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Au Kenya, la filière café frappée par le changement climatique

Robert Wanyaga, 72 ans, a vu le rendement de ses caféiers passer de 12,5 kg par arbre à 3 kg en quelques années. ARTHUR FRAYER-LALEIX

C’est l’heure du déjeuner, mardi 14 janvier, dans le village de Gatura, une ville de quelques milliers d’habitants nichée dans les replis montagneux du massif d’Aberdere, au centre du Kenya.

Mais chez les Wanyaga, la table n’est pas encore mise. Le couple est devant la télévision dans le salon, une longue pièce aux murs recouverts d’images du Christ, d’animaux et de joueurs de Manchester United. Les canapés sont fatigués. Au milieu se trouve une table basse impeccable. A l’écran, Mutahi Kagwe, le nouveau ministre de l’Agriculture et du Développement de l’élevage, est interrogé par les députés sur NTV.

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Depuis son canapé, Robert Wanyaga, 72 ans, en polo léger, hoche la tête, visiblement satisfait des paroles prononcées par le nouveau ministre : « Cela donne de l’espoir à nous, producteurs de café. Il dit que l’argent devrait aller dans les poches des agriculteurs et de personne d’autre. Je lui fais confiance. En plus, il vient de notre région. » A côté de lui, sa femme Millicent, 61 ans, est d’accord avec ce que dit son mari.

Les Wanyaga sont des producteurs de café. Au-delà de la clôture de leur jardin s’étend leur plantation : quelque 400 pieds de caféiers plantés à flanc de collines, rapprochés les uns des autres. « Le changement climatique nous frappe durement. Notre production a considérablement diminuéexplique M. Wanyaga. Avant 2019, un arbre produisait 12,5 kg de café. Le rendement est tombé à 3 kg. 2024 a été une année décente, mais je ne récolterai pas plus de 7 kg par plante. »

De 600 à 400 caféiers

C’est le même constat désabusé pour Lawrence Wamuya, 45 ans, autre producteur de Gatura, dont la maison est à deux kilomètres de celle des Wanyagas. Dans le jardin, du linge posé sur une haie séchant au soleil, tandis qu’un peu plus loin des poules caquetent derrière leur cage.

Assis sur une chaise en plastique, à l’ombre du gigantesque manguier du jardin, M. Wamuya observe : « Les saisons chaudes et les saisons froides sont devenues plus extrêmes. Les variations sont désormais plus intenses. Ils ont grandement influencé la culture du café. Aujourd’hui, je produis le quart de ce que j’avais à la fin des années 1990. Cependant, ma pratique et mes techniques de cultivation n’ont pas changé. »

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Sa ferme est passée de 600 à 400 caféiers. Il soupire et indique de la main le bas de la pente sur laquelle s’étendent ses cultures : « Nous manquons d’eau. Nous avions une petite rivière qui s’est asséchée à la fin des années 1990. Il n’est jamais réapparu. »

À l’échelle nationale, la production de café a chuté de près de 70 % entre la fin des années 1980 et le début de la décennie 2020, passant de 130 000 à 40 000 tonnes. En grande partie à cause du changement climatique. Selon une étude de l’organisation non gouvernementale Fairtrade International, 93 % des producteurs de café du Kenya, secteur qui fait vivre près de 800 000 ménages, sont désormais confrontés à ses conséquences. Cinquième producteur africain, le pays exporte l’essentiel de son café vers l’Europe.

« Maladie des baies de caféier »

Au bout d’un chemin de terre rouge, à l’autre bout du village, se trouve la maison d’Eunice Maina, 76 ans. Depuis la cour du jardin, on aperçoit la silhouette bleue des montagnes d’Aberdare. Eunice Maina, robe élégante et branches légèrement décolorées, a été enseignante pendant trente-six ans, dont la plupart ici à Gatura. Elle a fait la connaissance d’un bon nombre d’agriculteurs du village dans sa classe alors qu’ils étaient encore enfants.

