Vous publiez le texte du dîner des idiots, minutieusement annoté de la main de votre père. Que nous disent ses notes sur sa personnalité ?
Ils nous racontent son travail acharné, ce côté très chirurgical qu’il avait dans le travail de ses rôles. Pour lui, la comédie était sérieuse, surtout lors des répétitions. La création de Dîner pour les idiotsen 1993, c’est tout de même Francis Weber, auteur de haute précision. Vous savez, pour bien jouer un idiot, il faut travailler ! Il y a deux ans, le professeur de français a annoncé à mon fils, alors en troisième année, qu’il allait étudier Le dîner des idiots. J’ai transmis le texte annoté au professeur, pour enrichir son cours. Il a non seulement donné deux heures de cours sur la pièce, mais encore deux heures sur les annotations expliquant le travail de l’acteur. Il me semblait nécessaire de lui rendre hommage, ce qui se faisait rarement à l’époque.
Et vous aviez aussi des répétitions live à la maison ?
Mon père était vraiment un travailleur acharné. Dès qu’il abordait un rôle, le texte était connu, ainsi que le scénario, dans son intégralité. Il connaissait également les dialogues de ses partenaires. Il était donc en répétition constante. Il a travaillé sa voix, en faisant des vocalisations tous les matins. Cela m’a réveillé lorsqu’il est passé devant ma chambre pour aller dans la cuisine. Il a choisi les dialogues pour réchauffer sa voix, qui font d’ailleurs souvent la une de la presse du jour. Il est né avec ce métier en tête. Il a toujours voulu être acteur. Très jeune, il faisait déjà des imitations.
Avec des rôles souvent drôles, mais qui contrastaient avec une personnalité plus sombre ?
Nous sommes tous un peu névrosés. Mais si tout se passe bien, nous n’avons rien à dire. C’est le défaut. Ayant été adopté, il a voulu connaître ses véritables origines. Il les a connus très tard. Cela l’a tourmenté toute sa vie. C’était une quête de connaissance. Il a cependant eu une vie de famille très riche, avec des parents aimants. Raymond, mon grand-père était un grand homme, qui lui a donné une véritable éducation. Moi-même, Jacques Villeret m’a adopté quand j’avais 3 ans, et c’était mon père, sans autre question pour moi.
Justement, quel père était-il ?
Quand il ne jouait pas, il était normal. C’était un père qui élevait son enfant. Il jouait avec moi et surveillait de très près mes devoirs. Il était strict et a délibérément agi de manière excessivement sérieuse en me faisant répéter mes tables de multiplication. Il m’a élevé dans le respect des autres, pour dire bonjour, au revoir. Quand il ne travaillait pas, c’était une personne heureuse. Mais le problème d’un acteur qui traverse des périodes sans jouer, c’est qu’il a l’angoisse d’avoir un point bas, de ne plus être sur scène, de ne plus être aimé. Cela reste toujours dans un coin de son esprit.
A-t-il souffert de projeter l’image d’un acteur qui doit forcément être drôle ?
Souffrir, le verbe est trop fort. Dans certains rôles, on identifie évidemment l’acteur au personnage qu’il incarne. Si vous êtes naïf et stupide dans un rôle, le spectateur imagine souvent que vous l’êtes dans la vie… Mon père était une personne assez réservée, modeste, bienveillante. Il n’était pas du tout prétentieux. Il était proche de la nature et aimait la pêche, par exemple. Nous avons pêché en Touraine, sa région. Nous avons ramené le poisson à la maison et il l’a préparé car il cuisinait très bien. Le grand-père chassait et organisait de grands repas avec ce gibier. C’est pourquoi mon père est si naturel Les enfants du marais. Il était dans son élément. Il est d’ailleurs enterré là-bas, à Perrusson.
Il véhicule l’image d’un personnage concerné. Et puis il y avait sa dépendance à l’alcool…
Nous savons comment il est parti. C’était écrit. Nous étions évidemment inquiets. L’alcool est une maladie et il y a eu des moments très difficiles. Il était passé de l’autre côté… Il était tristement ivre, et ce sont des moments dont on n’a pas forcément envie de se souvenir. Quand il est mort, il y a vingt ans, beaucoup de choses ont été écrites, beaucoup de choses ont été dites. Ce avec quoi je n’étais pas forcément d’accord. Nous avons toujours eu une grande modestie concernant la vie privée. Il nous a protégés et il n’y a jamais eu de reportage sur nous dans les journaux.
Qui étaient ses vrais amis dans le métier ?
Ceux du Conservatoire. Il y avait Daniel Russo, Jean-François Balmer, Jean-François Stévenin, Jacques Weber, Francis Huster. C’était la bande des premiers films et on les voyait souvent à la maison. Ils sont restés fidèles l’un à l’autre. Et je n’oublie pas Claude Lelouch, qui a fait partie de mon enfance et qui lui a offert ses premiers rôles et l’a révélé avec Robert et Robert, Le bon et le mauvais, L’un l’autre, ET Dith et Marcel…
Malgré une carrière riche et convaincante, il a été rejeté par deux stars majeures du cinéma français… Pourquoi ?
Parce que le courant ne passait pas. Pour La ChèvreFrancis Weber a d’abord choisi Lino Ventura et mon père. Mais Ventura ne veut pas de mon père… Je suppose que ce sentiment n’était pas là. Finalement, ils ont été remplacés par Gérard Depardieu et Pierre Richard. Et je pense que c’était mieux. Le deuxième qui ne voulait pas de lui fut Montand lorsque Jacques fut choisi par Claude Berri pour interpréter Ugolin. Pour lui, c’était horrible, car il avait été embauché ! Jean de Florette et Manon des sourcesc’était une année de tournage et il avait refusé toutes les autres offres pour se consacrer à ce gros projet. Berri a eu le courage de venir le voir pour lui dire. Mon père était dévasté et il a encore plus de problèmes.
Son addiction a empoisonné sa vie privée, mais sa carrière aussi ?
Toute addiction empoisonne la vie, car elle s’empare de tout. Et dans ce métier, il y a toujours des gens pour le rappeler. Bien sûr, il a travaillé jusqu’au bout, mais on voit qu’à la fin, malheureusement, il est moins bon. Cela dit, nous ne sommes pas toujours au top. Sur scène, pour Le dîner des idiotsJe sais qu’il n’a pas toujours été le même. Le spectateur ne s’en rend pas compte, mais quand on connaît bien les gens, on sait quand ils sont un peu en dessous. Je n’osais pas trop lui en dire parce qu’on me criait dessus. Cependant, il m’a demandé mon ressenti, sachant comment il avait joué ; il fallait faire attention à lui dire.
Quel rôle aurait-il rêvé de jouer ?
Je pense qu’il avait envie de réaliser parce qu’il commençait à vouloir passer derrière la caméra. Et on aurait aimé le voir dans des rôles plus dramatiques. A un moment donné, il travaille avec Jean-Luc Godard, avec l’idée d’écrire quelque chose ensemble. Et chaque fois qu’il rentrait à la maison, il disait : « Je me sens tellement bête à côté de lui… »
A lire : Le dîner des idiots, annoté par Jacques Villeret (éditions Fayard) 248 pages, 24,90 euros
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