Avec le recul, êtes-vous heureux d’être situé en périphérie de la capitale ?
Je suis mixte… Je pensais y rester cinq ans, en commençant par ce lieu plutôt petit, puis en visant plus grand. Mais les choses ne se sont pas déroulées comme je le souhaitais. Au lancement, nous avons proposé un style bistronomique, puis Michelin est arrivé et m’a attribué une étoile au bout de sept mois seulement. Nous étions évidemment ravis, mais il est clair que si je ne l’avais pas eu, je ne serais plus là. Je suis francophone dans une ville très flamande donc j’ai dû m’imposer. D’autant qu’ici, je ne suis personne et ma cuisine ne correspond pas aux standards flamands. Et puis, l’emplacement est magnifique, mais je n’ai pas de terrasse et le stationnement est compliqué. Cela représente un obstacle pour avoir une clientèle plus large. Certains me disent que les plats valent deux étoiles, mais que mon restaurant n’est pas adapté, surtout s’ils veulent épater un client. Les environs ne ressemblent à rien !
Les immenses travaux à carrefour Léonard ça n’aide à rien…
Depuis mai, j’ai perdu 40% de mon chiffre d’affaires. Les clients de type professionnel viennent beaucoup moins. Lundi, une table de 12 places a été annulée en début de soirée à cause du carrefour Léonard. La direction de l’entreprise ne souhaitait pas que les clients perdent 30 à 45 minutes dans les embouteillages. Et les autorités viennent d’annoncer que les travaux se poursuivront jusqu’en mai prochain…
Par ailleurs, d’autres travaux immenses sont prévus : le le pont actuel enjambant la E411 pour atteindre Jezus-Eik sera détruitce qui augmentera les nuisances.
Oui, j’ai eu du mal à digérer cette annonce la semaine dernière ! Tout ça pour ça… Les indépendants ont le droit de réclamer une compensation financière mais, la dernière fois, ils nous ont proposé 2000 euros de compensation pour les six mois de désagréments… Aujourd’hui, je suis en colère et triste. Compte tenu de la situation, je n’ai pas remplacé certains de mes collaborateurs partis.
Votre restaurant est-il toujours rentable ?
J’arrive juste à payer tous les frais et salaires. J’ai arrêté de me verser un salaire il y a plus de deux ans. Je travaille par amour du métier. Avec la pandémie, la hausse du coût de l’énergie, l’augmentation des prix des produits et des salaires du personnel, en plus des problèmes de mobilité, cela devient très compliqué. Je n’ai pas modifié les prix des plats depuis quatre ans, pour rester compétitif. Autre problème : le côté très aléatoire du remplissage du restaurant. Certains soirs, c’est complet. D’autres, c’est vide… Mais il faut quand même payer le personnel. Il est difficile de maintenir les standards Michelin et Gault&Millau… C’est même un fardeau. Mais je suis aussi conscient que 80% de mes clients viennent grâce à l’effet notoriété de la star.
Edito : cauchemar en cuisine
Comment expliquez-vous que vous ayez obtenu une étoile si rapidement ?
Quand on a été chef dans un restaurant trois étoiles, on sait qu’en ouvrant son établissement, on aura la première étoile dans l’année. Il faut ensuite attendre cinq ans pour obtenir le second. Ceux qui n’ont pas suivi le même parcours doivent attendre plus longtemps, entre 5 et 10 ans. A moins qu’ils ne prennent les moyens de répondre aux standards du guide en termes de personnel, de lieu, etc.
Cela semble assez automatique comme système, sans véritable critère…
Ce n’est pas un système qui est vrai. C’est ce que j’ai remarqué. Je l’ai signalé au chef Michelin. Mais il faut être conscient que recevoir des étoiles implique aussi de gros investissements. Il faut changer la vaisselle, les verres, les chaises… Quand ça arrive trop vite, ça peut devenir incontrôlable. Michelin s’en charge. C’est aussi pourquoi ils auront tendance à s’appuyer sur des personnalités qu’ils connaissent déjà.
Mais les astres restent-ils justifiés ?
