Les corps mutilés jonchent le sol. Les bâtiments se plient en accordéon. Un nuage de poussière qui voile l’horizon. Le chaos provoqué par les gens qui courent dans toutes les directions.
C’est ainsi que Pierre André Pagé, alors médecin bénévole à l’hôpital Sainte-Croix de Léogane, se souvient des premiers instants qui ont suivi la secousse de 35 secondes qui a frappé la perle des Antilles.
Tout le monde était sous le choc, j’étais vraiment paniqué.
Lui et son équipe ont immédiatement travaillé pour sortir les blessés des décombres, mais l’effondrement d’une partie de l’hôpital et le manque de matériel médical ont compliqué les soins. On a suturé, on a mis des attelles, mais on a fait des attelles avec du carton, avec des morceaux de bois, avec tout ce qu’on pouvait trouver
rapport-t-il.
Nous avions un sentiment d’impuissance en voyant des gens mourir faute de matériel, en sachant que nous étions formés pour sauver des vies.
Des militaires américains transportent une jeune fille blessée à la tête vers un centre médical de Port-au-Prince, le 24 janvier 2010.
Photo : Associated Press / Grégory Bull
Je me souviens exactement de ce que je faisais. Quand j’ai appris la nouvelle, j’étais Avenue du Parc
» raconte Paulson Pierre Philippe, qui vivait à Montréal depuis une dizaine d’années au moment du séisme.
Après trois jours sans nouvelles de ses parents, il fait le voyage jusqu’à Port-au-Prince : un voyage pénible, puisque les liaisons aériennes directes sont rompues. Il a finalement réussi à traverser à pied la frontière haïtienne depuis la République Dominicaine.
Je suis rentré à Port-au-Prince à moto, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à voir l’horreur de ce qu’est un tremblement de terre, se souvient-il. Des montagnes de corps entassés sur les trottoirs et dans les jardins. L’odeur des corps en décomposition.
L’odeur de la mort reste très, très longtemps. Même lorsque l’odeur n’est pas présente, vous la sentez quand même, car elle colle à votre peau, elle colle à votre mémoire. C’est indescriptible.
Dans le chaos, il retrouve enfin ses parents sains et saufs. Son séjour, initialement de deux semaines, sera prolongé à quatre mois pour contribuer aux efforts de reconstruction.
Depuis cette expérience, je ne suis plus le même homme. Depuis, j’ai été totalement transformé, tant personnellement que professionnellement.
» dit celui qui est aujourd’hui consultant en relations internationales.
De profondes séquelles psychologiques
Le traumatisme du tremblement de terre, tant sur le plan personnel que collectif, laisse une marque indélébile sur les survivants, dont beaucoup souffrent de stress post-traumatique.
Pierre André Pagé décrit sans détour la date anniversaire du 12 janvier comme un cauchemar
.
Chaque fois que nous voyons que le 12 janvier approche, cela nous rappelle tout ce que nous avons vu. On voit même les visages des gens.
Ivanoh Demers, qui était à l’époque photojournaliste pour La pressea également survécu au tremblement de terre, et évoque une journée très dure
. Chaque année, c’est pareil, on se souvient de ce jour. Nous nous souvenons des conséquences. […] Pendant des années, cela a été très difficile psychologiquement. Les séquelles sont fortes. Aujourd’hui, je vais bien, mais ça a été difficile
explique celui qui travaille désormais à -.
Après avoir échappé à l’effondrement de son hôtel en 2010, le photojournaliste raconte avoir ressenti comme Superman
. J’ai eu une montée d’adrénaline extrêmement inhabituelle
il se souvient.
Ses images capturées dans les heures qui ont suivi le tremblement de terre ont fait le tour du monde et l’une d’entre elles a fait la une du magazine. Temps.
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Cette photo du jeune Samson Descat prise quelques heures seulement après le séisme a fait le tour du monde.
Photo: La Presse / Ivanoh Demers
Mais après trois jours passés sur le terrain à photographier les effets du tremblement de terre, l’ampleur de la catastrophe l’a rattrapé. Le choc post-traumatique le paralyse et il se résigne à quitter le pays six jours après le séisme. Pendant des années, les souvenirs des images d’horreur dont il a été témoin le suivront.
C’était dur, c’était insupportable. Le lendemain [du séisme]dans les rues, je ne vous décrirai pas les scènes, mais il y avait des morts partout. […] Nous sommes marqués à vie, nous ne pouvons pas nous en sortir.
Réflexion, quinze ans après
À la Maison d’Haïti de Montréal, la force du groupe panse les blessures des traumatismes. Comme chaque année, l’organisation s’apprête dimanche à commémorer le triste anniversaire du tremblement de terre.
C’est comme un rituel. Nous nous rencontrons juste pour ne pas être seuls ce jour-là. Des drames comme ça, on n’oublie pas
» précise la directrice générale, Marjorie Villefranche.
C’est très simple ce qu’on fait, on allume les bougies, on observe une minute de silence. Nous lisons des poèmes. Les noms des personnes disparues sont mentionnés. Nous mangeons ensemble. C’est très simple et très doux. Et je pense que les gens ont besoin de cette douceur en ce jour.
Quinze ans après le drame, le directeur de l’organisation qui vient en aide à la diaspora haïtienne dresse un bilan mitigé. Il y a des histoires tristes et de très belles histoires à la fois. […] Je vois des histoires de jeunes arrivés il y a 15 ans qui n’avaient rien et qui reviennent maintenant me voir parce qu’ils sont en doctorat, et d’autres qui ne s’en sont pas remis et qui ne peuvent pas s’en sortir.
