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Voici l’intégralité du discours du Président Diomaye Faye

Excellences, Messieurs les Présidents de…
Monsieur le Premier Ministre,
Mesdames et messieurs, représentants de…
Mesdames et messieurs, membres du corps diplomatique, mesdames et messieurs, descendants des tirailleurs sénégalais, mesdames et messieurs, représentants d’associations engagées dans la préservation de la mémoire des tirailleurs et de leurs intérêts matériels et moraux.

L’énigme du massacre des tirailleurs de Thiaroye, le 1er décembre 1944, à l’aube, occupera très vite hommes politiques, intellectuels et artistes, Lamine Gueye, Léopold Sédar Senghor, Keita Fodéba, historiens et hommes de lettres (Myron Echenberg, Mbaye Gueye, Cheikh Faty Fay, Armelle Mabon, Abdou Sow, Martin Mourre, Sabrina Parent…), scénaristes et réalisateurs (Boubacar Boris Diop, Ben Diogaye Beye, Doumbi Fakoli, Sembène Ousmane et Thierno Faty Sow).

Le 1er décembre 1944, à 5h30 du matin, 1 200 hommes des troupes coloniales françaises et de la gendarmerie prennent position autour du camp militaire de Thiaroye. Les soldats, armés et prêts, sont appuyés par trois véhicules blindés et deux chars. A l’intérieur de la caserne, 1 200 à 1 800 tirailleurs sénégalais ont répondu présent.

La qualification territoriale « Sénégalais » gomme la diversité de leur origine territoriale. Ils ont été recrutés, souvent de force, dans les possessions françaises d’Afrique (AOF, AEF et Cameroun et au-delà). Ils ont été victimes de traitements racistes liés au système colonial. Ils ont participé à la guerre sur tous les fronts, en premier lieu sur celui européen.

Faits prisonniers suite à la débâcle de l’armée française en juin 1940, ils passèrent environ un an en Allemagne ; certains furent ensuite transférés dans des « Fronts-Stalags » (camps de travail) en occupée. Là, ils sont contraints d’accomplir des tâches qui contribuent à l’effort de guerre allemand. Après leur libération, certains poursuivent la guerre auprès des soldats français libres, d’autres sont incorporés dans des unités de travail militaire.

Vient ensuite la libération (été et automne 1944). Regroupés dans des camps du centre et du sud de la France, après quatre années passées dans les prisons allemandes, les tirailleurs sénégalais sont rapatriés en Afrique. Ils sont stationnés à Thiaroye en attendant leur démobilisation et leur retour dans leurs territoires d’origine.

Les revendications des tirailleurs portaient sur plusieurs dossiers dont les plus importants sont les indemnisations, salaires, primes de démobilisation et autres indemnités, mais aussi les conditions de confinement à Thiaroye et le retour dans leurs pays d’origine. La réponse des autorités coloniales ne se fait pas attendre. La violence systématique du gouvernement colonial reprenait ses droits. Le paradoxe est que la célébration de la « libération », emblème distinctif de la France à la fin de la guerre, marque le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye. Leur contribution à la libération de la France n’est pas prise en compte ; encore moins les valeurs et les engagements civiques et démocratiques encouragés par la guerre. En témoignent les « mutineries » et les « révoltes » qui ont secoué les troupes coloniales.

Les massacres sont récurrents dans l’histoire des empires coloniaux. Thiaroye est pourtant un moment particulier. Elle s’inscrit dans un contexte de célébration de l’euphorie de la libération, du triomphe des dirigeants de la résistance, « les camarades de la libération » sous la houlette du général De Gaulle. C’est précisément dans ce moment de refondation alimenté par « une certaine idée de la France » qu’a eu lieu la répression sanglante des demandes légitimes d’anciens prisonniers qui avaient subi les horreurs de l’emprisonnement, de la torture et des privations. Le massacre de Thiaroye a brutalement détruit les rêves d’émancipation soutenus par la propagande des libérateurs de la France. La fin de la guerre, le retour de l’image prophétique d’une France liée à son histoire et surtout à son tournant révolutionnaire, aux valeurs républicaines et au respect des droits de l’homme, a laissé les tirailleurs sénégalais et les peuples colonisés au bord de la rue du gouffre.

Dans les jours qui ont suivi le massacre, les autorités françaises ont tout fait pour dissimuler « le carnage et la tuerie ». Les qualifications viennent de Lamine Gueye. Ils modifient les registres de départ de Morlaix et d’arrivée à Dakar, le nombre de militaires présents à Thiaroye, les causes du rassemblement des tirailleurs…

Un premier bilan fait état de trente-cinq (35) morts dans une « mutinerie ». Le bilan officiel français fait état de 70 tirailleurs sénégalais morts. Les estimations les plus crédibles parlent de trois cents (300) à quatre cents (400) victimes. Cette volonté délibérée de dissimulation, dénoncée par les historiens, se manifeste très tôt.

