Dans votre premier film, vous filmez le Jura, la région où vous avez grandi. Etait-ce important pour vous ?
C’est important, pour moi, que ces gens soient représentés. J’avais envie de parler d’eux, de la façon dont ils me touchent. Ce sont des gens avec qui j’ai grandi et que j’ai un peu laissé derrière moi en partant étudier, même si je suis revenu y vivre. J’avais envie de parler de ceux qui ne sont pas partis, de parler de cette jeunesse un peu abîmée, mais qui est aussi pleine de force et de surprise.
Comment imaginiez-vous Totonne, ce gamin contraint de devenir adulte trop vite ?
Plusieurs de mes camarades du village m’ont inspiré par l’énergie du personnage. Et pour ce qui lui arrive… C’est vrai qu’en grandissant, j’ai souvent été confronté à des accidents de voiture, des gens mouraient sur la route parce qu’ils buvaient trop. J’ai réalisé qu’en ville, les gens ne vivaient pas du tout ce genre d’expérience. Très jeune, j’ai perdu des gens de mon âge. Nous n’avons pas du tout le même rapport à la mort, ni à la manière de la vivre. Les gens que j’ai observés autour de moi ne sont pas introspectifs. On va rarement chez le psychologue à la campagne. Il n’y a aucun lien avec l’analyse de nos sentiments. Je voulais raconter comment les faiblesses n’apparaissent pas là où on les attend forcément, raconter le deuil autrement.
Totonne et ses amis décident de faire du Comté dans un chaudron au feu de bois. Qu’est-ce que cela dit du rapport à la tradition de cette jeunesse par ailleurs très moderne ?
J’aime l’idée de les mettre dans une production artisanale, physique, avec le système D. Le mélange entre quelque chose d’un peu bucolique, de rural, de tradition et tout ça, et, en même -, quelque chose de très moderne. Ces contrastes représentent assez bien les campagnes que je connais, où persiste un rapport très fort aux traditions. Il raconte cette ruralité que j’aime.
« La Part des Anges » : Opération Single Malt
Le sujet de Vingt dieux c’est dur. Pourtant, c’est une comédie. On est plus proche de Ken Loach que des Dardennes…
En effet, je trouve que Ken Loach le fait très bien, en La part des anges par exemple, où il trouve un très juste équilibre entre une réalité sociale difficile et des lieux de légèreté, car c’est aussi la vie. Il y a quand même des endroits très drôles dans des moments très sombres. Je ne voulais pas du tout écraser ces personnages, mais plutôt les emmener vers quelque chose de plus léger. Il ne s’agit pas du tout de rendre moins grave ce qui leur arrive, mais de permettre des moments de légèreté dans leur parcours.
Était-il important d’être à la bonne hauteur par rapport à eux, de ne jamais les mépriser ?
C’était la base. J’avais l’impression d’être au bon endroit pour écrire ce film, car je parle vraiment de la jeunesse que j’ai eue. J’ai pu observer de très près ces personnes dont je parle. Je suis allé au bal avec eux ; J’ai participé à toutes ces fêtes de village. Du coup, j’ai pu glisser tous ces détails que j’ai vécus pour enrichir l’écriture.
mouettePour la plupart, le cinéma ne les fait pas rêver.
Comment avez-vous recréé ces scènes de bal et de stock car ?
La première, celle du ballon, a été recréée de toutes pièces. J’adore les scènes chorales, où il y a beaucoup de personnages, où plusieurs enjeux se déroulent en parallèle. J’aime le contraste qui se crée avec des scènes très intimes, où il n’y en a que deux, où il ne se passe rien. Pour recréer le ballon, rien n’a été laissé au hasard. Ma sœur était la décoratrice du film. Elle a grandi avec moi, connaît très bien la région. Je savais qu’elle mettrait les bons détails aux bons endroits pour qu’on croie en cet univers. Pour le stock car, en revanche, nous avons fait moitié fiction, moitié documentaire. Nous avons fait une fausse course et une vraie course et nous avons mélangé les deux. Nous avons donc travaillé main dans la main avec les pilotes. C’était assez amusant à faire…
Comment avez-vous trouvé les jeunes comédiens, notamment votre acteur principal Clément Faveau ? Leur accent était-il important ?
C’est notamment pour l’accent que j’ai souhaité un casting non professionnel. Je voulais que ce soit les accents, mais aussi les physiques, les manières de bouger et qu’ils se reconnaissent aussi un peu dans les personnages. Je suis donc allé lancer tous les bals, courses de stock car, courses de tracteurs tondeuses, courses de motocross… Tout ce que je pouvais trouver autour de moi. Pour la plupart, le cinéma ne les fait pas rêver. Ils n’essaient pas du tout de me plaire. Cela les rend très authentiques, mais il fallait vraiment leur donner envie de faire le film, car c’est un investissement important pour eux. Surtout pour l’acteur principal, qui a quand même tourné pendant deux mois, plus répétitions en amont. Il avait vraiment cette personnalité assez proche du personnage : un peu vif, colérique et, en même -, très fragile par endroits, avec un physique intéressant. Il avait un instinct de jeu assez naturel. Après, il suffisait de le diriger, de le diriger. Mais ils sont très attachés à leur vie agricole. L’acteur principal a son projet tout tracé dans une ferme ; il s’occupe des volailles. J’aime qu’ils soient ancrés quelque part et qu’ils puissent choisir de s’aventurer dans le cinéma s’ils sont intéressés ; mais que ce ne soit pas une issue de secours quelque peu périlleuse.
mouetteLes jeunes parlent un peu comme les vieux à la maison.
Concernant le titre « Vingt Dieux », c’est une expression un peu dépassée. Pourquoi ce choix ?
En écrivant, j’écrivais tout le - « Vingt dieux »parce qu’en fait tout le monde le dit tout le -. D’ailleurs les acteurs, j’ai dû les calmer un peu, parce qu’ils disent « Vingt dieux » vraiment tout le -. C’était trop. C’est plus quelque chose qui se dit oralement plutôt que par écrit. Mais les jeunes parlent un peu comme les vieux chez nous. Il y a vraiment quelque chose de drôle. Je pensais que ça leur convenait bien…