Le chocolat sera une nouvelle fois l’invité vedette des fêtes de Noël et du Nouvel An. Et la demande pour ce produit augmente, faisant exploser le prix des fèves de cacao ces trois dernières années. Les deux tiers de la production mondiale annuelle – 5 millions de tonnes – proviennent d’Afrique, notamment de l’ouest du continent.
La Côte d’Ivoire et le Ghana sont les deux premiers producteurs avec respectivement environ 2 millions et 500 000 tonnes. Dans le monde, 5 millions de petits producteurs indépendants vendent leurs haricots à une douzaine de multinationales. Avec d’un côté les « broyeurs », qui produisent du beurre de cacao, de la poudre et de la « masse » (beurre et morceaux). De l’autre côté, des géants de la fabrication du chocolat comme les Américains Mars et Mondelez, ainsi que le Suisse Nestlé.
GEO : La demande des consommateurs pour le chocolat n’a jamais été aussi forte et le marché mondial devrait croître de 5 % par an au cours des cinq prochaines années. Comment expliquez-vous l’engouement pour ce produit ?
François Ruf: Les deux déterminants de la demande sont le revenu – le chocolat est un produit cher – et le climat : plus il fait froid, plus nous consommons. Par ailleurs, les situations de guerre agissent également comme un accélérateur : à chaque conflit, la consommation augmente. Le chocolat soutient le moral des soldats, il est facile à transporter et très énergétique…
Les régions du monde où on en consomme le plus sont, de loin, l’Europe et l’Amérique du Nord. Les principaux consommateurs sont les Suisses, avec environ 10 kilos par personne et par an. Quant aux Français, avec 7,3 kilos, ils se classent parmi les dix premiers mondiaux. En Asie, le Japon et la Chine restent à ce jour des marchés émergents.
Vous dites que l’histoire du chocolat est marquée par les migrations humaines…
L’aventure chocolatée, c’est d’abord une longue histoire d’expansion de la culture du cacao. Histoire qui a commencé dans les forêts tropicales d’Amérique centrale et d’une partie de l’Amazonie, d’où est originaire la plante. Sa culture s’est ensuite étendue à l’Amérique du Sud : au XVIIe siècle, le premier producteur mondial était le Venezuela, au XVIIIe siècle l’Équateur et au XIXe siècle le Brésil.
Le cacao s’est ensuite répandu en Afrique, jusqu’aux plantations coloniales de l’île de São Tomé, avant de passer au Ghana, au Nigeria et en Côte d’Ivoire. Elle a connu une expansion furtive en Asie du Sud-Est : en Malaisie, dans les années 1970, et en Indonésie, qui est devenue provisoirement le deuxième producteur mondial au début des années 1990. C’était alors bien une histoire de migrations.
La pauvreté généralisée dans certains pays du Sahel a provoqué des exilés vers les zones forestières tropicales, où le cacaoyer prospère sous des arbres de 40 mètres, comme les sipos ou les boss. Lorsque la Côte d’Ivoire accède à l’indépendance en 1960, le président Félix Houphouët-Boigny (1905-1993) comprend que le cacao peut devenir, plus que le café, un fer de lance économique pour son pays. Elle encourage l’immigration et, dans les années 1970, entre 200 000 et 300 000 personnes originaires du Sahel viennent y travailler.
Elle avait un côté Far West : lorsque les paysans pauvres des petits villages du plateau Mossi, au Burkina Faso, virent un émigré revenir de Côte d’Ivoire avec des billets de 5 000 francs CFA (l’équivalent d’une trentaine d’euros courants) pour se construire une maison. , cela a donné envie à 50 jeunes de se lancer dans l’aventure.
Ces migrants ont d’abord été ouvriers agricoles, puis ils ont acquis la propriété d’une parcelle de forêt, pour la défricher et devenir planteurs. Ainsi, depuis les années 1960, la Côte d’Ivoire a doublé sa production tous les dix ans…
Le chocolat que nous consommons est-il le produit de l’esclavage et de la colonisation ?
L’esclavage était marginal dans cette histoire. Au contraire, en Equateur, ce sont même les esclaves libérés des plantations de canne à sucre [en 1851] qui s’est lancé dans le cacao. Les planteurs sont aujourd’hui une sorte de « travailleurs à domicile », qui cultivent leur propre terre.
