Les artistes sont aussi la somme des œuvres qui les ont façonnés. L’actrice et animatrice Karine Vanasse, aux commandes pour la deuxième année consécutive de l’émission spéciale Dans un cinéma près de chez vous (samedi 23 novembre, 20 h, sur ICI Télé), dédiée au cinéma québécois, parle de ceux qui l’ont marquée avec notre chroniqueur Marc Cassivi, dans le cadre de notre rubrique Sous influences.
J’ai beaucoup lu sur vous et je n’ai pas trouvé d’articles où l’on parle de vos influences. L’idée est donc que vous me parliez des œuvres qui ont marqué pour vous…
Je me rends compte que de nombreux documentaires ont provoqué en moi des émotions particulières. Si Être et avoir, Pays de miel ou Né dans des bordels [Oscar du meilleur documentaire en 2005]. Avant de faire du cinéma, je ne comprenais pas la grande difficulté du documentaire. Le fait d’avoir cette patience, de choisir un sujet, d’être à l’affût de son évolution, l’intuition du documentariste, ça me fascine vraiment beaucoup. Ce sont des réalisateurs qui ne font pas beaucoup de films. J’ai une immense admiration pour cela.
Ce sont de longs processus. Pour Être et avoir [de Nicolas Philibert]il a fallu choisir la bonne classe, puis mettre les enfants en confiance avant de les suivre pendant plusieurs mois dans leur parcours.
Le film que je cite le plus souvent, le moment de cinéma qui m’a le plus marqué, c’est la scène finale de L’acte de tuer…
Sur le génocide en Indonésie…
Tu ne sais pas trop ce que tu regardes, mais à la fin, il y a un moment d’humanité extrêmement bouleversant. On aurait demandé à n’importe quel acteur de jouer ce moment-là et on ne serait jamais arrivé à cette intensité, à cette pureté, à cette vérité.
Qu’est-ce que le documentaire éveille en toi comme créatrice ?
Ce qui me touche le plus, c’est de participer à des projets où l’on est créativement prêts à recevoir ce qui se passe spontanément, même en fiction. Quand on a rencontré Sophie Deraspe pour Bergers [dans l’émission Dans un cinéma près de chez vous]elle nous a raconté le moment où un agneau est né et ils ont improvisé une scène…
Apprendre cela m’a fait voir la scène d’une autre manière…
Je n’ai pas encore vu le film, mais j’ai hâte de le voir rien que pour cette scène ! Même si nous avons une scène écrite, des surprises surgissent. Vous jouez une scène avec un acteur et ce n’est pas censé être si dramatique, mais il a une autre émotion qu’il ose laisser monter, une couche que personne n’a vu venir. Cette spontanéité dans la création me parle beaucoup.
Dans Bergers, [Félix-Antoine Duval] est ému par cette naissance. On le voit sur son visage. C’est l’humain qui réagit, pas seulement l’acteur. Il porte l’agneau dans ses bras sans savoir si l’on pourra retrouver la mère, partie rejoindre le troupeau. Il est porté par la vérité du moment.
Autant je trouve impressionnant de voir des créateurs hyper préparés, autant cette préparation conduit à avoir autant de flexibilité, autant je trouve cela admirable. Les films ne sont pas toujours réussis du début à la fin. Ce que je préfère, ce sont les œuvres qui ont une scène qui me fait tomber. Un moment de vérité.
Si vous revenez sur vos souvenirs, quelles œuvres ont été marquantes dans votre enfance ?
Anne… la maison aux pignons verts ! Quand j’ai commencé à jouer, je pensais souvent à cette actrice…
Megan suit…
Megan Follows ! Elle avait une telle spontanéité. Je n’avais pas l’impression que son côté espiègle était fabriqué. Je n’étais pas très Fifi Brindacier.
Tu as choisi une autre rousse…
Le besoin d’intensité, d’absolu. Le rêve et le romantisme autour de son univers, l’amitié, les relations déchirantes qui cachent autre chose. Le fait de vouloir faire partie d’une famille, d’avoir des liens forts avec les gens, de comprendre l’autre aussi. Je me reconnaissais beaucoup dans Anne Shirley ! De vivre en étant perméable à tout ce qui se passe. Je n’ai pas regardé les autres versions.
Même pas Road to Avonlea, avec Sarah Polley ?
Non. Mais j’ai beaucoup aimé Sarah Polley avec Mark Ruffalo dans un film canadien… My Life Without Me.
