôle de poissonnière dans En avoir (ou pas) pour montrer autre chose, ouvrez l’imagination. Dans ce métier, s’absenter peut aussi coûter cher, mais je l’ai fait parfois le - d’un album de musique ou pour avoir ma fille. Je n’ai jamais lutté avec mes désirs et mes besoins. La vie est parfois ailleurs. Il faut savoir envoyer les bons signaux pour ensuite revenir.

Un regret dans votre carrière ?
Un problème : Claude Sautet écrivait un film pour moi, mais il est parti trop tôt pour le réaliser.

Et vous, quand réaliserez-vous votre deuxième film ?
J’avais peur de recommencer après Une jeune fille qui va bien, ce fut une expérience tellement puissante, à la fois intimement et avec le public. Une nécessité devait émerger. Mais je prends le -. J’ai mille projets en cours. J’écris des chansons avec Alain et Pierre Souchon et je vais bientôt jouer dans deux films : un premier long métrage avec Pierre Lottin comme partenaire, et L’Illustre Inconnu, de Marc Fitoussi, avec Isabelle Huppert. Je joue à nouveau une actrice…

Ce chiffre vous poursuit…
Ce travail, c’est ma vie. Une grande partie en tout cas. Il me rattrape toujours. Dans mon premier film, l’héroïne était actrice, celle du second le sera aussi. Mais l’univers sera très différent. J’ai envie de parler des fantasmes que les gens projettent sur ce métier, et qui sont souvent loin de notre réalité. Ça m’amuse de montrer ce qui se cache derrière la porte, comme je l’ai fait dans mon court métrage Bonne figurine. A la fin d’une soirée, une actrice ne parvenait pas à enlever sa robe de gala et n’avait personne pour l’aider. La goutte d’eau qui fait déborder son océan de solitude. Si j’en crois les appels téléphoniques de mes amies actrices qui l’ont vu, j’ai dû mettre le doigt sur la tête ! Dans la vie, nous sommes comme tout le monde : nous ne montrons pas toujours la voie.

Sarah Bernhardt, la divine, de Guillaume Nicloux, avec Sandrine Kiberlain, Laurent Lafitte… Sortie le 18 décembre.

 
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