Elle considère Roman Polanski comme un immense réalisateur. Le film « Chinatown » (1974) reste l’un des chefs-d’œuvre de l’histoire du cinéma. Le réalisateur lui apparaît comme un cas d’école : « génie » et « monstre ».
Claire Dederer est critique de cinéma au New York Times. Elle est née en 1967, aux États-Unis. Elle a vu tous les films du grand cinéaste. Le journaliste tente de résoudre un paradoxe : peut-on continuer à admirer, comme si de rien n’était, les œuvres d’un homme qui a drogué et sodomisé un enfant de 13 ans ? Car peu importe combien elle regarde encore et encore les films de Roman Polanski, elle ne peut pas changer d’avis sur sa puissance artistique. « Nous continuons d’aimer ce que nous devrions détester. » « Les Monstres » ont eu un retentissement important aux Etats-Unis. L’auteur mène une enquête intime et intense pour tenter de résoudre la question de la séparation de l’œuvre et de l’artiste.
L’essai combine des points de vue féministes et critiques. Peut-on continuer à vénérer les créations de Roman Polanski, Woody Allen, Michael Jackson, Pablo Picasso ou Richard Wagner ? L’essayiste rejette toute idée de « monstres ». Il révèle le processus de dénonciation des autres pour mieux paraître vertueux.
Claire Dederer reste aux côtés des victimes
Le journaliste se concentre sur l’idée plus complexe des taches morales indélébiles sur les œuvres et de la rencontre entre l’histoire de l’artiste et la biographie du public. Dans une double mise en forme, l’artiste nous regarde et nous regardons l’artiste. L’auteur nous invite à accepter notre propre subjectivité. Claire Dederer est une féministe blanche de la classe moyenne qui a grandi entourée de prédateurs sexuels. Elle reste du côté des victimes.
« Les Monstres » présente de nombreuses faiblesses, notamment dans les écrits anachroniques sur la maternité. Claire Dederer est plus complaisante lorsqu’il s’agit des femmes. Elle constate cependant que l’antisémitisme de Virginia Woolf a été oublié, au profit de son héritage littéraire. L’auteur interroge honnêtement notre certitude d’appartenance à une époque éclairée, la saturation biographique, la masculinité triomphante, la rédemption, notre fascination pour le mal. Nous nous ennuyons au fil des jours ; nous voulons de l’horreur sur les pages blanches. Toute vie est souillée. L’art appartient au monde du sentiment, qui lui-même appartient au monde du chaos. Il y a un beau chapitre sur « Lolita », de Vladimir Nabokov : a-t-il jamais existé une meilleure histoire sur la longue destruction d’une vie ?
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Il est impossible de séparer l’œuvre de l’homme ; il est possible de savourer le travail sans l’homme
Claire Dederer cite la déclaration brillante et cinglante de Martha Gellhorn : « Un homme doit être un grand génie pour compenser le fait d’être si répugnant en tant qu’être humain. » » La correspondante de guerre était la troisième épouse d’Ernest Hemingway. « Monstres » est un essai passionnant, qui invite à la réflexion, sans trancher définitivement le débat.
Claire Dederer arrive à deux conclusions : il est impossible de séparer l’œuvre de l’homme ; il est possible de savourer le travail sans l’homme. Dans les deux cas, la tache sera là, indélébile. L’écrivain milite pour une tension permanente, résidant au cœur de l’art. Claire Dederer : c’est elle qui a été victime de prédateurs et c’est elle qui a besoin de beauté.
Le lecteur de Raymond Carver évoque sa maternité, son alcoolisme, ses aspirations littéraires, son histoire, sa géographie. Son amour de la culture. On peut condamner, expurger, censurer autant qu’on veut, mais l’auteur souligne une vérité : notre rapport à l’art ne fera de nous ni une bonne ni une mauvaise personne. La moralité est prouvée et testée ailleurs.