Benjamin Voisin revient dans « Guerre »

Benjamin Voisin revient dans « Guerre »
Benjamin Voisin revient dans « Guerre »

Un grand acteur peut faire des miracles. Par sa seule propension à se laisser posséder par un texte, une situation, un personnage, il a le pouvoir de vous emmener où il veut. Benjamin Voisin possède les clés de cet art. A Avignon puis au Petit Saint-Martin à Paris, dès son entrée en scène, le silence était total. Depuis près d’une heure et demie, pas une seule toux.

Il en sera forcément de même au Théâtre de l’Œuvre à partir du 8 janvier pour sa reprise de Guerre, adapté du livre posthume de Louis-Ferdinand Céline (de son vrai nom Destouches). Plongé dans l’horreur, il est parfois charmant, provocateur, désespéré. Il renifle, lui attrape l’entrejambe, crache par terre, te met dans une tranchée, un hôpital, un bar, une maison close. Mais cela vous fait inévitablement sortir de vous-même.

Le besoin de ressentir « l’humanité puis le silence »

Et une fois le spectacle terminé, il redevient instantanément simple et direct, comme avant le tumulte. A Sarlat, où il a fait un rapide déplacement en novembre dernier pour présenter Jouer avec le feu – un film qui sort le 22 janvier et pour lequel Vincent Lindon a reçu la Coupe Volpi du meilleur acteur à Venise – c’est à la terrasse d’un restaurant situé dans une rue piétonne qu’il vous a donné rendez-vous.

Pantalon marron, col roulé blanc, cheveux rejetés en arrière, il ne sait pas encore que quelques heures plus tard, le festival le distinguera du prix d’interprétation masculine pour le rôle de ce jeune homme soucieux de ne pas égaliser la réussite scolaire de son frère et qui s’inscrit dans un groupe identitaire.

A peine assis, Benjamin Voisin s’étonne qu’on ne soit pas venu “dis bonjour” comme il le dit, quand nous avons découvert Guerre lors des représentations de l’année dernière au Petit Saint-Martin. Quand on lui dit qu’on n’a pas osé, il rigole : il aurait fallu le faire pour le voir “plein de vie”. « Il y a quatre heures, je suis à peine en vie. Les dix premières minutes sont extrêmement fatigantes et je n’ai pas envie de les jouer. Mais pendant la représentation, j’aime tellement ce spectacle, qu’à l’intérieur j’y trouve du plaisir. »

Emporté par la passion, il explique comment il se met en forme : « En fait, j’arrive sur scène derrière le plateau dès que la première personne du public s’assoit. Cela me charge de vie et, comme pour les musiciens, cela me donne le buzz de la salle. Parce que le public m’aide beaucoup dans le jeu : j’ai besoin de ces petits bruits qui s’ajoutent les uns aux autres, de ressentir l’humanité puis le silence. Et maintenant, je suis prêt à jouer. »

Lors de l’installation, il effectue des mouvements, « Jamais pareil, perdre l’intelligence et retrouver l’animalité nécessaire dans les dix premières minutes. Je transpire, je suis toute émue, il n’y a plus de pensées, le cerveau est très loin derrière et je le retrouve au bout d’un quart d’heure de spectacle. »

La recherche du monologue

Mais pourquoi cet acteur-né, pour qui se battent François Ozon, Rupert Everett, André Téchiné ou Mélanie Laurent, lui qui a reçu le César du meilleur espoir masculin en 2022 pour Illusions perduesva-t-il ainsi se mettre en danger dans une seule scène hyper-physique adaptée d’un auteur controversé ?

« Avec mon grand-père, j’avais vu Sami Frey dans Premier amour par Samuel Beckett. Il y a joué pendant dix ou quinze ans. Depuis, j’ai toujours recherché un monologue pour le théâtre que je pourrais alterner avec le cinéma. Lorsque le réalisateur Benoît Lavigne a su qu’il allait avoir les droits de Guerreil m’a contacté. Gallimard a eu l’intelligence de vouloir un acteur de l’âge du héros. J’ai passé une audition, j’ai sans doute trop joué mais il fallait que je montre les différents registres que je pouvais donner. A la fin il m’a dit : “ça me convient”. C’est fou comme un texte aussi violent, acerbe mais aussi sentimental peut me remplir de poésie par moments. La fin me touche forcément, je me dis : putain, il sait finir une pièce ! »

