Boulevard Riazanski, 6 heures du matin. Le lieutenant-général Igor Kirillov quitte son immeuble avec son chauffeur Ilya Polikarpov, venu le chercher. Les deux hommes se dirigent vers la Toyota garée dans la rue, lorsqu’ils sont pris dans une énorme explosion. Le policier a été tué sur le coup, touché au ventre et aux jambes. Son assistant est également mort dans l’attaque. L’affaire a immédiatement fait sensation, car le visage d’Igor Kirillov était connu. Depuis 2017, cet homme dirigeait le département de radioprotection, de protection chimique et biologique des forces armées russes (RKhBZ). Jamais un soldat de son grade n’avait été victime d’une telle attaque sur le sol russe.
La commission d’enquête évoque rapidement un « acte terroriste »après avoir ouvert votre fichier. Les premiers éléments suggèrent en effet une opération ciblée. Un engin explosif a été scotché sur un scooter électrique, rapporte l’agence Tass, citant les enquêteurs. La détonation était contrôlée à distance, ce qui nécessitait une surveillance attentive des mouvements du commandant. L’explosion a été suffisamment puissante pour endommager la façade, selon des images filmées sur place par les médias locaux, et briser les vitres jusqu’au troisième étage, arrachant la porte d’entrée. Ce qui ne laissait aucune chance à l’officier de 54 ans, titulaire de l’Ordre du Mérite.
Tous les regards se sont rapidement tournés vers l’Ukraine. Mikhaïl Podolyak, conseiller du président ukrainien, a rejeté ces accusations, évoquant l’hypothèse d’un conflit interne au sein de l’armée russe. Mais les services secrets ukrainiens ont revendiqué l’attaque dans plusieurs médias, par la voix d’un responsable cité anonymement.
Coïncidence ou pas de calendrier : la justice ukrainienne avait ouvert la veille une enquête contre Igor Kirillov. L’officier russe était soupçonné d’être le principal responsable de l’usage massif d’armes chimiques interdites sur les fronts est et sud de l’Ukraine, explique un communiqué des services secrets (SBU). Ce texte traitait longuement des grenades de combat K-1, qui contiennent « substances toxiques à effet irritant ». Le SBU a expliqué avoir enregistré plus de 4 800 cas d’utilisation d’armes chimiques depuis le début de l’invasion russe. Et “plus de 2.000 soldats” Des Ukrainiens ont dû être hospitalisés pour divers degrés d’intoxication chimique au cours de la même période, selon le SBU.
Igor Kirillov a été sanctionné il y a deux mois par le Royaume-Uni, comme l’ensemble de son unité, « pour le déploiement d’armes chimiques barbares en Ukraine ». Le gouvernement britannique l’a également accusé d’être un « L’un des principaux porte-parole de la désinformation du Kremlin, répandant des mensonges pour dissimuler le comportement honteux et dangereux de la Russie ».
Le commandant, en fait, était surtout connu pour ses thèses alambiquées, distillées à la presse lors des briefings. En juin 2023, Igor Kirillov expliquait notamment que les États-Unis avaient installé plusieurs laboratoires biologiques sur le territoire ukrainien, afin de développer des virus à des fins militaires. A cette occasion, il a dévoilé de supposés projets de drones capables de transporter des essaims de moustiques, prêts à infecter les soldats russes en première ligne. Il a également dénoncé la menace que représentent les oiseaux migrateurs sciemment infectés.
Le soldat avait également développé une obsession pour le rôle supposé des États-Unis dans les pandémies. Par le passé, cet officier avait accusé à plusieurs reprises Washington d’être à l’origine de l’apparition du Covid-19. Après l’invasion russe, il accusait alors les autorités ukrainiennes de fournir aux Américains des milliers d’échantillons de sérum de patients de l’ethnie slave, afin de développer des armes biologiques contre les Russes. Après la destruction du barrage de Kakhovka en juin 2023, il accusait le Pentagone de chercher à accroître les populations de moustiques et de tiques capables de propager des maladies, comme la fièvre du Nil occidental.
Le RKhBZ regroupe des unités spécialisées dans les risques NRBC (nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques), le plus souvent aux côtés des unités traditionnelles. A ce propos, Igor Kirillov est également cité par certains médias russes pour avoir supervisé le développement des systèmes TOS-2, dont il chantait encore les louanges en août dernier. Ceux-ci peuvent être chargés de munitions thermobariques incendiaires, particulièrement destructrices puisque l’air est d’abord aspiré, créant un effet de vide avant d’être libéré dans un souffle de feu.
Les conséquences opérationnelles de la mort d’un soldat devraient être limitées pour l’armée russe. Igor Kirillov “n’était pas le chef du participant le plus important à l’opération spéciale russe” en Ukraine, résume le journal Kommersant. “Mais c’est lui qui a parlé, lors de ses briefings, des laboratoires américains d’armes biologiques en Ukraine”ce dont Moscou a accusé Washington. C’est d’ailleurs surtout ce rôle qui est vanté par les « blogueurs russes », à la tête d’innombrables chaînes Telegram consacrées à l’observation de la guerre.
Mais les hommages officiels affluent aussi pour saluer la mémoire du propagandiste. La porte-parole du ministère des Affaires étrangères Maria Zakharova a déploré la perte d’un officier « intrépide, qui ne s’est jamais caché derrière le dos des autres »lutte “sans relâche (…) pour la patrie et pour la vérité”. Le président de la Douma Viacheslav Volodine a rendu hommage à la mémoire « un militaire de métier, un intellectuel et un patriote ». Plusieurs blogueurs ukrainiens ont, de leur côté, conservé le mode opératoire de l’attaque, célébrant cette « scooter infernal » ou “Noël”qui a finalement renversé le lieutenant-général.
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