Directeur (Mais tu es fou, L’événement et Emmanuelle) mais aussi un scénariste distingué et prolifique (Amour ouf, La Française, Ami-ami, Amour et forêts, Bac Nord, Barbès, Petite Algérie), Audrey Diwan sait aussi faire preuve d’une grande intelligence dans ses prises de parole dans les médias. Elle a récemment accordé une interview sans détour au magazine Tsunamidans lequel elle revient au “malentendu” quel est son dernier film, Emmanuellequ’elle a récemment réalisé, mais aussi sur la polémique Bac Norddont elle annonce pour la première fois qu’elle se désolidarise. Un entretien rare et précieux dans un secteur souvent rigidifié par des junkets minutieux et des entretiens très contrôlés, dont nous résumons ici l’essentiel.
Son dernier long-métrage, relecture gratuite du roman Emmanuellea été reçu avec un enthousiasme très mitigé, dont elle assume la responsabilité, admettant que la lecture qu’elle proposait était « effectivement impossible ». « A part dix-sept personnes qui sont dans ma tête et perçoivent le monde exactement comme moi, personne n’a fait cette lecture du film… Peut-être, pour que je sois audible, il n’aurait pas fallu appeler Emmanuelle pour commencer »» concède avec beaucoup d’honnêteté Audrey Diwan dans les colonnes de Tsunami.
Elle met aussi le doigt sur le principal défaut du film selon nous, une surintellectualisation de son sujet, devenu totalement opaque pour les spectateurs. «Je pense que j’en ai mieux parlé que je ne l’ai montré, et c’est un autre piège. J’en porte la responsabilité. Par ailleurs, nous avons rencontré des signes de résistance des marchés qui auraient dû nous alerter. Beaucoup de nos interlocuteurs nous ont dit ne pas comprendre le projet. Je crois à la vertu de l’erreur. J’aurais appris à mes dépens.
Dans cette même interview, Audrey Diwan s’exprime également pour la première fois sur Bac Nordqu’elle a écrit avec Cédric Jimenez, réalisateur du film mais aussi son ancien compagnon de ville, qui a accouché dans des conditions douloureuses.
“Je ne voulais pas écrire ce film, je n’étais pas censé le faire en premier lieu, Cédric [Jimenez, ndlr] j’ai dû l’écrire seul pendant que je travaillais dessus L’événement. A l’époque, nous étions ensemble. […] A la fin de l’été, il m’a dit qu’il n’aimait pas beaucoup le film et que ce serait mieux que je l’accompagne. Nous avons eu une grande discussion sur ce que la police représente dans notre société. Je lui dis que je ne suis pas à l’aise avec le sujet. […] On a écrit le film ensemble, ça s’est très mal passé car en couple, on n’était plus d’accord sur grand chose et on s’est séparés pendant l’écriture. Je termine la première version, je crois qu’on me demande encore de passer à la version suivante, mais nous sommes en pleine séparation. C’est l’enfer.
Elle revient également sur la polémique suscitée par le film au Festival de Cannes, lorsque, lors de la conférence de presse, Fiachra Gibbons, une journaliste irlandaise employée par l’AFP, a osé dénoncer la représentation caricaturale des banlieues dans le film. « Nous sommes dans une année électorale. J’ai vu cela avec un regard extérieur et je me suis dit : peut-être que je voterai Le Pen après cela. Les habitants des villes sont considérés comme des bêtes. »» a-t-il dit à l’équipe de tournage, de manière hilarante.
Pour illustrer un questionnement plus global sur la place du scénariste, sa responsabilité ou son adéquation au film final, Audrey Diwan revient sur sa vision initiale de Bac Nord et son désaccord total avec sa version finale. “J’étais très en colère à cause du décalage de sens entre ce que j’avais proposé et le film que j’ai vu”elle avoue.
« La polémique est partie de cette scène où l’on voit un gamin casser une voiture, être emmené par les flics et jeté dans un véhicule de police. […] Le journaliste critique à juste titre un terrible amalgame entre trafiquants de drogue et habitants des villes. […] Dans la version finale, les enfants de la ville sont dépeints comme des délinquants. Mais évidemment, il aurait fallu donner du temps à cette histoire, raconter la mère, puis la chasse, le baby-foot, la réaction de l’enfant… Ici pour moi, la réécriture cède la place au raccourci et à la logique de l’action, au détriment de signification.”
L’intégralité de cette longue interview, qui aborde également la complexité de l’économie du cinéma, est à retrouver sur le site de Tsunami.
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