Jusqu’où PooPeeDo remonte-t-il ?
Pendant le confinement, j’ai eu le temps de réfléchir. J’avais moins de travail, je devais dépenser moins. J’ai commencé à “faites-le vous-même”. Pour les cosmétiques, les produits d’entretien en priorité. Puis un plant de tomate sur le balcon. Et enfin une parcelle de potager collectif. J’ai des conserves pasteurisées et stérilisées dans ma cave. Et réduit mes dépenses en « consommables ». La dernière étape pour réduire les factures était les toilettes. D’où les toilettes sèches.
Mais il y avait un problème…
Compostage ! J’ai contacté de nombreuses associations pour savoir quoi faire des urines et des selles. Avec les gars du potager, j’ai négocié un petit espace pour le compostage. Mais c’est assez loin de chez moi. Que faire en hiver ? Nous avons réalisé que la loi ne dit pas qu’on ne peut pas composter les selles et l’urine. Mais elle ne dit pas non plus que nous pouvons le faire. Il y a là un vide juridique. Avec mes nouveaux contacts, nous avons créé PooPeeDo. Nous essayons désormais de promouvoir les toilettes sèches. Nous disposons d’un espace de démonstration à Anderlecht pour faire connaître les différentes techniques de compostage, les proposer aux institutions et montrer au monde politique que cela fonctionne sans problème de santé.
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mouetteNous avons réalisé que la loi ne dit pas qu’on ne peut pas composter les selles et l’urine. Mais elle ne dit pas non plus que nous pouvons le faire. Il y a là un vide juridique.
L’histoire de l’agriculture et des villes est liée à celle des excréments.
Depuis des millénaires, l’agriculture fonctionne grâce à l’urine humaine. De plus, les agriculteurs ont longtemps considéré les villes comme un dépôt d’engrais. Avant de drainer, ils s’y approvisionnaient. L’agriculture industrielle d’un côté et la densification des villes de l’autre ont mis fin à ces habitudes séculaires. Évidemment, la population croissante n’allait plus jeter ses conneries par la fenêtre. Plus les villes se densifiaient, moins il était possible de tout évacuer. Et aujourd’hui, les agences de sécurité alimentaire interdisent de répandre des excréments et de l’urine sur les cultures, pour des raisons d’hygiène.
L’urine est-elle bonne pour l’agriculture ?
Il contient de l’azote, du potassium et du phosphore, les 3 nutriments qualitatifs qui, avec la photosynthèse, sont nécessaires à la croissance des plantes. Cela n’est plus à prouver : l’urine accélère la croissance de toute une série de plantes nécessaires à l’alimentation humaine.
mouetteL’urine contient de l’azote, du potassium et du phosphore, les 3 nutriments qualitatifs qui, avec la photosynthèse, sont nécessaires à la croissance des plantes.
Toutefois, les excréments humains ne sont pas utilisés dans l’agriculture urbaine.
D’une part, il y a ce vide juridique. Par contre, c’est assez compliqué techniquement. Nous devons développer un processus clair. Pour éviter la contamination par des germes. C’est pour cela que PooPeeDo fonctionne. Il existe des exemples où cela fonctionne, en Scandinavie notamment. La Fumainerie, à Bordeaux, collecte et réutilise les excréments dans des projets d’agriculture durable. Leur expérience a duré plusieurs années.
Y a-t-il des précautions à prendre lors de l’utilisation de ces composts alimentés par des excréments ?
Les micro-organismes pourraient en effet contaminer les humains dont le corps n’a jamais été en contact avec eux. La transmission est possible, par exemple par toucher. Nous conseillons donc d’utiliser ces composts uniquement avec des petits fruits ou arbustes. Et pas avec des poireaux ou des pommes de terre. Le paillage est aussi un moyen de se protéger de la contamination. Notre objectif est en tout cas de porter ces processus à grande échelle.
On dit souvent que nos excréments sont pollués.
Ils contiennent les produits chimiques que nous consommons. Ceux des médicaments, des PFAS… Mais je préfère les confier à des bactéries qui les décomposeront dans des composts plutôt qu’à des stations d’épuration qui les laisseront passer. Il y a aussi le problème de l’eutrophisation des rivières : l’azote alimente les plantes aquatiques qui pompent tout l’oxygène, au détriment des autres organismes. Enfin, il existe des œstrogènes provenant des pilules contraceptives qui modifient le sexe des poissons. Tout cela pourrait être traité par les bactéries et le mycélium issus des composts.
