Pour fêter ses huit décennies, Michel Polnareff repart en tournée et sort un nouvel album, avec cette chanson en apéritif : Sexcètera. Son dernier titre inédit, L’homme en rougeremonte déjà à 2015. Et, comme il y a presque dix ans, le même sentiment prédomine : une sorte de silence gênant.
En effet, comment l’artiste ayant réalisé des merveilles telles que Vacances, Le bal du farniente, Aime-moi s’il te plaît, aime-moi ou Lettre à la France aurait-il pu poser un tel pigeon musical ?
Victime du wokisme ambiant ?
Car au-delà des arrangements pachydermiques, il n’y a pas de mélodie, et les paroles auraient été meilleures s’il n’y en avait pas eu, Michel Polnareff cédant ici à l’air du temps : « Il m’a dit qu’il n’était pas elle/Elle m’a dit qu’elle n’était pas lui/Elle m’a dit que je suis proche de lui et que mon petit ami est proche d’elle. » Pour trouver un texte aussi stupide, il n’y a pratiquement rien d’autre que Troisième sexed’Indochine ; Cela montre l’ampleur du désastre. Les plus indulgents font le lien avec je suis un hommetél. Le Figaroqui voit ” un sujet sur mesure « . Le problème, c’est que la comparaison n’est pas forcément juste, cette chanson ayant alors, et au contraire, visé à lever toute ambiguïté quant à la sexualité du jeune chanteur androgyne qu’il était alors.
La raison de ce plaidoyer ? On le retrouve dans ses Mémoires, Polnareff par Polnareff (Grasset 2004), écrit conjointement avec Philippe Manœuvre, l’éminent critique rock que l’on connaît : « Le 4 juin 1970, à Rueil-Malmaison, un spectateur saute sur scène, se jette sur moi et me bat. Après m’avoir frappé très bas en dessous de la ceinture, il me frappe au visage. Je tombe à la renverse. Ça m’assomme contre le piano. Panique générale. Les CRS interviennent en matraquant absolument tout le monde, les attaquants, les supporters, les musiciens, les organisateurs. » Bref, toute une époque. Résultat ? Notre homme décide de soulever le fer, tente de sculpter un corps d’athlète, et pratique assidûment le karaté, discipline dans laquelle il devient rapidement ceinture noire.
je suis un homme : les révélations de Pierre Delanoë
Puis, afin de lever toute forme de malentendu sur sa masculinité, il demande au parolier Pierre Delanoë de lui écrire le je suis un homme en question à partir de ce refrain écrit par lui : « Je suis un homme,/Quoi de plus naturel en somme/Au lit, mon style/Correspond bien à mon état civil. » Et son nouvel acolyte en rajoute une couche : « Les gens qui me voient passer/Dans la rue me traitent de pédé/Mais les femmes qui y croient/Il faut juste m’essayer. » Pas très gay-friendlytout ça…
Cité par Christian Eudeline dans son essai Polnareff, le roi des fourmis (Éclipse, 1997), Pierre Delanoë reveals: “ Il était tellement perdu, cette star de Polnareff qui, à ce moment-là, s’effondrait et dont les affiches couvraient les murs de Paris. Il était si pitoyable que je lui ai dit : « Écoute, je vais te faire cette chanson gratuitement et je ne la signerai pas. » Je ne l’ai donc pas signé et je ne le regrette pas. »
Ses fesses sont visibles
En parlant d’affiches, il y en a une autre qui fait pas mal de bruit dans le registre ambivalent, celle de son postérieur – assez mou et plat, mais il débute tout juste sa période sportive – dévoilé lors de son show, Polnarévolutionen octobre 1972. » Tu vois qu’un petit cul peut mener à de grandes choses », rit-il. Interrogés par la télévision, les Français sont divisés. ” Cela me semble un peu ringard, c’est le mot », dit l’un, tandis qu’un autre s’exclame : « Quelle horreur ! »
En décembre de la même année, il est donc condamné par la justice à une amende de 60 000 francs. L’occasion pour lui de se racheter, non sans humour, avec une nouvelle affiche où il pose une nouvelle fois complètement nu, mais de face, avec un chapeau masquant cette virilité qu’il juge offensée. Avec le recul, tout cela semble très enfantin. La nudité et la sexualité, supposées déviantes ou non, étaient alors plus sujettes aux plaisanteries qu’aux thèses académiques, tant savantes que militantes.
Paradoxalement, c’est lorsque Michel Polnareff ne se prenait pas trop au sérieux qu’il écrivit le meilleur de ses chansons. Aujourd’hui, essayant de se laisser emporter par l’air du temps, cette ambition de feuille morte, il aurait tendance à pontifier, enfermé qu’il est dans son personnage d’amiral de l’opérette et, surtout, à ne plus rien avoir. composer inspiré. Quel dommage, à son âge, pour cet artiste surdoué, titulaire d’un premier prix de conservatoire à seulement douze ans et qui, avec sa première guitare achetée, a immédiatement écrit les trois accords qui deviendront La poupée qui dit non. Ce premier succès imposait qu’il soit enregistré à Londres avec, comme musiciens, pas moins que Jimmy Page et John Paul Jones, futurs fondateurs du groupe Led Zeppelin.
Le reste est à la hauteur, telle est son exigence artistique. Ses compositions sont d’une beauté époustouflante, surtout lorsqu’il touche au jazz, avec Né dans la glaceou des arrangements symphoniques à l’occasion de Au revoir Marylou. Alors, beaucoup soit pardonné à celui qui nous a tant donné. Ce qui n’empêche pas de se poser la question de savoir comment un tel artiste a pu tomber si bas dans l’autosatisfaction la plus gonflée. C’est peut-être là le mystère de Michel Polnareff.
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