Après quelques années de travail dans la publicité à Montréal, Mathyas décide de tout laisser derrière lui et de se réinventer en tant que berger. Le jeune homme est déjà en Provence lorsqu’on le retrouve dans le nouveau film de Sophie Deraspe, intitulé Bergerset d’après le roman semi-autobiographique de Mathyas Lefebure D’où viens-tu, berger ?. L’odyssée de Mathyas est ponctuée de rencontres marquantes, à commencer par celle avec Élise, une jeune fonctionnaire qui va le rejoindre dans sa nouvelle vie à la fois plus simple et plus dure. En entrevue, Félix-Antoine Duval et Solène Rigot, les acteurs de Mathyas et Élise, parlent de ce magnifique long métrage qui a récemment fait ses débuts à Cinemania après avoir été sacré meilleur film canadien au Festival international du film de Toronto (TIFF).
Pour l’actrice et musicienne française Solène Rigot, la découverte du scénario de Bergersco-écrit par Sophie Deraspe et Mathyas Lefebure, s’est fait en parallèle de celui deAntigonele précédent film du cinéaste québécois.
Trajectoires opposées
«Quand on m’a envoyé le scénario de Bergers Avant les épreuves, je l’ai lu très vite, car j’ai beaucoup aimé l’histoire, elle m’a captivée, raconte Solène Rigot. Et donc, j’étais très curieux de voir à quoi ça pourrait ressembler, une fois réalisé par Sophie, d’où mon envie immédiate de voir ce qu’elle avait fait auparavant. L’alliance des deux, le scénario de Bergers et le film Antigoneça m’a vraiment époustouflé. »
Vu dans Saint-Narcissede Bruce LaBruce, Félix-Antoine Duval se dit également séduit par le scénario, puis le roman, lu plus tard. Mais c’est une qualité spécifique du scénario qui lui a valu son adhésion.
“J’ai aimé l’histoire en tant que telle, mais c’est surtout sa simplicité qui m’a séduit”, révèle le comédien. Par exemple, il n’y a pas de flashbacks qui nous expliquent ce qui s’est passé dans la vie antérieure de Mathyas : on n’adopte pas cette approche-là, et ça fait du bien. Sauf qu’en même temps, j’avais conscience qu’il manquait quelque chose. J’ai mieux compris certains éléments une fois le tournage commencé, comme pour tout ce qui touche aux animaux. »
En discutant avec Michel Benizri, qui incarne Hamed, un berger colérique qui enseigne à Mathyas les bases du métier, Félix-Antoine Duval a aussi compris quelque chose de fondamental.
« Dans le transport qui nous a emmenés un matin sur le lieu du tournage, Michel a engagé la conversation et nous avons commencé à discuter de nos personnages. »
Son partenaire de jeu explique alors à Félix-Antoine Duval que Hamed est un immigrant qui exerce ce métier non pas tant par choix que parce qu’il ne peut probablement pas faire autre chose. La vie de Hamed a probablement été ponctuée de drames. D’où, sans doute, le fait qu’Hamed s’appuie sur un dieu, pour que ses malheurs aient un sens. Athée et désinvolte sur les questions religieuses, Mathyas va susciter les foudres de son aîné.
« En écoutant Michel, j’ai pris conscience à quel point les trajectoires de nos personnages étaient contraires, et combien cela m’avait échappé à la lecture du scénario », note Félix-Antoine Duval. D’un côté, vous avez Hamed, dont la vie a probablement été gâchée d’une manière que nous, Nord-Américains confortables et somptueux, ne pouvons pas imaginer. Et de l’autre, vous avez Mathyas, qui avait tout ce dont Hamed rêvait et qui y a volontairement renoncé. La notion de « choix » n’est pas la même pour eux, car leurs réalités sont diamétralement opposées. »
Face à ces « réalités diamétralement opposées », la collision est inévitable. Voilà donc Mathyas et Élise quittant une première ferme et se retrouvant dans une seconde. Ce qui les mènera, dans la troisième partie du récit, aux pâturages, dans les montagnes. Après la tension, place à la plénitude.
Pourtant, les hommes, comme la nature, restent imprévisibles, comme le rappellera le couple de bergers néophytes. Ainsi, un personnage solaire saura révéler une face sombre lorsque le malheur surviendra de manière inattendue.
« Chaque personnage est entier, qu’il apparaisse peu ou qu’il soit très présent », remarque Solène Rigot. J’ai adoré le fait que la mienne, Élise, soit fonctionnaire, mais c’est un choix. Ce n’est pas quelque chose qu’elle endure : c’est un choix de vie accepté. Ce qui ne l’empêche pas momentanément de tout quitter pour partir à la montagne. Elle se précipite dans la découverte, dans l’inconnu… J’ai trouvé ça très juste et très beau. Cela m’a fait penser à cette théorie de la basket-fiction, d’Ursula Le Guin, qui nous éloigne de la narration héroïque traditionnelle : comment raconter une histoire dénuée d’acte héroïque, mais qui n’en est pas moins passionnante, et où il y a beaucoup de il se passe des choses. Bergers entre sérieusement en jeu, à mon avis. »
Franchise et lucidité
Contrairement à leurs personnages, Félix-Antoine Duval et Solène Rigot ne sont pas arrivés sur le plateau, au milieu d’un troupeau de moutons, sans s’être préparés un peu à l’avance.
«Je suis arrivé une dizaine de jours avant le tournage, afin de m’acclimater et de passer du temps avec les moutons, de créer du lien avec mon chien de berger», raconte Félix-Antoine Duval. J’ai été très impressionné la première fois que je suis entré dans une bergerie : voir ce troupeau se déplacer comme un courant d’eau est particulier. Mais j’étais dans une situation privilégiée, car je jouais quelqu’un qui arrive, qui connaît très peu et qui apprend au fur et à mesure. Et comme nous avons presque tout tourné dans l’ordre chronologique, c’était parfait : j’ai pu me perfectionner pendant le tournage. »
Même son de cloche chez Solène Rigot : « Il y a toujours une préparation, ne serait-ce que pour apprendre à attraper les moutons, et surtout s’habituer à leur présence. Apprenez les gestes, apprenez à vous sentir en confiance parmi tous vos animaux et sachez les aimer… »
Après une pause, Solène Rigot poursuit, pensive : « Rencontrer de vrais bergers, c’était extraordinaire : discuter avec eux, comprendre ce qu’est pour eux ce métier… Ils ont cette franchise et cette lucidité, car ce mode de vie même s’il peut être un choix, il tout n’est pas forcément rose. C’est un métier et une passion, mais cela peut parfois être écrasant. »
Des propos qui rappellent ceux de Sophie Deraspe, qui nous confiait dans une précédente interview réalisée au TIFF : « J’en ai eu une intuition dès le roman, mais c’est en étant là que j’ai compris à quel point les bergers sont des gens qui ont choisi de s’extraire du monde – pour mener une vie en dehors du matérialisme, parfois avec un discours politique anticapitaliste, mais pas toujours. Devenir berger reste un choix radical, à notre époque. »
En définitive, le film de Sophie Deraspe affiche cette même « franchise » et cette même « lucidité » décrites par Solène Rigot.
Néanmoins, pendant le tournage, il était difficile de ne pas être purement admiratif, raconte Félix-Antoine Duval, devant l’environnement de travail des personnages, notamment pour le volet final, en montagne.
Pour conclure l’acteur : « Le paysage était tellement magnifique… On ne se lassait pas d’admirer ce paysage. Vous avez regardé et médité instantanément. Et cet air pur… C’était vraiment une expérience splendide. »
Le film Bergers sort en salles le 15 novembre.
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