Qu’en est-il de l’impact de nos toilettes sur l’eau potable ?
Nous sommes la seule espèce terrestre à chier dans l’eau potable ! De 10 à 15 litres pour les anciens modèles, de 3 à 7 litres pour les chasses d’eau plus modernes : une famille de 3 personnes qui tirent la chasse d’eau 3 fois par jour, moyenne basse, ça fait des millions de m3 gaspillés. Les économiser, c’est réduire d’un tiers la consommation d’eau. C’est également un coût moindre pour les stations d’épuration puisqu’il y aura moins de polluants dans l’eau. Et donc moins d’impôts. Et en même temps, nous réduirions notre dépendance à l’égard de l’agro-industrie, des multinationales d’engrais, des pays producteurs comme l’Ukraine et la Russie envers lesquels le conflit actuel a montré notre dépendance.
Il faut donc s’attaquer à la collecte ? Comme Paris qui envisage de collecter les urines dans un nouvel écoquartier ?
Il y aura toujours des douches et des robinets, mais nous pouvons déjà puiser de l’eau dans des citernes de pluie. Ensuite, PooPeeDo ne prône pas de tout changer : il faut repenser ce qu’on a bien fait avant, pour le meilleur. Par exemple avec un « sac marron » qui recyclerait nos excréments dans un centre de traitement à créer. Nous pouvons également créer des mini-systèmes de collecte et de traitement dans les composts de quartier. L’idéal serait de former des architectes et des ingénieurs pour intégrer de nouvelles canalisations permettant de récupérer des matériaux in situ, pour les collecter ou les composter sur place. D’autant que la gestion des égouts est un désastre budgétaire et environnemental pour la collectivité.
mouetteL’idéal serait de former des architectes et des ingénieurs pour intégrer de nouvelles canalisations permettant de récupérer des matériaux in situ, pour les collecter ou les composter sur place.
Y avait-il d’autres technologies précurseurs ?
Nous avons déjà tout vu ! Des toilettes qui gèlent les matériaux avant le transport. D’autres qui les brûlent directement. Mais concevoir des toilettes qui chauffent jusqu’à 300 ou 400 degrés, c’est une usine à gaz. C’est presque de la science-fiction.
Les gens n’ont-ils pas peur des odeurs ?
Si le compost est mal géré, l’urine peut se transformer en ammoniaque et dégager une odeur très forte, comme celle d’une toilette dont la chasse d’eau n’est pas bien tirée. C’est pourquoi un apport de matière sèche est nécessaire, via les copeaux. Cette couche recouvre les selles et fournit le carbone nécessaire à la décomposition par les micro-organismes. Chez moi, ça ne sent pas plus fort que les toilettes ordinaires.
Dans un appartement, on n’a pas souvent du compost sous la main.
C’est là que peut intervenir le lombricompost. C’est un système fermé qui s’installe sur un balcon et qui récupère l’urine par un petit système de pompage.
mouetteNous avons déjà tout vu ! Des toilettes qui gèlent les matériaux. D’autres qui les brûlent. C’est presque de la science-fiction.
Bruxelles Environnement teste des toilettes sèches au lombricompost dans deux parcs. Utile ?
Bien entendu, il est judicieux de collecter et de composter sur place. Cela évite les allers-retours en camion pour le recycler dans un centre de bio-méthanisation ou de compostage.
Revaloriser nos caca et pipi est un « impensable » total : les Bruxellois et les Belges sont-ils prêts ?
C’est un problème mental. Les gens se plaignent déjà des composts de quartier, donc des toilettes ! Il faut briser le tabou.
Cartographier les toilettes sèches à Bruxelles et en Wallonie pour sensibiliser
A l’occasion de la Journée Mondiale des Toilettes ce 19 novembre 2024, les associations Amis de la Terre – Belgique et PooPeeDo ont lancé une carte collaborative recensant les lieux équipés de toilettes sèches dans toute la Belgique. L’objectif de cette carte est de proposer un outil pratique et pédagogique, pour sensibiliser et « démarginaliser » la pratique des toilettes sèches : « Les utilisateurs de cette carte interactive pourront localiser les lieux donnant accès aux toilettes sèches, qui comprennent des cafés, des lieux publics, des centres culturels ou encore des particuliers prêts à ouvrir la porte de leurs latrines aux visiteurs. Cette initiative offre ainsi l’opportunité d’échanger, de s’informer et de tester librement cette méthode. gestion écologique de nos ressources en eau», expliquent les associations.
Découvrez la carte interactive ci-dessous, qui sera enrichie :
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