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retour sur les quatre mois d’un procès historique

Une victime, Gisèle Pelicot, devenue une icône féministe à travers le monde, ses bourreaux, une cinquantaine de « gentlemen du quotidien », et un débat de société sur les relations hommes/femmes : le procès pour viol en série de Mazan, dont le verdict est attendu jeudi dans le sud -est de la , a déjà marqué l’histoire.

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Jugée depuis le 2 septembre devant le tribunal correctionnel du Vaucluse, à Avignon, cette affaire est extraordinaire par sa durée, le nombre de prévenus, mais surtout l’atrocité des faits reprochés : un mari qui a drogué sa femme, pendant une décennie, pour la violer et la faire violer par des dizaines d’inconnus recrutés sur Internet.

“LE” geste politique : le refus du huis clos

Dès le premier jour, dans un geste éminemment politique, Gisèle Pelicot, 72 ans, a marqué les esprits en refusant le huis clos, contre l’avis du parquet et de plusieurs avocats de la défense, qui ont refusé “un spectacle”.

Pour que « la honte change de camp, pour que toutes les femmes victimes de viol se disent ‘Madame.’ Pélicot l’a fait, nous pouvons le faire’», explique l’intéressé.

Le procès entre alors dans une autre dimension, en mondovision, avec 166 médias accrédités, dont 76 étrangers. Les réseaux sociaux deviennent fous, politiques, avocats et intellectuels prennent position. Cette affaire devient emblématique du fléau des violences sexuelles, de la soumission chimique et de la question du consentement.

Gisèle Pelicot, la naissance d’une icône

Trois jours plus tard, Gisèle Pelicot, ses trois enfants et ses sept petits-enfants renoncent officiellement à leur anonymat : Gisèle P., telle qu’elle était encore présentée dans les médias – dont l’AFP -, devient Gisèle Pelicot. « Nous nous souviendrons de Madame Pélicot, pas de Monsieur. Je veux que mes petits-enfants n’aient pas honte de porter ce prénom », explique-t-elle.

Arrivée anonyme et discrète, cachée derrière des lunettes de soleil fumées, la septuagénaire assume peu à peu son nouveau statut d’égérie féministe. Mais si « la façade est solide, l’intérieur est un champ de ruines », rappelle-t-elle.

Chaque jour, elle est accueillie par une haie d’honneur et reçoit des bouquets de fleurs. Le public, venu en masse dans une salle attenante pour suivre les débats sur grand écran, a exprimé son admiration. Elle salue par un petit sourire ou un petit mot et appelle les femmes « à cesser de se taire ».

Transformée en icône pop, Gisèle Pelicot voit son image, cheveux roux et lunettes rondes, s’épanouir sur les murs, en France et à l’étranger. La presse américaine salue sa coupe au carré « à la Anna Wintour », grande prêtresse de la mode.

« Héroïne des femmes du monde entier », selon l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, « héroïne féministe » du New York TimesGisèle Pelicot figure par la BBC dans son classement des 100 femmes les plus influentes au monde.

Un « chef d’orchestre » relégué dans l’ombre

A l’ouverture du procès, Dominique Pelicot était encore le personnage central, le « chef d’orchestre » des viols contre son épouse, au domicile conjugal de Mazan. Mais, ironiquement, celui qui explique avoir voulu « soumettre une femme rebelle » se retrouve peu à peu relégué dans l’ombre de celle dont il est désormais officiellement divorcé.


PhotoAFP

Dans les premiers jours, l’état de santé défaillant de Dominique Pelicot a fait douter de sa capacité à comparaître. Un report du procès est même évoqué. Mais, après une courte hospitalisation, l’homme de 72 ans a repris sa place dans son box vitré.

D’une voix nonchalante et obséquieuse, les jambes croisées, le septuagénaire révèle sa vérité, accusant ses 50 coaccusés, âgés de 27 à 74 ans : « tous savaient » que sa femme était sous sédatifs et que donc « c’était un viol », affirme-t-il, voulant ne pas tomber seul.

Mais il refuse de répondre aux questions embarrassantes et il baisse la tête lorsque ses vidéos de viols sont diffusées, au point même de se boucher les oreilles pour ne pas entendre ses propres commentaires crasseux ou l’étouffement de sa femme. Lorsque la peine maximale de 20 ans d’emprisonnement a été requise contre lui, il n’a pas réagi.

