Vols détournés, passagers interdits, ajout de fouilles supplémentaires d’un océan à l’autre : la récente découverte d’un colis suspect à l’embarquement d’un vol en partance de Montréal vers l’Inde a eu des répercussions sur le transport aérien à travers le pays. L’événement, dont le contenu n’avait jamais été rendu public, ravive les tensions qui persistent entre les gestionnaires de l’aéroport de Montréal et la police, a-t-on appris La presse.
Le contrôleur de bagages regardait les valises passer dans son scanner à rayons X lorsqu’un détail a retenu son attention. Un obstacle dans l’un des sacs faisait office d’écran, comme un bouclier, et empêchait son appareil photo de détecter correctement le reste du contenu. Un problème courant lors de l’analyse pré-embarquement. Il suffisait de déplacer l’obstacle pour avoir une meilleure vue.
L’employé l’a fait, puis a vu l’engin improvisé.
Un interrupteur. Câblage électrique. Plusieurs piles au lithium. Un gros tube métallique. Le tout relié de manière artisanale et rangé dans la valise.
Il a immédiatement donné l’alerte.
Désaccord sur le terrain
L’événement remonte au 11 novembre, à l’heure du dîner, lors de l’embarquement du vol 94 de British Airways qui devait relier Montréal à New Delhi via Londres. La presse a pu reconstituer les détails après plusieurs entretiens avec des responsables connaissant le dossier au sein de plusieurs organisations.
De nombreux intervenants s’accordent à dire qu’elle est représentative des relations difficiles entre la direction de l’aéroport et les services de police depuis plus d’un an.
Selon nos informations, au moment de la découverte du colis suspect, les dirigeants d’Aéroports de Montréal (ADM) souhaitaient donner le feu vert au départ de l’avion, afin de ne pas trop perturber les opérations. Ils ont suggéré que le vol reparte sans les deux passagers qui avaient tenté de monter à bord de l’appareil suspect, un couple montréalais d’origine indienne et des membres de la communauté sikh. Le départ rapide de l’avion a permis d’éviter des retards et des coûts.
Selon plusieurs sources, des policiers de l’unité aéroportuaire du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sont arrivés et ont vigoureusement exprimé leur désaccord. La police a exigé que l’avion reste au sol, contre l’avis des gestionnaires de l’aéroport, toujours selon nos sources. Ils ont interrogé les deux passagers, qui ont déclaré avoir utilisé l’appareil électronique artisanal trouvé dans leur valise pour appeler leurs employés à l’aide lorsqu’ils en avaient besoin.
Ils ont également fait le lien avec l’Équipe intégrée de sécurité nationale (INST), une unité policière antiterroriste coordonnée par la Gendarmerie royale du Canada (GRC). « Comme pour tout événement pouvant concerner la sécurité nationale, la procédure prévoit que le SPVM informe la Gendarmerie royale du Canada », a déclaré La presse le service des communications de la police de Montréal.
Le président de la Fraternité des policiers de Montréal, Yves Francoeur, a été choqué d’apprendre à quel point la pression était forte pour reprendre le trafic aérien, alors que les craintes d’une menace pour les passagers étaient grandes.
Cela n’avait aucun sens de renvoyer l’avion sans fouiller les autres bagages et enquêter sur les passagers. C’est la sécurité publique qui doit prévaloir, et non les inquiétudes concernant les retards des vols.
Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers de Montréal
“Heureusement, dans ce cas, les choses ne se sont pas mal passées”, a-t-il déclaré.
Contexte sensible
Le contexte n’était pas anodin : un mois plus tôt, le Canada avait accusé l’Inde d’utiliser des gangs criminels pour terroriser les membres de la communauté sikh sur le sol canadien. L’Inde avait également été pointée du doigt par Ottawa pour le meurtre d’un leader séparatiste sikh en Colombie-Britannique. Une vague d’appels à la bombe infondés a visé des vols en provenance de l’Inde, dont l’un a entraîné un atterrissage d’urgence au Nunavut et la prise en charge des passagers par les Forces armées canadiennes.
Quelques jours avant la découverte de l’appareil suspect, des affrontements ont éclaté entre sikhs et hindous à Brampton, en Ontario.
L’itinéraire du vol de British Airways du 11 novembre avait aussi de quoi attirer l’attention : il suivait presque exactement l’itinéraire prévu du vol 182 d’Air India, victime d’un attentat terroriste après son départ de Mirabel en 1985. La bombe, posée par des Sikhs terroristes séparatistes, ont tué 329 personnes.
La police a donc exigé le retrait des trois autres valises enregistrées par le couple montréalais, qui se trouvaient déjà à bord de l’avion de British Airways.
Les bagages étaient déposés sur un carrousel dans la zone des arrivées. L’un des chiens détecteurs d’explosifs les plus expérimentés au Québec a été appelé sur les lieux et il a immédiatement signalé un problème avec les trois valises.
L’alerte est alors montée d’un cran. Des vols ont été détournés vers d’autres aéroports et les douanes canadiennes ont été fermées, entraînant des retards et des dépenses importantes pour les transporteurs aériens.
