Avec sa chemise repassée, assis dans sa chambre bien rangée, Jacques Roy ne laisse deviner à personne qu’il vivait dans sa voiture il y a deux ans. Et il serait peut-être encore à la rue, si une place ne s’était pas libérée dans la seule résidence pour aînés sans-abri de la province.
«Je n’aurais jamais prévu ça, mais la vie ne prévient pas», affirme Jacques Roy, les mains jointes, posées sur ses cuisses. Il y a cinq ans, l’homme de 72 ans gagnait sa vie en nettoyant des résidences privées à Lachine, où il louait un appartement avec sa compagne Diane.
Mais une série de drames frappe l’aîné : d’abord la mort de sa compagne, puis la pandémie de Covid-19, qui l’empêche d’exercer son métier. Jacques Roy a perdu ses revenus, et éventuellement son appartement. Il a fini par dormir dans sa voiture, qu’il avait ensuite volée. «J’étais complètement désorienté, sans Diane à mes côtés», se souvient-il en tendant la main vers une photo de sa défunte compagne.
Mais ce chapitre de la vie de Jacques Roy est derrière lui. Aujourd’hui, l’aîné possède sa propre chambre dans la résidence JA De Sève à La Maison du Père, une résidence pour personnes âgées (RPA) qui accueille exclusivement des hommes sans abri depuis 1988.
«Le luxe qu’on a dans notre ressource, c’est qu’on a du temps», souligne Samuel Drolet-Bégin, travailleur psychosocial. Les nouveaux résidents, dont certains ont passé des décennies sans abri, arrivent souvent avec de graves problèmes de santé mentale et physique, ainsi qu’une faible estime de soi. Près de la moitié des habitants ont des problèmes de consommation, selon le conférencier.
Notre travail consiste à soutenir les gars dans ces situations afin qu’ils puissent terminer leurs jours dans la dignité.
Samuel Drolet-Bégin, psychosocial worker
Un modèle unique
La résidence JA De Sève accueille des hommes de 55 ans et plus, considérés comme des seniors en raison d’un vieillissement précoce causé par la précarité. La malnutrition, la consommation de drogues, l’exposition au froid et le stress sont autant de facteurs qui fragilisent la santé des personnes en situation d’itinérance, explique Samuel Drolet-Bégin.
Mais tous les habitants de la RPA n’ont pas connu la rue. « Nous avons beaucoup de personnes qui ont eu des vies accomplies, mais une rupture amoureuse ou le décès d’un proche a conduit à perdre leur logement », souligne l’intervenante.
Selon le décompte réalisé par le ministère de la Santé et des Services sociaux en 2022, pas moins de 44 % de la population itinérante à Montréal est âgée de 50 ans et plus, une proportion qui a augmenté de 33 % en quatre ans.
Or, la résidence JA De Sève est la seule RPA de la province qui accueille exclusivement la population itinérante, un fait « aberrant » aux yeux de Julie Denis, directrice du continuum de services cliniques à La Maison du Père.
Avec ses 87 chambres, la résidence ne parvient pas à répondre à la demande.
Nous avons toujours, toujours une liste d’attente. Avec la hausse des loyers et le vieillissement de la population, cela ne s’arrêtera pas non plus.
Julie Denis, director of the continuum of clinical services at La Maison du Père
Julie Denis souhaiterait particulièrement voir ouvrir un RPA qui accueillerait des femmes itinérantes. « Mais comme toujours, c’est une question de financement », souligne-t-elle.
Échapper à la pauvreté
Les rideaux sont fermés dans la chambre de Luca Didodo lorsque Julie Denis frappe à sa porte. L’ancien chauffeur de camion a vécu toute sa vie avec un toit au-dessus de la tête, mais sa dépendance au jeu l’a conduit à la rue.
À 70 ans, il se retrouve à dormir dans les dortoirs des urgences de La Maison du Père pendant un an, avant d’être admis à la résidence JA De Sève.
Chaque jour, vous vivez dans le stress en vous demandant où vous allez aller. C’est une vie misérable.
Luca Didodo, hébergé à la résidence JA De Sève
Arrivé il y a sept mois, Luca Didodo est soulagé d’avoir une chambre à lui, mais il peine encore à s’intégrer à la résidence. «J’ai du mal à accepter d’en être arrivé là», dit-il, assis dans son fauteuil à bascule.
«Ça viendra, vous vous adapterez», répond Julie Denis. Essayez de venir aux activités plus souvent ! »
Barbecues, jeux de cartes, jardinage, bingo : les spécialistes des loisirs de La Maison du Père planifient chaque mois un calendrier d’activités pour briser l’isolement des résidents. Gagner la confiance des nouveaux arrivants ne se fait pas du jour au lendemain, concède Julie Denis en marchant dans un couloir. « Mais voir évoluer les habitants, c’est notre paie », ajoute-t-elle.
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