Une aide internationale inefficace ?
En 2010, des images du pays, en pleine crise humanitaire après le séisme, ont choqué la communauté internationale. Une trentaine de pays se mobilisent,LUI et ONGcette dernière ayant récolté des milliards de dollars de dons. Le gouvernement canadien à lui seul a donné plus de deux milliards de dollars.
Cependant, cette aide humanitaire et ces efforts de reconstruction se sont révélés mal coordonnés et efficaces, selon les observateurs.
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Des blessés du tremblement de terre attendent d’être soignés par une ONG médicale, Hope for Haiti, le 14 janvier 2010, à Port-au-Prince.
Photo : Associated Press / Carl Juste
Oui, il y a de l’argent qui a été donné aux grands ONG qui employait beaucoup de gens, mais la communauté haïtienne sur le terrain n’a pas vu cet argent. Et les organisations [locales] qui auraient pu bénéficier d’un apprentissage, d’un transfert de connaissances, n’ont pas pu vivre cette expérience
déplore Dominique Anglade, ancienne chef du Parti libéral du Québec qui a perdu ses parents dans le tremblement de terre.
C’était de l’argent donné aux gens qui venaient aider et qui partaient sans vraiment construire sur le long terme.
En outre, le tremblement de terre a porté un coup dur à l’État haïtien déjà chancelant. Environ 20 % des fonctionnaires sont morts et les bureaux d’une quinzaine de ministères ont été détruits.
Nous avons perdu nos repères : la cathédrale de Port-au-Prince, le palais de justice, l’université d’État… Après, nous étions vraiment en ruines. Mais nous n’avons pas reconstruit. Depuis 2010, nous sommes restés une capitale largement dévastée.
déplore l’écrivaine et journaliste Emmelie Prophète, qui fut également ministre haïtienne de la Culture et ministre de la Justice entre 2022 et 2024.
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Le palais présidentiel s’est effondré lors du tremblement de terre de 2010.
Photo : Getty Images / JEWEL SAMAD / AFP
Ce qui m’a énormément choqué, plusieurs mois après le tremblement de terre, c’est de voir ce qui restait du Palais National détruit. Parce que le Palais National est un symbole extraordinaire. La présidence est le symbole de la souveraineté. J’espérais qu’il serait reconstruit, mais il ne l’a jamais été.
Un pays affaibli, aux mains de bandes armées
Cette instabilité après le séisme a créé un cocktail parfait pour la prolifération de bandes armées en Haïti, qui contrôlent aujourd’hui plus de la moitié du territoire national et 80 % de la capitale.
Les gangs sont notamment une conséquence du tremblement de terre. Et pas seulement du tremblement de terre : aussi de tous les événements qui se sont produits depuis, car il y a eu des cyclones, des tempêtes, un nouveau tremblement de terre. Ne pas pouvoir se lever et être toujours frappé par autre chose ouvre la porte à la criminalité
soutient Mme Anglade, cofondatrice de l’organisme KANPE qui vient en aide aux familles haïtiennes.
Haïti est coincé depuis des années dans une profonde crise économique, sécuritaire et politique. L’assassinat du président Jovenel Moïse en juillet 2021 a aggravé la situation. Son successeur contesté, Ariel Henry, a démissionné en avril 2024 et le gouvernement de transition actuellement en place prévoit des élections en février 2026.
Par ailleurs, quelque 5 600 personnes ont été tuées en Haïti en 2024, alors qu’une mission soutenue parLUI et dirigé par le Kenya s’efforçait de contenir la violence endémique des gangs.
Le nombre de meurtres a ainsi bondi de plus de 20 % par rapport à l’année 2023, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme. En outre, plus de 2 200 personnes ont été blessées et près de 1 500 kidnappées.
Il est clair que ces élections [prévues en 2026] ne peut pas supporter un contexte aussi difficile d’insécurité et de massacres. […]. Ce sont des événements qui se succèdent, certains plus malheureux que d’autres, et qui annihilent l’espoir.
Alors, quelles solutions sont préconisées aujourd’hui pour redresser Haïti ? Dominique Anglade, qui dénonce le manque de volonté politique internationale
appelle à davantage de troupes pour soutenir la police nationale haïtienne et à une réponse coordonnée pour lutter contre le trafic d’armes illégal entrant dans le pays.
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Haïti et particulièrement sa capitale, Port-au-Prince, ont été le théâtre d’une flambée de violences de gangs ces dernières années. (Photo d’archives)
Photo : Getty Images / RICHARD PIERRIN / AFP
La coopération internationale, telle qu’on la pense depuis 30 ou 40 ans, est totalement dépassée par rapport à la réalité actuelle.
estime de son côté le consultant en relations internationales Paulson Pierre Philippe.
Haïti a un gros problème de gouvernance, et tant que l’aide internationale ne comprend pas que nous devons également contribuer à changer les problèmes de gouvernance, y compris principalement les problèmes de corruption, je pense que ce sont des efforts inutiles.
continue-t-il.
Marjorie Villefranche, de la Maison d’Haïti, craint que le pays ne souffre un assistanat permanent
.
Avec les informations d’Élyse Allard, Vincent Rességuier et de l’Agence -
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