« Comment en France, en 2024, une femme peut-elle encore subir ce qui a été infligé à Gisèle Pelicot pendant au moins dix ans ? » a demandé l’avocat Antoine Camus à la barre.
La fin d’un procès épuisant. Après onze semaines d’audiences et l’audition de 50 prévenus devant le tribunal correctionnel du Vaucluse, à Avignon, le procès pour viol de Mazan est entré dans sa phase finale, mercredi 20 novembre, avec le début des plaidoiries des parties civiles. « Par ce geste quasi politique de renoncer au huis clos »le 2 septembre, à l’ouverture de ce procès, Gisèle Pelicot « a invité l’ensemble de la société à se poser des questions, à changer les mentalités, pour un avenir qui romprait enfin avec une violence que l’on souhaite pour un autre âge »a estimé Antoine Camus, le premier à plaider en fin de matinée.
« Comment en France, en 2024, une femme peut-elle encore subir ce qui a été infligé à Gisèle Pelicot pendant au moins dix ans ?» protesta l’avocat. « Comment en France, en 2024, peut-on trouver au moins 50 hommes, mais en réalité 70 individus, dans un rayon de 50 kilomètres, pour venir profiter de ce corps inerte, sans conscience, qu’on croirait mort ? il a continué.
« Les débats ont établi que chacun, en sortant de cette maison de l’horreur, a compris que d’autres étaient partis avant. »
Antoine Camus, lawyer for Gisèle Pelicotdevant le tribunal correctionnel du Vaucluse
« Personne n’a jugé bon d’alerter la police : il y a eu plus de 200 viols en dix ans »a noté Antoine Camus, évoquant le concept de « banalité du mal » de la la philosophe Hannah Arendt, déplorant que tous les accusés aient « contribué à cette monstruosité ».
L’avocat est également revenu sur les questions qui ont été posées à la victime, relatives à “signaux” qu’elle aurait dû voir, selon la défense, concernant les viols qu’elle a subis alors qu’elle était droguée aux anxiolytiques. « Comment imaginer que le danger vienne de l’intérieur, au cœur même d’un foyer que l’on croit sûr et aimant ?il interroge.
Il regrette aussi un passage quasi obligatoire durant ces semaines de procès : faire le « démonstration que nous sommes une bonne victime. Comme si le fait pour une femme d’avoir, en dehors des lieux du crime, une sexualité libérée, peut-être même débridée, était disqualifiante pour occuper le banc des parties civiles », il a observé. Gisèle Pelicot a été interrogée à plusieurs reprises sur sa sexualité et 27 photos intimes d’elles ont été montrées, à la demande de la défense.
« On lui a même reproché de ne pas assez pleurer. Une manière de laisser entendre qu’il y aurait une connivence suspecte [avec son ex-mari]“estime l’avocat, en référence aux questions posées la veille par la défense. Pour lui, ces questions s’apparentaient à un « forme d’abus dans la salle d’audience ».
Stéphane Babonneau, qui a également plaidé mercredi, a critiqué la ligne de défense des prévenus “qui reconnaissent avoir pénétré Gisèle Pelicot sans avoir obtenu son consentement”. “Mais la conclusion qu’ils tirent de ces constatations est qu’elle n’a pas été victime d’un viol de leur part”a-t-il noté. En fait, ils plaident « une erreur d’appréciation simple et banale, dont ils tiennent Dominique Pelicot pour responsable ».
« Le consentement de Gisèle Pelicot n’a jamais été un sujet d’inquiétude pour l’accusé. Leur mépris souverain se reflète dans le dossier pénal et dans les propos tenus à cette barre.
Stéphane Babonneau, lawyer for Gisèle Pelicotdevant le tribunal correctionnel du Vaucluse
Il s’est ensuite penché sur le profil de l’accusé, remettant en cause l’analyse de certains experts du barreau qui définissent un agresseur sexuel selon certains critères. “On entend dire que les hommes accusés de viol sont appréciés, intégrés, n’ont pas le profil des violeurs”, observe l’avocat de la partie civile. « Le violeur, c’est l’homme qui commet un viol. C’est tout. Ni plus ni moins”.
Un peu plus tôt dans la journée, le principal accusé, Dominique Pélicota été entendu une dernière fois et s’est excusé auprès son ex-femme et leurs enfants. “Je n’imaginais pas que ça leur ferait autant de mal”dit-il. « Tu finiras seul comme un chien ! »lui a crié sa fille Caroline Darian, à l’autre bout de la salle d’audience, rouge de colère.
Après les premières plaidoiries, le procès sera suspendu jeudi et vendredi, pour permettre au ministère public de préparer son réquisitoire. Le parquet a pour mission d’individualiser les peines de Dominique Pelicot d’une part, et des 50 coaccusés d’autre part, âgés entre 26 et 74 ans. Si la plupart sont poursuivies pour les mêmes faits, viol aggravé de Gisèle Pelicot, et risquent donc jusqu’à 20 ans de réclusion criminelle, la justice doit tenir compte du parcours personnel de chacun.
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