Les vidéos sont à l’essai

Fait rarissime dans les procès pour viol, des milliers de photos et vidéos prouvent le calvaire vécu par Gisèle Pelicot. Prises par son ex-mari, elles avaient été soigneusement conservées et légendées par ce dernier. «Pour des raisons de sécurité», dira-t-il énigmatiquement lors de l’audience.


AFP

Grâce à ces preuves matérielles, la parole de la victime ne peut être assimilée à celle de ses agresseurs. Mais doivent-ils être diffusés et permettre la présence de la presse et du public, alors que la défense dénonce un « voyeurisme judiciaire » ?

Considérant ces images « indécentes et choquantes », le président du tribunal, Roger Arata, a d’abord décidé de les réserver à la grande salle d’audience et à la presse. Gisèle Pelicot souhaite seulement que ses enfants ne les surveillent pas.

Puis, le 20 septembre, le magistrat a même exclu les médias de ces émissions.

« Il faut avoir le courage d’affronter » la réalité du viol, rétorquent les avocats de la victime, qui obtiendront finalement gain de cause.

Le 4 octobre, M. Arata a de nouveau autorisé la diffusion des images en présence du public et de la presse. Une « victoire » pour les avocats de Gisèle Pelicot, des « projections nauséabondes » selon ceux de la défense.

Un réquisitoire « pour les générations futures »

Jusque-là discrets, les deux procureurs généraux ont porté un grand coup fin novembre. Après deux jours et demi de réquisitions, ils ont exigé la condamnation des 51 accusés et un total de 652 ans de réclusion : entre 10 et 18 ans de prison pour 49 d’entre eux, la peine maximale possible de 20 ans pour Dominique Pelicot.

Le futur verdict constituera “un message d’espoir aux victimes de violences sexuelles”, assure la vice-procureure Laure Chabaud, mais aussi un guide “dans l’éducation de nos fils, car c’est par l’éducation que sera l’impulsion du changement” pour ” conscience collective et sociétale ».


AFP

Pour l’accusation, ce “testament pour les générations futures” restituera “une part de son humanité volée à Gisèle Pelicot” et suivra les traces d’une autre Gisèle très célèbre en France, Me Gisèle Halimi, l’avocate qui a permis, en 1978, de faire reconnaître le viol comme un crime.

Défense sur une ligne de crête

« L’Avocat du Diable », « seul face au monde », Me Béatrice Zavarro a tenté, dans sa plaidoirie, de mettre en avant « l’autre Dominique », le « bon mari, père et grand-père », dont la plongée dans la « perversité » aurait été provoquée notamment par un viol subi à l’âge de neuf ans.

Pour les avocats des 50 coaccusés de Dominique Pelicot, la tâche était tout aussi ardue. “C’est très dur pour nous de parler, car nous avons une partie civile qui est une icône et tout mot est une attaque contre les femmes”, a résumé M.e Nadia El Bouroumi.

Comme elle, une trentaine de ses collègues « ont osé le mot tabou, acquittement », dénonçant les réquisitions « à la hache » du procureur de la République. Refusant un verdict « pour l’histoire », « pour changer la société », ou que ce procès soit « celui du patriarcat et encore moins de la soumission chimique », ils ont mis en garde contre une « erreur judiciaire ».

Une polémique revenait fréquemment : ces hommes étaient « manipulés », « trompés » par « le monstre », « l’ogre » Dominique Pelicot, qui leur aurait fait croire au scénario d’un couple libertin où sa femme faisait semblant de dormir. Les actions de leurs clients auraient été menées « à contrecœur », « par peur », « pour plaire », par « erreur de jugement », voire « par accident ».

Caroline, victime « oubliée » ?

Egalement photographiée nue, endormie, à son insu, des photos postées sur les réseaux sociaux, Caroline, la fille du couple Pelicot, a-t-elle été elle aussi violée par celui qu’elle appelle seulement son « géniteur » ?


AFP

« Je suis la plus oubliée de ce procès », s’indignait-elle mi-novembre, persuadée qu’elle aussi avait été droguée et violée par son père, comme sa mère : « la seule différence entre elle et moi, c’est le manque de des preuves”, explique celle qui tente de “se reconstruire” en s’impliquant notamment au sein de son association d’aide aux victimes de soumission chimique.

Dans un violent face-à-face, elle appelle son père à « dire la vérité ».

« Caroline, je ne t’ai jamais rien fait », répond-il, aussitôt coupé par sa fille.

« Vous mourrez dans un mensonge ! » Seule, seule dans le mensonge, Dominique Pélicot !

 
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