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Elle-même productrice, elle possède 400 caféiers : « Il y a quelques années, j’ai perdu ma récolte. Le climat très froid de juin et juillet ainsi que le gel ont provoqué sur mes plants ce que l’on appelle la « maladie des baies de caféier ». Cela n’était jamais arrivé auparavant. » Cette maladie, dont le nom scientifique est Café Colletotrichumest un champignon qui attaque les feuilles et les baies lorsqu’elles sont encore vertes.

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« J’ai décidé à ce moment-là de changer de variétés et de planter des espèces plus résistantes »explique Eunice Maina. Elle a ensuite planté pour la première fois quelques plants de Ruiru 11 et Batian, deux variétés réputées plus robustes. La maladie des baies de caféier provoquée par des températures trop basses les affecte peu et leurs rendements sont bons. Après la première expérience réussie, elle plantera d’autres plantes de ces deux espèces.

L’université Dedan-Kimathi, à Nyeri, la capitale régionale, a mené des expériences de greffage de ces deux nouvelles espèces sur des variétés anciennes, sensibles au froid mais aux racines profondes. Les résultats ont été concluants, permettant d’allier résistance au froid et racines capables d’aller chercher l’eau en profondeur dans la terre.

Des pluies brutales qui détruisent tout

Pour faire face à la chaleur intense, de décembre à mars, les Wanyaga ont planté des bananiers entre leurs caféiers. Ces arbres, hauts de plusieurs mètres et dotés de grandes feuilles, font office de parasols pour les plantes situées en contrebas. Lawrence Wamuya et Eunice Maina estiment aujourd’hui nécessaire de mettre en place un système d’irrigation capable d’aller puiser dans la nappe phréatique l’eau nécessaire à leurs cultures.

« Les pluies quand elles tombent sont brutales et détruisent tout maintenant »constate Mmoi Maïna. « Le problème, c’est que mettre en place un système d’irrigation coûte très cher et que sans une réelle volonté politique, rien ne peut être fait »juge Lawrence Wamuya à l’ombre de son manguier.

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Un forage a été creusé il y a une quinzaine d’années, financé par un fournisseur de pesticides, mais ce dernier est parti et le projet n’est jamais allé plus loin. « Nos décideurs pensent davantage à leurs intérêts qu’à ceux des agriculteurs »déplore M. Wamuya, qui a choisi de diversifier ses cultures pour ne plus dépendre uniquement de la production de café. Des avocatiers et des macadamias ont été plantés sur la parcelle qui, jusqu’à il y a vingt ans, ne contenait que des caféiers. Les deux cultures «permettre d’équilibrer les pertes de café».

L’usine de transformation des grains de café Gatura est située à l’entrée de la ville. Sur de longues tables en bois blanchies par le soleil, les cerises apportées par quelque 400 agriculteurs des alentours du village sèchent lentement. « Il faut vingt et un jours de soleil pour que les grains sèchent »précise Charles Njure, le directeur de l’usine, vêtu d’une blouse de laboratoire et de bottes en caoutchouc. A Gatura, tout le monde le surnomme ” Maître ” – professeur de langue kiswahili – car il forme et enseigne les techniques agricoles.

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« De toute évidence, le secteur est confronté à de nombreux défis. En 2024, nous avons eu de très fortes pluies qui ont fortement perturbé la période de séchage. Les grains ne pouvaient pas sécher correctement. » Il arrive que de fortes pluies détruisent les tables de séchage. Il se met à rêver : « J’aimerais que nous puissions construire un séchoir solaire. » Ce système permettrait de stocker les grains en train de sécher dans un entrepôt équipé d’un toit et d’un mécanisme de redistribution de la chaleur. Cela leur permettrait de les sécher même les jours de pluie.

Arthur Frayer-Laleix (Gatura, Kenya, envoyé spécial)

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