« Un périmètre de sécurité a été établi afin que les équipes spécialisées du SPVM puissent analyser [le] contenu [du colis]. Des techniciens en explosifs ont effectué des contrôles. À la suite de ceux-ci, il a été déterminé que le colis était inoffensif», précise le service des communications du SPVM.
Selon nos sources, des experts policiers ont déterminé que le chien renifleur de l’aéroport aurait pu réagir à la présence d’une certaine substance inoffensive qui peut parfois être utilisée dans la fabrication de bombes. Peu avant minuit, le vol a été autorisé à décoller, sans les deux passagers montréalais et leurs valises. Lorsqu’ils ont tenté d’acheter des billets sur un vol ultérieur, ils ont été refusés, raconte l’une de nos sources. British Airways a refusé de répondre à nos questions à ce sujet.
Mesures de sécurité exceptionnelles
Toutefois, l’affaire continue d’inquiéter les autorités, qui craignent qu’il s’agisse d’un « essai à sec »une répétition générale pour un groupe malveillant pour tester les mesures de sécurité en prévision d’une attaque.
Quelques jours plus tard, Transports Canada imposait des mesures de sécurité particulières dans tous les aéroports canadiens pour les vols à destination de l’Inde, dont une deuxième fouille avant l’embarquement, une précaution exceptionnelle. Ces mesures ont depuis été retirées.
« Par mesure de précaution, Transports Canada a mis en œuvre des mesures de contrôle de sécurité temporaires supplémentaires pour les passagers voyageant vers l’Inde. Ces mesures ont été levées», résume Laurent de Casanove, attaché de presse de la ministre des Transports, Anita Anand.
Dans le même -, les enquêteurs antiterroristes sont revenus prendre possession de l’appareil suspect pour l’analyser plus en profondeur. Ils ont également procédé à des contrôles auprès du couple interdit de vol.
« L’Équipe intégrée de sécurité nationale de la GRC [EISN] a effectivement pris en charge ce dossier. Des entrevues plus approfondies ont été menées auprès du couple en question et celles-ci corroborent les informations obtenues par le SPVM », affirme le sergent Charles Poirier, porte-parole de la GRC.
« Deuxièmement, nous avons envoyé l’appareil suspect à la section des incidents chimiques, biologiques, radiologiques, nucléaires et explosifs. [CBRNE] de la GRC à Ottawa afin qu’elle puisse procéder à une évaluation. Les résultats de l’expertise confirment que l’appareil est inoffensif et ne présente aucun danger. L’enquête a conclu que les explications fournies par le couple lors des entrevues se sont révélées vraies », poursuit le sergent Charles Poirier.
« Dans le cas présent, à aucun moment la sécurité du public n’a été mise en danger », conclut le porte-parole.
Accusé de donner la priorité au profit
L’événement a cependant permis de constater qu’en cas de menace réelle, tous les acteurs présents à l’aéroport ne sont pas sur la même longueur d’onde. Depuis longtemps, les gestionnaires d’ADM et les policiers déployés à l’aéroport sont en conflit sur des mesures de sécurité qui imposent des coûts importants à l’aéroport.
Dans un rapport confidentiel remis à la direction du SPVM en juin dernier, le commandant de la station de quartier 5, qui couvre le territoire aéroportuaire, affirmait que les gestionnaires de l’aéroport cherchaient à réduire leurs dépenses au détriment de la sécurité.
ADM donne la priorité au profit monétaire plutôt qu’à la sécurité des voyageurs.
Commandant François Morier, dans le document qui La presse a obtenu
Le rapport relate notamment qu’ADM a commencé en 2023 à ouvrir ses points de recherche pour les voyageurs de nuit avant le début des relèves des policiers armés de l’unité aéroportuaire, censés intervenir si une arme est découverte dans les bagages. Un « plan » pour faire des économies, selon le commandant.
Transports Canada a alors forcé l’administration aéroportuaire à payer pour la présence de policiers armés en tout - lorsque les points de fouille sont ouverts, ce qui entraîne d’importants coûts d’heures supplémentaires. Le désaccord sur cette dépense a conduit à l’ouverture d’un nouvel appel d’offres pour les services de police à l’aéroport. Victorieuse au terme de cet appel d’offres, la Sûreté du Québec remplacera le SPVM à l’aéroport à partir du 1est Janvier.
Commentaires en cours
Interrogé par La presse Concernant la mésentente entre les policiers et les gestionnaires de l’aéroport lors de l’épisode du 11 novembre, le porte-parole d’ADM, Éric Forest, a expliqué qu’il ne pouvait pas discuter en détail des processus de sécurité.
« Nous tenons toutefois à souligner que des séances de rétroaction sont présentement en cours avec les différents partenaires impliqués, une pratique courante chez nous après tout événement nécessitant la collaboration de plusieurs intervenants », précise-t-il.
Le porte-parole ajoute que « l’objectif ultime » de la direction de l’aéroport lors de la découverte du colis suspect était la sécurité.
«Dans le cadre de la situation évoquée, les équipes d’ADM Sécurité ont collaboré, comme elles le font systématiquement, avec leurs partenaires, notamment le transporteur, le SPVM, la GRC et Transports Canada», a-t-il indiqué.
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