D’Isabel Coixet.
Quand j’ai vu ça, j’y croyais tellement ! Il y avait quelque chose dans cette quête de la mère qui sait qu’elle va mourir et qui enregistre des messages pour ses proches. Il y a des moments précis de ce film qui me marquent encore, au-delà des images. Humainement, ce qu’on me présentait, j’y croyais.
Est-ce que le cinéma québécois t’a intéressée dès un jeune âge ?
Je commençais à travailler à l’adolescence et c’est là que j’ai découvert Les bons débarras. Je commençais à faire Les débrouillards et ça m’avait vraiment impressionnée. Juste la puissance des mots. Comment on peut faire ressentir les choses avec un texte qu’on fait dire à des personnages qui ne devraient pas dire ce genre de choses.
Charlotte Laurier qui dit les mots de Ducharme…
L’efficacité de ça, quand c’est mis dans la bouche des bons acteurs. La petite Marguerite [Laurence] qui joue dans Mlà Bottine a ce côté brut qu’on retrouve chez Charlotte Laurier. Quand je suis venu tirer Le débrouillard À Montréal, je me suis arrêté à la CinéRobothèque de l’ONF avant de reprendre l’autobus pour redescendre vers Drummondville. C’était extraordinaire. J’ai tellement aimé ! Il y avait beaucoup de films auxquels je n’avais pas accès car j’habitais dans la région. Quand Emmène-moi est sorti, ce n’était pas si facile de le voir à Drummondville. Il fallait le voir au cinéma de répertoire. L’accessibilité au cinéma ici n’était pas ce qu’elle est aujourd’hui. Il n’y avait pas encore eu les grands succès que nous avons eu plus tard, comme Les Garçons ou Séraphin.
Tu avais quel âge quand tu as joué dans Séraphin ? Le début de la vingtaine ?
Même pas, 18 ans !
Donc peu après Emporte-moi…
Oui. Séraphin, ça m’a montré que c’est possible de rallier les gens autour des œuvres. On faisait le tour du Québec et les gens venaient nous en parler. C’était beau de voir tous ces gens dans les salles, vivre une expérience en groupe, pendant deux heures, sans qu’ils soient forcément des cinéphiles. Je me souviens quand je suis allée voir Triangle of Sadness en salle. On n’était pas beaucoup, mais on riait aux mêmes moments. J’étais tellement heureuse de pouvoir partager ce plaisir-là, même si je ne connaissais pas les gens autour de moi. Ça ajoutait même à l’expérience. Un cinéaste que j’aime beaucoup, c’est Kore-eda.
La famille que l’on choisit ou pas, la transmission…
Peu de personnages, avec lesquels on plonge. C’est le genre de portraits que j’apprécie. Une histoire un peu inconfortable, que tu découvres couche par couche dans les rapports humains.
Poses-tu parfois un regard d’actrice sur les films ? Est-ce que tu scrutes le jeu des comédiens d’une manière particulière ?
Je suis souvent impressionnée ! Je capote sur Jessie Buckley. Je l’ai découverte dans Wild Rose, en chanteuse country qui sort de prison et retrouve ses enfants. Je savais que sa carrière allait décoller. J’ai vu récemment The Outrun avec Saoirse Ronan. Mon regard d’actrice est présent quand je vois une actrice vraiment libre. Saoirse Ronan, juste dans ses photos de presse, tu le sais qu’elle va être écœurante dans le film.
Deux autres rousses !
[Elle rit] C’est certain que je suis sensible aux performances que j’admire de la part d’actrices qui me touchent. Ça me touche de voir que c’est possible de jouer comme ça, qu’il y a des personnages comme ça, qu’on peut choisir d’être une actrice qui fait ce genre de choix. Je trouve important de valoriser ce que signifie être interprète, se rendre disponible à ce qu’on a à jouer, en lisant le langage d’un cinéaste qui tente de raconter une histoire. Je ne sais pas si je serais un jour prête à réaliser, comme Jodie Foster l’a fait avec Petit homme Tateun film que j’adorais quand j’étais jeune. Je l’ai trouvée merveilleuse Nyadavec Annette Bening, même si ce n’est pas un grand film.
Une autre rousse…
Jodie Foster, rousse ? Non ! Toujours pas. Là, vous forcez le récit !
Dans un cinéma près de chez vous est présenté Saturday, November 23, 8 p.m., at ICI Télé
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