« Imaginez une patiente qui souhaite tomber enceinte et qui est enceinte d’un précancer ou d’un cancer. C’est un choc terrible», raconte l’obstétricien-gynécologue Philippe Sauthier, du Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM).
Elisabeth Lussier-Arpin can attest to this. Je n’avais jamais entendu parler de ça
elle se souvient du moment où, à 29 ans, elle a appris que la grossesse qu’elle pensait avoir depuis près de deux mois, la première, était en réalité une tumeur.
C’est ce qu’on appelle une grossesse molaire. Il s’agit d’une grossesse anormale où, très peu de temps après la fécondation, l’embryon cesse de se développer et où les cellules destinées à donner naissance au futur placenta prolifèrent de manière excessive.
décrit la généticienne Rima Slim.
Son équipe de l’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) étudie les origines génétiques de ces tumeurs placentaires, également appelées grains de beauté hydatiformes, qui touchent environ une grossesse sur 600.
Rima Slim est généticienne au Centre universitaire de santé McGill.
Photographie : Rima Slim
Rima Slim et ses collègues viennent de publier une étude dans le Journal d’investigation clinique dans lequel ils identifient six nouveaux gènes liés à ces cas de cancers rares et peu connus.
Le cas classique est celui d’une femme de 27 ou 28 ans qui souhaite tomber enceinte et qui tombe enceinte. Pas de problème, rien de spécial, pas d’antécédents familiaux la plupart du temps, et puis elle se met à saigner
évoque l’obstétricien-gynécologue Philippe Sauthier, qui a collaboré à l’étude.
Elle va voir son médecin qui fera une échographie, qui regardera et qui dit : “Bizarre, il n’y a pas d’embryon et l’utérus est plein de choses étranges.” C’est là qu’on soupçonne une taupe
explique ce spécialiste des maladies trophoblastiques, terme qui englobe les différents types de cancers placentaires.
Bien que les tumeurs placentaires soient bénignes la plupart du temps, elles peuvent devenir malignes dans jusqu’à 15 % des cas et nécessiter des traitements tels que la chimiothérapie. Dans les cas les plus graves, ils peuvent même provoquer des métastases vers d’autres organes.
Ce fut le cas d’Élisabeth Lussier-Arpin. Le grain de beauté s’est avéré agressif et a métastasé ses poumons. Cela a été suivi de trois séries de traitements de chimiothérapie pour en venir à bout l’été dernier.
Comme cela arrive très rarement au Québec, mon oncologue était en discussion avec des gens en Angleterre et en Ontario pour établir le protocole.
En théorie, je suis guéri
elle s’en réjouit aujourd’hui, quoique avec une certaine prudence. Un aspect très difficile est de ne pas pouvoir essayer d’avoir d’enfants pendant deux ans. Habituellement, si le cancer doit réapparaître, c’est à ce moment-là
explique-t-elle.
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Elisabeth Lussier-Arpin developed a molar pregnancy.
Photo: Elisabeth Lussier-Arpin
Grossesses molaires récurrentes
Même si le risque est infime, il n’est pas impossible qu’une nouvelle grossesse se révèle également être un grain de beauté.
Il arrive que les grossesses molaires soient récurrentes, ou qu’elles surviennent chez plusieurs membres d’une même famille. Ces cas extrêmes et très rares intéressent particulièrement la chercheuse Rima Slim, qui les étudie pour mieux comprendre les mécanismes à l’origine de ces maladies.
En 2006, le chercheur identifie un premier gène, impliqué dans 55 % des cas de grossesses molaires répétées. Lorsque la patiente a des mutations sur ce gène, elle est en bonne santé, elle n’a aucun problème, précise-t-elle. Elle ne consulte que le jour où elle essaie de concevoir et chacune de ses grossesses finit par être une grossesse molaire.
Même si ces facteurs génétiques concernent une très faible partie de ces maladies, ils constituent une réponse importante aux questions des femmes qui en souffrent. Ces patientes peuvent être testées et ensuite, au lieu de procéder à une fécondation in vitro avec leurs propres ovules, elles peuvent utiliser les ovules d’une donneuse saine. À ce moment-là, il leur est possible d’avoir une grossesse normale
» argumente le généticien.
