La nouvelle vie d’Adèle Haenel

La nouvelle vie d’Adèle Haenel
La nouvelle vie d’Adèle Haenel

On a retrouvé Adèle Haenel à Clermont-Ferrand, sur la scène de la Comédie, devant 300 spectateurs. Assise dans le noir au volant d’une voiture inondée de fumée, elle mange des chips. Son personnage, Clara, est accompagné de son frère, Félix. Ils ont dansé toute la nuit lors d’une fête ; l’heure tardive est remplie de réminiscences douloureuses d’une enfance brisée par l’inceste. Vie supplémentairemis en scène par Gisèle Vienne, est une performance physique, visuelle et sonore exigeante, déconcertante, agressive, une expérience dont on ressort épuisé.

La pièce, ses dialogues, autant que ses (longs) silences, dénoncent les ravages des violences sexuelles sur la santé mentale. ” C’est effrayant de parler ; ce n’est pas le silence qu’on brise, c’est un ordre du monde » : une réponse adaptée à celle qui fut l’une des premières en à dénoncer le tabou des violences sexistes ou sexuelles (SGBV) et à remettre en cause la responsabilité de chacun dans sa propagation.

MeToo : le 7ème art face à la sévérité des Français

En 2019, elle porte plainte contre Christophe Ruggia, le réalisateur de son premier film, Les Diablesqu’elle accuse d’agression sexuelle. Elle rapporte des faits commis alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans », touchant » répéta-t-il sur le « cuisses » et « le torse “, de la ” baisers forcés dans le cou “, et ” harcèlement sexuel continu », décrit-elle à Mediapart, ce que Ruggia a toujours démenti.

Quatre mois plus tard, lors de la cérémonie des César, elle criait « Honte! » à l’annonce de la victoire de Roman Polanski. Son geste, salué par les féministes, moqué par les partisans de Polanski, est résumé par l’écrivain Virginie Despentes dans un slogan repris à chaque rassemblement militant : « On se lève et on s’arrête ».

Cette année-là, Haenel joue dans trois films et s’apprête à jouer dans le nouveau projet de Bruno Dumont, L’empirequand l’épidémie de Covid arrête tout. ” En 2022, je retrouve Adèle Haenel, très en colère contre moi, même si jusque là, on s’entendait très bienexplains the director in Télérama. Elle voulait changer le scénario […]m’accusant notamment d’être raciste parce que je ne tournais qu’avec des blancs. »

L’intersectionnalité des luttes trouve sa nouvelle égérie, Adèle Haenel reprend le combat » antiraciste » qu’elle estime devoir ajouter à son féminisme. En 2020 déjà, elle accompagnait Assa Traoré, la sœur d’Adama, décédée lors d’un contrôle policier, au premier rang des manifestations contre les violences policières.

Incels : la haine des femmes comme seul refuge

L’artiste convoité et le militant antisystème se sont rapprochés, liés au sein d’un groupe de militants qui échangent sur WhatsApp et se mobilisent autour des mêmes causes. Assa Traoré dit : « Adèle est un soutien constant. Elle est déterminée. Il y a une solidarité entre nos luttes. Elle aurait pu rester une star de cinéma égocentrique, mais elle a choisi de se montrer solidaire et engagée.. » Les actrices Nadège Beausson-Diagne et Aïssa Maïga sont issues du même cercle, Haenel participe au documentaire de cette dernière sur la représentation des femmes noires dans la fiction. A l’unisson de ces femmes d’origine africaine, la nouvelle Jeanne Moreau du cinéma français reprend les arguments de l’indigénisme selon lesquels, en France, la discrimination est omniprésente et structurelle.

À gauche de l’extrême gauche

Une autre rencontre vient changer sa vie : Gisèle Vienne, figure de proue du théâtre expérimental, également impliquée, qui cible (dans le magazine de mode pas franchement anticapitaliste Nombre) « une partie du cinéma grand public qui place de manière récurrente les hommes blancs comme les sauveurs du monde. C’est le bras droit de l’ordre capitaliste existant « . En 2020, Vienne confie le premier rôle de la pièce à celle qui est devenue sa compagne L’étang. Un succès d’initié qui emmène le couple en tournée au Québec. ” Je ne peux pas me battre pour que toutes les vies soient respectées et contribuer à un cinéma qui participe à l’oppression », declares Haenel to Le Parisien, in a Bourdieusian enthusiasm, coming to present in Cannes a documentary taken from Retour à Reims by sociologist Didier Eribon.

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Elle dit lire Pierre Bourdieu, ses théories sur la domination et les hiérarchies sociales. Sa pensée s’articule à gauche de l’extrême gauche et sa décision est prise : rangez ses deux César, elle n’apparaîtra plus sur grand écran. Dans téléramaelle écrit : « J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma », désigne « la complaisance générale de la profession envers les agresseurs sexuels » et « l’ordre écocide raciste et mortel du monde « . Un extrémisme qui surprend, au mieux, et qui choque.

