Un faux Leonardo DiCaprio bedonnant, vêtu d’un faux survêtement Adidas, conduit une fausse BMW et téléphone avec un faux iPhone dont le logo est une poire, tandis qu’à ses côtés une fausse blonde peint les semelles de ses fausses chaussures Louboutin avec leur rouge vernis. Le faux DiCaprio arrête la voiture en pleine nature, abandonne la fausse berline allemande et la fausse blonde pour monter dans un bateau et rame, seul sur un lac, dans la brume, tandis qu’un slogan clôt la scène : « L’esprit est la seule chose au monde qui ne peut être altérée. »
Cette publicité prémonitoire (pour une marque de vodka !) dans laquelle joue Roman Burtsev, sosie russe de la star américaine Leonardo DiCaprio, fut l’une de ses plus grandes réussites. Gloire éphémère dont il paie aujourd’hui le prix amer et terrible. Contraint de quitter le monde de la camelote, de la contrefaçon et de la contrefaçon qui a bâti sa réputation, l’homme de 41 ans, originaire de Podolsk, au sud de Moscou, est entré dans le monde réel de la guerre.
A 45 kilos, la ressemblance est frappante
Sur sa page VKontakte, le Facebook russe, il a publié une photo de lui en uniforme militaire avec un fusil d’assaut, prise quelque part en Ukraine. Dans une interview au journal « Gazeta », l’ancien double de la star de « Arrête-moi si tu peux » a expliqué qu’il s’était engagé dans l’armée et avait été envoyé au front : « Le 19 septembre, j’ai signé un contrat avec le ministère de l’Armée. Défense. C’était une décision difficile, j’y ai réfléchi pendant plusieurs mois. Je ne peux pas dire où je suis ni ce que je fais. »
La vie de Roman Burtsev suit un parcours étrange, digne d’un roman de Dostoïevski ou d’une pièce de Tchekhov. Le destin de cet obscur ingénieur informaticien, basé à Moscou, a basculé en 2016, lorsqu’il s’est inscrit sur une plateforme de rencontres. Burtsev cherche l’amour. Il trouvera la gloire. La photo de profil du jeune homme, alors simple personne âgée de 33 ans, s’est répandue sur Internet comme une traînée de poudre. Et pour cause : avec ses yeux bleus perçants surmontés de sourcils foncés et marqués, son nez court, son visage rond, Roman Burtsev présente une ressemblance frappante avec la star américaine Leonardo DiCaprio. Un Leonardo qui aurait mangé deux fois de la salade de pommes de terre, mais un Leonardo quand même.
Sa renommée grandit, il est invité à la télévision, joue et rejoue des parodies
Chez les deux hommes, la symétrie des traits rappelle celle d’un félin. Les agences de publicité russes se ruent sur ce sosie tombé du ciel. Au meilleur moment possible : le véritable acteur vient de remporter l’Oscar du meilleur acteur pour son rôle dans “The Revenant”. Il y a des tonnes de roubles à gagner. Roman Burtsev a beau avoir huit ans de moins que la star hollywoodienne et peser 45 kilos de plus, il fait en quelques semaines la Une des tabloïds anglo-saxons et des journaux asiatiques et se fait un surnom dans le monde entier. Il est désormais le « DiCaprio russe ».
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D’abord abasourdi par sa nouvelle notoriété, Burtsev décide d’en profiter et accepte les propositions qui affluent. Les séances photos pour des spots publicitaires se multiplient. Y compris celui de la vodka avec l’iPhone au logo en forme de poire. Fier de son nouveau statut, Roman Burtsev va jusqu’à rejouer des scènes emblématiques de « The Revenant » dans un décor enneigé. Sa renommée grandit, il est invité à la télévision, réalise et rejoue des parodies, participe à des événements live. Dans un centre commercial, à bord d’un faux « Titanic », enlaçant une fausse Kate, Burtsev reconstitue une scène mythique du film de James Cameron sur la proue du célèbre navire.
Son travail de sosie lui rapporte plus que son travail de programmeur. De quel acte. Il quitte l’informatique et se consacre à plein temps à cet étrange métier : faux DiCaprio. Pendant quatre ans, le Russe rondelet a récolté les fruits de cette ressemblance vague et inquiétante avec l’icône américaine. Jusqu’en 2020, où la pandémie de Covid-19 met brutalement un terme à sa nouvelle carrière. Le monde est à l’arrêt et le téléphone de Burtsev ne sonne plus. Le faux acteur a déjà mangé son pain, il n’a plus aucune Source de revenus.
Les problèmes ont commencé avec l’introduction des restrictions, en avril 2020, et maintenant les gens m’ont oublié
Romain Burtsev
A 37 ans, il vit toujours dans un petit deux pièces avec ses parents et son chat. La gloire plastique a fondu si vite qu’il a visiblement grossi, stressé par sa situation économique, et cette prise de poids importante a progressivement effacé sa ressemblance avec Leonardo DiCaprio. “Les problèmes ont commencé avec l’introduction des restrictions, en avril 2020, et maintenant les gens m’ont oublié”, soupire Burtsev dans une interview accordée au “Mirror” en 2021.
La pandémie prend fin, mais Burtsev ne décroche plus aucun contrat de sosie. Il est trop gros. Il ne ressemble plus du tout à la star américaine. Dans les journaux russes, il explique avoir essayé « de nombreuses méthodes pour perdre du poids » afin de retrouver les caractéristiques de son modèle. En vain. Imaginez cet homme simple projeté en un clin d’œil dans les paillettes de la célébrité, utilisé puis aussitôt jeté à la poubelle, imaginez cette starlette en carton non recyclable se battant avec ses renflements, devant son assiette, pour espérer se retrouver dans le reflet du miroir les traits de l’homme qu’il n’a jamais été, ou l’espace d’un court instant, par hasard, dans la frénésie d’Internet, l’imaginer, effrayé, émacié, dans la boue et le sang d’une tranchée en Ukraine, a quelque chose de burlesque, pathétique et triste. Quelque chose de russe.
Après avoir accepté des petits boulots dans un marché ou dans une quincaillerie pour survivre, malgré de grandes difficultés financières, Burtsev décide de s’engager. Comme tous les militaires russes mobilisés, il a reçu une prime de 18 500 euros à la signature de son contrat (une petite fortune en Russie, plus d’un an et demi de salaire moyen) et percevra une solde de 1 950 euros par mois. . Roman Burtsev est l’un des nombreux types sans le sou, attirés par les incitations financières proposées par le gouvernement Poutine pour reconstituer le front, devenu un véritable hachoir à viande.
Selon un bilan du Wall Street Journal publié en septembre, un million de soldats russes et ukrainiens ont été tués ou blessés au cours des deux ans et demi de guerre, dont 200 000 Russes morts au combat. Si Roman Burtsev perd la vie en Ukraine, sa famille recevra une prime d’environ 120 000 euros. De l’argent réel, celui-là.