Bien sûr ! De toute évidence, il y a eu des erreurs auparavant. Certains restaurants n’ont pas résisté. Les chefs sont très bons en cuisine mais pas du tout en gestion. Et puis, on peut être déçu en mangeant dans des restaurants étoilés. J’ai testé un trois étoiles dimanche dernier à Barcelone. Est-ce que j’ai bien mangé ? Non, je n’y retournerai pas. C’était 350 euros par personne, j’avais 15 plats et seulement deux étaient bons. Le dessert était apporté avec des ballons. C’était vraiment absurde ! Alors oui, les Asiatiques se réjouissaient. Mais je me demandais quand nous allions vraiment manger !
“Je trouve révoltant que la Wallonie soit moins étoilée que la Flandre au guide Michelin, il y a trop de Flamands parmi les inspecteurs”
Vous visez une deuxième étoile ?
Nous sommes très fiers d’une étoile, d’autant plus que Michelin a augmenté le niveau. Quand j’ai commencé, il y avait principalement la Belgique et la France dans le guide Michelin. En Espagne, c’était la paella, en Italie, c’était les spaghettis et en Angleterre, c’était la gelée. Maintenant, ils nous ont dépassés ! Tout comme les Asiatiques. Le niveau international s’est énormément élevé. Michelin suit cette tendance et se montre plus exigeant. C’est un peu ainsi qu’ils ont expliqué la perte de la deuxième étoile de Comme chez Soi.
J’étais candidat il y a quatre ans pour la deuxième étoile. J’ai reçu la visite des commissaires européens Michelin, qui ne me l’ont pas donné en raison de problèmes avec ma brigade. Mais il est important que la maison tienne le coup pour Michelin. Ils avaient remarqué que dans la salle, je n’avais pas de responsable attitré.
Dans quelle mesure les stars influencent-elles la fréquentation des restaurants ?
Pendant un an, vous êtes rassasié à près de 80 % grâce à Michelin. Certains disparaissent parce que cela ne leur convient pas, d’autres reviennent une fois et d’autres encore s’y tiennent vraiment. J’ai constaté une baisse de fréquentation depuis deux ans, car je ne propose qu’un menu et pas de menu. Je n’ai plus assez de personnel, les clients doivent attendre beaucoup trop longtemps si je leur permets de choisir à la carte.
Est-ce compliqué pour vous de trouver du personnel ?
Oui ! En plus de trouver des membres qui acceptent de travailler, ils doivent avoir de la passion. Et cela ne se paie pas. Il leur est demandé d’effectuer le travail de deux à trois personnes. Dans un restaurant étoilé, les clients sont très exigeants, ils attendent beaucoup de nous : être servis assez vite, que ce ne soit pas bruyant, que la lampe ne brille pas trop… Nous sommes tout le temps jugés. Certains clients nous appellent même en claquant des doigts. Actuellement nous sommes trois – moi y compris – pour nous occuper d’une trentaine de couverts. Il y a aussi un stagiaire dans la salle le soir. En Belgique et en France, nous avons beaucoup de mal à trouver du bon personnel. Et ça coûte trop cher. Les jeunes de 22 ans demandent 2 500 euros net pour commencer ! C’est là qu’ils disent qu’ils chercheront ailleurs.
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Compte tenu de toutes vos difficultés, pourriez-vous déménager ?
Je déménagerai probablement en 2026. Rien n’est signé, mais j’irai certainement dans le Brabant wallon. Les investisseurs sont prêts à me suivre. Sur une propriété d’un hectare, dotée d’un parc, se trouveront d’un côté la petite brasserie et de l’autre le restaurant gastronomique, ainsi que quatre à cinq chambres d’hôtes. La maison est actuellement délabrée. La carrosserie sera ancienne et le reste sera moderne, avec de grandes fenêtres. Au moins 10 à 12 membres du personnel seront nécessaires. Je viserai alors la deuxième étoile. C’est le dernier défi que je me fixe.
Et d’ici là, que comptez-vous faire ?
J’aimerais ouvrir un restaurant éphémère pendant un an, car je ne peux pas rester ici. J’ai également mis l’immeuble en vente ce lundi. Je n’ai pas d’autre choix. S’il part, tant mieux. Sinon je trouverai une autre solution…
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