Contrairement à ce qui se passe pour l’hévéa et le palmier à huile, les multinationales ne possèdent pas de grandes plantations. La grande majorité des producteurs de cacao dans le monde sont de petits agriculteurs indépendants. La majorité d’entre eux vivent en dessous du seuil de pauvreté, mais ils cultivent également des cultures vivrières et peuvent se nourrir.
Cette culture a de graves conséquences sur l’environnement : déforestation, pollution par les engrais et les pesticides, etc.
La culture du cacao étant encore aujourd’hui l’apanage des migrants, ils sont contraints de défricher de nouvelles parcelles de terrain pour s’établir. Et il s’avère que le cacao pousse bien mieux, et de manière plus dense, sur une parcelle défrichée, où le sol est riche en matière organique. Résultat : la Côte d’Ivoire a perdu 80% de son couvert forestier en cinquante ans, principalement à cause d’elle…
Évidemment, la déforestation aggrave les conséquences du changement climatique : la présence de forêts régule la sécheresse et les températures. De plus, avec le défrichement et la disparition de la forêt, qui accroissent la pression des ravageurs sur les plantes, les planteurs utilisent de plus en plus d’intrants chimiques.
Les pesticides et les herbicides causent de gros dégâts : les arbres se dessèchent et les terres sont endommagées. Ces produits ont parfois aussi des conséquences néfastes sur la santé des agriculteurs, avec une augmentation des cancers. Et, quand une parcelle s’épuise, après vingt-cinq ans, on va défricher un peu plus loin…
Et la déforestation continue…
C’est un processus qu’il est presque impossible d’arrêter. Les régions de production disparaissent, mais elles sont remplacées par d’autres. Le cacao, qui a balayé la forêt ivoirienne d’est en ouest en une cinquantaine d’années, est la principale cause de la déforestation en Afrique de l’Ouest…
Actuellement, les grandes forêts inexploitées du Libéria et de la Sierra Leone constituent le nouvel Eldorado. Ces deux pays voient arriver des vagues de migrants, composés à 80% de Burkinabés nés en Côte d’Ivoire, issus de familles de producteurs de cacao. Les autorités locales ne mesurent pas l’ampleur du phénomène qui se déroule dans les forêts reculées…
Si vous souhaitez connaître les zones de production de cacao dans dix ou quinze ans, cherchez sur la carte les derniers points verts de la planète !
Comment éviter cela ?
La seule façon de protéger les forêts est d’interdire leur exploitation, voire leur accès. Cela nécessite une volonté politique forte et les moyens qui vont avec. Pour la Côte d’Ivoire, il est déjà trop tard.
Il ne reste presque plus que le parc national de Taï (4 540 km2) à l’ouest, inscrit au patrimoine mondial et abritant l’une des dernières forêts primaires d’Afrique. Ainsi que la forêt de la réserve naturelle de Mabi-Yaya, car l’ancien Premier ministre et président régional, Patrick Achi, a compris qu’il fallait protéger les grands arbres.
Est-il possible de promouvoir d’autres méthodes de production de chocolat, moins destructrices ?
Il faut privilégier l’agroforesterie, qui a prévalu jusque dans les années 1960. En Afrique de l’Ouest comme en Amérique du Sud, ces « agroforêts » regroupaient une cinquantaine d’espèces végétales s’épanouissant sous la canopée. Aujourd’hui, nous pouvons reconstituer des systèmes agroforestiers. L’un des rares exemples qui fonctionne en Côte d’Ivoire a été inventé par les planteurs eux-mêmes.
Au centre du pays, dans la zone frontalière entre la savane au nord et la forêt au sud, la sécheresse a causé des dégâts et les cacaoyers ont subi une forte mortalité. Les agriculteurs ont commencé à planter des anacardiers – l’anacardier – qui résistent à la sécheresse et au feu. Ils ont remarqué que les vieux cacaoyers poussaient à nouveau et que les jeunes plants étaient florissants.