Son rapport au théâtre, aux textes, on le connaît ou, le cas échéant, on le devine. Mais lui qui déclare volontiers son admiration pour l’auteur Céline, que pense-t-il de l’homme ? « C’est horrible de te dire qu’un écrivain qu’on aime tant est une merde ! Je dois oublier l’homme pour le lire. »

A quelques jours de la reprise des performances marathon de Guerre qui a déjà reçu le prix Laurent-Terzieff du meilleur spectacle présenté dans un théâtre privé, ce presque trentenaire, lauréat du prix Lumière de la meilleure révélation pour Été 85nécessite un entraînement fou. « Depuis début octobre, j’en fais une fois par jour pendant mon sport. Dès que je tombe sur un passage, J’y travaille. Par peur des pertes de mémoire ? “Je sais que ce n’est pas le moment de citer Gérard Depardieu, mais il m’a dit : “Plus tu es proche du black-out, plus tu es vrai”. »

“Moins de peur, moins de besoin d’exister”

L’acteur sait si parfaitement partager vie et travail que sur cette terrasse où l’on sirote une bière, il prend aussi le temps de demander à la serveuse comment elle va. Et puis il serre la main du chauffeur de taxi qui l’avait emmené la veille à l’aéroport de Brive. L’homme le reconnaît et dit : « Ce garçon est vraiment bon. » Même cordialité pour un septuagénaire du Havre qui vient interrompre une troisième fois notre entretien : « Etes-vous Benjamin ou son double ? » « Les deux, madame ! « .

Parallèlement à la reprise de GuerreBenjamin Voisin assurera la promotion de Jouer avec le feu, où il joue aux côtés de son ami Stefan Crépon et Vincent Lindon. “Ça s’est très bien passé avec Vincent car il appréciait le fait que je ne sois pas sur les réseaux sociaux, que je faisais du théâtre et que je m’impliquais dans des films assez exigeants. »

Et pourquoi pas une tournée avec Guerre ? « Pour l’instant, même s’il y a une demande pour la province, je ne peux pas envisager de parcourir longtemps le pays avec ce texte. Cela demande beaucoup d’énergie et si vous m’envoyez seul de ville en ville, je pourrais finir par devenir vraiment mauvais. Dans un monde parfait, j’aimerais que quelqu’un m’appelle et me dise : « Ne vous l’avons-nous pas dit ? Mardi, vous jouez la pièce. « Ce serait génial ! Mais là, sachant que je suis au même endroit tous les jours, avec les bruits de guerre que j’entends même dans mon sommeil et ces dix kilos que je perds entre le premier et le dernier rendez-vous, ce n’est pas possible”, il confie. « En tout cas, mon agenda est fermé jusqu’en mars 2027 avec, entre autres, neuf mois de tournage pour la série Carême. »

Décidément très occupé, Benjamin Voisin est plein de vie et d’intensité, comme dans Guerre. « Je vais encore la chercher, cette énergie. Aujourd’hui, j’ai besoin de quatre heures de préparation pour faire ressortir l’enthousiasme que j’avais à 18 ans. En tant qu’acteur, je suis beaucoup plus stable qu’il y a un an. J’ai moins de peur, moins de besoin d’exister, moins d’envie de me comparer aux autres, je n’ai pas besoin d’être appelé pour être rassurée, je suis beaucoup plus apaisée. Le grand producteur Jean-Louis Livi m’a dit un jour : « Je n’ai jamais vu un acteur heureux. » J’ai répondu : « Je vais m’en occuper. » Il a conclu : « Je crois que tu peux, Ben. » »

« Guerre », 1h25, du 8 janvier au 2 mars au Théâtre de l’Œuvre à Paris

Bio express

> Né en 1996 à Paris.

> Il fait ses débuts au cinéma en 2017 dans le film « Bonne pomme », de Florence Quentin, aux côtés de Catherine Deneuve et Gérard Depardieu.

> En 2018, il participe au long métrage « The Happy Prince », de Rupert Everett.

> Sa notoriété a explosé en 2020 avec le drame « Été 85 », de François Ozon.

> En 2022, il remporte le César du meilleur espoir masculin pour son rôle dans le film « Illusions perdues » de Xavier Giannoli.

 
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