Les circonstances, l’intensité des opérations répressives, le nombre de morts restent incertains ; certaines archives administratives et militaires sont inaccessibles, falsifiées, manquantes ou incohérentes. Lever le voile sur le massacre contre les manœuvres de dissimulation de la vérité est aujourd’hui un impératif catégorique. Nous demandons une collaboration sincère et totale de la France.

Le gouvernement du Sénégal a décidé de revenir sur cet événement avec la commémoration du 80ème anniversaire du massacre des tirailleurs sénégalais, à Thiaroye, le 1er décembre 1944.

Prendre les devants dans la production du récit relatif à ce moment de notre histoire, c’est ramener l’événement en Afrique, gommer la territorialisation coloniale et autoriser une mise en scène commémorative commandée par les Africains, hors des champs d’honneur français.

Bien entendu, l’ancien président français François Hollande a admis en 2014 que les balles françaises avaient tué des tirailleurs ; il a affirmé avec force que sa présence à Thiaroye était un acte de « réparation d’une injustice » ; que l’intervention de l’armée française était « terrible et insupportable ». Pourtant, la reconnaissance de la répression sanglante dont les victimes portaient des uniformes français semblait avoir valeur d’absolution. La France ne grandit-elle pas grâce au regard lucide qu’elle porte sur son passé ? Aujourd’hui, l’ancien président Hollande a décidé de reconnaître qu’il s’agissait bien d’un « massacre à la mitrailleuse, donc c’est un massacre » (21 novembre 2024). Le président Emmanuel Macron lui a emboîté le pas il y a quelques jours, dans une lettre adressée au président Bassirou Diomane Diakhar Faye.

Le crime des tirailleurs : « un crime de désobéissance » dicté par la confusion entretenue par la métropole, entre les valeurs qui lui sont exclusivement réservées, d’une part, et le gouvernement impérial et l’arrogance, de l’autre. Une disjonction qui a eu un coût si terrible que ses répercussions se font encore sentir aujourd’hui.

Il est donc essentiel de briser le silence et d’afficher avec force notre point de vue, nos commentaires et notre imagination créatrice sur l’événement. Pour nous Sénégalais, Thiaroye est une opportunité aussi dramatique que majestueuse d’accorder aux victimes du massacre le statut de « morts pour l’Afrique » et pour l’esprit panafricain.

L’histoire est racontée depuis l’Afrique par Léopold Sédar Senghor dans le poème Tyaroye (1944) et par Keita Fodéba (1948) dans son poème-ballet Aube Africaine. Les poèmes sont des regards africains qui témoignent, selon le premier président sénégalais, de « l’Afrique éternelle, le monde à venir… le monde nouveau qui sera demain » (Senghor). C’est précisément ce monde à venir, fait d’unité, de prospérité, de démocratie et de diversité, que nous voulons célébrer et réaliser ensemble. Un souvenir que nous devons continuer à vivre pour notre histoire future.

Oui, avec le régime du nouveau président sénégalais Bassirou Diomaye FAYE, sous la direction du Comité de commémoration mis en place par le Premier ministre Ousmane Sonko, il s’agit bien d’une rupture avec les régimes précédents qui ont commencé avec le massacre de Thiaroye. Les régimes successifs ont gardé un silence coupable et complice sur le « carnage » et la « tuerie » de Thiaroye. Je reviens ici sur les qualifications de Lamine Gueye.

Une vaste entreprise; une entreprise difficile mais très passionnante dont l’animation nécessitera des opérations permanentes, capables de participer à un travail historique et mémoriel pour produire des récits, des enseignements civiques, culturels et artistiques au service des communautés panafricaines. Une histoire partagée qui alimente une pédagogie pour construire les bases de l’intégration africaine. »

Pour conclure mon discours, je voudrais remercier le Premier Ministre d’avoir choisi mon humble personne pour coordonner la commission chargée de mener la double opération, commémorer le 80ème anniversaire du massacre, faire le point sur la situation et faire des propositions pour l’avenir.

Je tiens également à remercier les membres du comité qui n’ont ménagé aucun effort et se sont consacrés à cette tâche. Leurs contributions individuelles et collectives sont inestimables.

Enfin, je tiens à remercier,
– le Ministre Secrétaire Général du Gouvernement, Ahmadou Al Aminou LO, et notamment son équipe
– le conseiller technique du Premier ministre Abdoulaye Koundoul et ses assistantes, Fatima Ly et Coura Cissé,
– ses collègues des différents départements ministériels,
– M. Woré Ndiaye et Fatou Falle,
– des prestataires, ou Oura Group notamment, Mme Ramatoulaye Ba Sall et M. Ousmane Sy, ou Villa Racine,
– la presse, RTS, APS et Le Quotidien, Le Soleil notamment,
– Le Musée des Civilisations Noires,
– Le Grand Théâtre Doudou Ndiaye Coumba Rose, – Le lieu de la mémoire africaine,
– L’Université Cheikh Anta Diop, – AGEROUTE, – Les communes de Thiaroye Gare et Thiaroye sur Mer et,
– bien sûr, vous le constatez vous-même, le ministère des Armées et de la Gendarmerie nationale. Merci pour votre aimable attention.

 
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