On ne sait pas encore exactement pourquoi, mais ce système combinant deux espèces fonctionne. Et le planteur peut gagner un revenu à la fois grâce au cacao et aux noix de cajou. Encore un système prospère mêlant cacaoyers et hévéas. En Côte d’Ivoire, les planteurs ont compris qu’ils pouvaient cultiver eux-mêmes des hévéas à un coût dix fois inférieur à celui de la production industrielle. Ils ne dépendent donc plus uniquement du prix de la fève de cacao…
A l’inverse, on a vu des centaines de projets agroforestiers menés par l’État, des multinationales ou des ONG échouer, parce que mal adaptés : seuls 10 % des arbres plantés ont survécu. Car la reforestation est aussi une affaire d’opportunisme.
Certains États africains demandent une aide financière extérieure pour reboiser. Et les multinationales jouent à ce jeu. Qu’il en soit ainsi. Mais quelle hypocrisie ! Pendant que nous reboisons, les dernières forêts naturelles sont en train d’être mangées…
Le prix du cacao s’envole. Le chocolat va-t-il devenir un produit de luxe ?
Le prix de la tonne de fève de cacao a explosé ces trois dernières années. Il était de 2 500 dollars en 2021, et de 8 000 dollars à l’automne 2024. La flambée des prix est provoquée par une baisse de la production, liée à l’épuisement des sols, à la moindre disponibilité des forêts et à la concurrence. orpaillage [la recherche artisanale d’or]qui attire de nombreux jeunes en quête de revenus en Afrique de l’Ouest.
Cette baisse fait craindre des pénuries sur les marchés. Actuellement, le prix du chocolat augmente pour les consommateurs, mais les producteurs ne profitent pas nécessairement de cette augmentation.
Dans des pays comme la Côte d’Ivoire, qui vendent le cacao à terme – avec un prix fixé jusqu’à un an à l’avance – les agriculteurs ont reçu 1 000 francs CFA (1,53 euros) le kilo ces derniers mois. haricots. Alors qu’au Cameroun, dont l’économie ne repose pas sur le cacao et où les prix sont libres, les producteurs recevaient 4 000 francs CFA (6,10 euros) le kilo.
Résultat : on peut prédire une future arrivée de migrants cacaoyers dans les forêts du Cameroun…
Moins de 5 % du cacao vendu dans le monde est certifié durable, éthique ou biologique. Faut-il acheter du chocolat portant ces étiquettes ?
Les filières dites « éthiques » ou « durables » reposent sur de bonnes intentions, mais elles ne sont pas crédibles à grande échelle pour le cacao. La traçabilité n’existe pas dans ce domaine. Rien ne ressemble plus à une fève de cacao certifiée durable qu’une fève de cacao produite de manière conventionnelle !
Les labels qui promettent un chocolat éthique s’approvisionnent auprès de coopératives qui achètent leur cacao auprès d’un certain nombre de planteurs agréés, dont ils connaissent les parcelles et dont ils certifient la qualité de production. Certes, certaines coopératives respectent leur cahier des charges, mais la grande majorité s’approvisionne en dehors de leur zone officielle. Tout simplement parce qu’ils ne peuvent pas répondre à la demande !
Exemple : une multinationale annonce à une coopérative qu’elle veut 1 000 tonnes de cacao certifié « commerce équitable », mais elle souhaite être livré entre octobre et décembre, lorsque les fèves sont plus fines et plus grosses. Si la coopérative ne peut pas respecter les délais ou la quantité, elle enverra des « pisteurs » chercher du cacao ailleurs. Elle réattribuera alors fictivement ce cacao à certains de ses membres. La traçabilité s’arrête à la coopérative.
Pire encore : des quantités importantes de haricots proviennent de forêts classées et de réserves naturelles ! Ils sont donc produits illégalement, puis livrés la nuit à des coopératives qui les recycleront en cacao rural certifié…
En effet, 40 % des 2 millions de tonnes de cacao ivoirien proviennent de forêts classées. La seule certification qui offre des garanties est biologique. Nous pouvons réaliser des analyses et vérifier qu’il n’y a aucune trace de pesticides. La tricherie existe, mais on peut la souligner de manière irréfutable.
Malheureusement, l’expansion de l’agriculture biologique se heurte à une croyance bien ancrée chez les planteurs : ils sont convaincus qu’ils ne peuvent pas fabriquer de cacao sans pesticides. Mais cela reste une piste intéressante car, avec le bio, il est plus difficile de tricher.
➤ Article publié dans le revue GEO n°550, « Fabuleux Okavango Delta », à partir de décembre 2024.
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