Parmi ses pairs, il y a ceux qui la jugent cohérente, tandis que d’autres fustigeent le « radicalisation » d’un « enfant gâté » du 7e art. La personne concernée n’est pas du genre impressionnable. Les cinéastes se disputaient pour cela ; elle préfère désormais l’action de rue, en tête des cortèges et sur les piquets de grève : Place des Fêtes à Paris pour les Iraniennes, en Normandie avec les grévistes de Total, devant les Folies Bergère pour le Théâtre MeToo, tous les 8 mars Place de la République .

Adèle Haenel avec Christophe Ruggia, alors âgé de 37 ans, en 2002, en tournée promotionnelle pour le film « Les Diables ». L’actrice, 13 ans, est accompagnée du comédien Vincent Rottiers, 16 ans. (Crédits : LTD/PATRICK GHERDOUSSI/DIVERGENCE)

Charisme intact

Sa notoriété ne sert que ses combats, ses paroles sont celles du radicalisme. ” Nous devons créer des relations de pouvoirdit-elle au micro d’une radio associative. Nous devons être conscients des autres personnes rendues précaires par le capitalisme. » Charisme intact, elle sait haranguer les étudiants en grève : « Nous avons beaucoup d’idées sur ce que pourrait être un monde post-capitaliste, c’est-à-dire communiste. […]. Nous ne sommes pas seulement contre leur monde de merde, nous en inventons déjà un autre. » Son rapprochement avec le courant trotskyste Révolution permanente, ancienne aile gauche du NPA de Besancenot, l’a amenée à soutenir son leader, Anasse Kazib, une syndicaliste ferroviaire régulièrement relayée à la télévision depuis la crise des Gilets jaunes.

Ce Sarcellois (qui ne nous a pas répondu), candidat à l’élection présidentielle, conjugue antipatriarcat, décroissance, idées « décoloniales », soutien au Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) et à l’association BarakaCity accusée de propagande islamiste après l’assassinat de Samuel Paty. Un mélange des genres qui ne rebute pas Haenel.

En 2022, elle écrit : « Le harcèlement et l’invisibilité dont souffre la campagne d’Anasse Kazib sont intolérables. Il y a un an, je ne me serais pas défini comme anticapitaliste. Mais […] les idées ont vraiment fait leur chemin dans ma tête. » C’est dans l’enfance que sont nées ses convictions. A Montreuil, en Seine-Saint-Denis, où Adèle Haenel a grandi avec un père traducteur d’allemand et une mère enseignante, l’engagement – ​​écologiste d’abord – est un mode de vie ; les banlieues « rouges », l’apprentissage civique. Lycéenne, elle tient des bureaux de vote et manifeste contre le CPE.

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En juillet, le révolutionnaire, aujourd’hui âgé de 35 ans, s’était déplacé pour soutenir une candidate La France insoumise de Seine-et-Marne aux élections législatives. Sur les routes avec Gisèle Vienne et leurs Vie supplémentaireelle parle parfois après la représentation pour « adresse [leurs] pensées aux victimes civiles en Palestine et en Israël » ; évoquant sous les applaudissements « un génocide du peuple palestinien », condamne-t-elle le « Récupérations islamophobes et antisémites ».

« Rien d’étonnant », note, admirative, la réalisatrice Maïa Sandoz. Sur sa décision de disparaître des écrans, l’amie nuance : « Elle est en grève, c’est un mode d’expression, un droit, ce n’est pas radical. » Témoin de l’évolution de sa camarade depuis 2011, elle tient à préciser : « Depuis dix ans, Adèle a changé mais il n’y a pas eu de tournant. C’est une métamorphose, agréable à voir. »

Elle raconte à une jeune fille de 20 ans » désireux de comprendre le monde, qui se posait beaucoup de questions « . Bonne élève, Adèle suit une classe préparatoire au prestigieux lycée Montaigne à Paris, tente le concours d’entrée à HEC et échoue. C’est à cette époque, malgré l’expérience de les diables par Christophe Ruggia, qu’elle qualifie de « traumatique » en 2015, qu’elle revient au cinéma. Elle ramasse La naissance des poulpesde Céline Sciamma, avec qui elle a formé un couple pendant plusieurs années. S’ensuivent 21 films, une sortie émouvante sur la scène des César et des critiques élogieuses. Ce 9 décembre au tribunal, pour la soutenir face à Christophe Ruggia, les militantes féministes et écologistes antiracistes promettent d’être nombreuses. Sa nouvelle famille.

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Cinq ans d’enquête

novembre 2019
Ouverture d’une enquête préliminaire pour agression sexuelle sur mineur de 15 ans par personne ayant autorité et harcèlement sexuel au préjudice d’Adèle Haenel.

janvier 2020
Christophe Ruggia est mis en examen, placé sous contrôle judiciaire. De nombreux témoins sont interrogés.

juin 2023
Une confrontation est organisée entre Adèle Haenel, partie civile, et Christophe Ruggia, qui a été entendu à trois reprises par le juge d’instruction et évalué par des psychologues.

décembre 2024
Début du procès au tribunal de Paris pour agressions sexuelles aggravées qui se seraient produites entre 2001 et 2004. Le prévenu encourt une peine de dix ans d’emprisonnement et de 150 000 euros d’amende.

 
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