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L’Institut de recherche du Centre universitaire de santé McGill a développé une expertise dans le domaine des grossesses molaires.
Photo : Radio-Canada
Depuis la découverte de ce gène, son équipe en a identifié trois autres liés aux grossesses molaires en 2018, puis six autres qui font l’objet de cette nouvelle étude. Des gènes qui jouent essentiellement un rôle dans la formation des cellules reproductrices.
Chez la femme, les cellules qui forment les ovules, appelées ovocytes, se divisent en partageant leurs 46 chromosomes en deux ensembles de 23. Cependant, dans les ovocytes où ces gènes sont défectueux, ce processus est perturbé.
Chromosomes, fuseaux [qui permettent leur migration]tout est expulsé hors de la cellule
montre Teruko Taketo sur un écran. La chercheuse en biologie de la reproduction à l’Université McGill collabore aux travaux de Rima Slim et de ses collègues.
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Teruko Taketo est chercheuse en biologie de la reproduction à l’Université McGill.
Photo : Radio-Canada
Son équipe a filmé la division d’ovocytes de souris dans lesquels l’un des gènes identifiés avait été muté. Sur ces images, on peut voir les chromosomes sortir des cellules lors de leur formation. Imaginez que ce type d’ovocyte soit fécondé. Aucun chromosome maternel ne contribuerait [au fruit de cette fécondation]
dit-elle.
C’est pourtant ce qui semble se produire dans bon nombre de grossesses molaires, où seul l’ADN paternel est présent. La fécondation d’un ovule par un – ou dans certains cas plusieurs – spermatozoïdes a bien lieu, mais à un moment donné, l’ADN de la mère disparaît.
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Les ovocytes de souris mutées perdent leurs chromosomes.
Photo : Radio-Canada
Percez le mystère
Le phénomène est connu depuis les années 1970, mais ce n’est qu’en 2018 que l’équipe a observé le mécanisme pour la première fois, chez la souris. Nous avons résolu un mystère scientifique vieux de 40 ans
souligne Rima Slim.
Rima me permet de comprendre les mécanismes sous-jacents et je peux lui orienter les patients
s’enthousiasme Philippe Sauthier, qui a contribué à ces travaux par l’intermédiaire du Réseau québécois des maladies trophoblastiques (RMTQ), qu’il a lancé en 2009. Cette structure unique au pays vise à améliorer la prise en charge des patients atteints de ces cancers rares.
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Philippe Sauthier est obstétricien-gynécologue au Centre hospitalier de l’Université de Montréal.
Photo : Philippe Sauthier
Maladie trophoblastique, un gynécologue en verra une tous les trois ou quatre ans. Moi, ces 15 dernières années, j’en ai vu cinq par semaine
évoque le spécialiste en oncologie gynécologique pour illustrer l’importance du partage de cette expertise.
Le RMTQ propose également de mettre en relation des patients avec des femmes ayant vécu des expériences similaires. La première chose qu’ils nous disent tous : j’avais vraiment l’impression d’être le seul au monde à avoir ça.
note-t-il.
C’est tellement rare qu’il n’y a pas de réaction réconfortante, dans le sens où personne n’a vécu ça, c’est super rare, il n’y a pas beaucoup d’études
évoque Elisabeth Lussier-Arpin, elle-même tiraillée entre l’envie de témoigner de son vécu et la peur de susciter l’inquiétude autour de ce phénomène méconnu.
C’est quand même un sujet triste, ça afflige les femmes de mon entourage que je vois essayer de tomber enceinte. Nous devons éduquer les gens sur cette maladie, mais en même temps, nous ne voulons pas leur faire peur.
conclut-elle.
Le reportage de la journaliste Gaëlle Lussiaà-Berdou et de la réalisatrice Hélène Morin est présenté à l’émission Découverte Dimanche à 18h30 (EST) sur ICI TÉLÉ et samedi à 18h30 sur ICI RDI. Il est également disponible en rattrapage sur le site ICI Tou.tv (Nouvelle fenêtre)
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