« D’habitude, on se dit qu’on va reconstruire tout ce qui a été détruit par la guerre. Mais lorsqu’il s’agit d’un patrimoine ancien, on sait très bien que nous ne pourrons jamais le reconstruire. »
C’est la grande peur qui hante Nayla De Freige depuis le début de la guerre ouverte entre Israël et le Hezbollah.
je suis très très inquiète
a déclaré le président du Festival international de Baalbeck en entrevue à Radio-Canada. Son festival est un événement culturel célèbre pour ses spectacles grandioses présentés chaque année – sauf celui-ci – entre les temples romains de Bacchus et de Jupiter, classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Depuis 1956, des voix emblématiques comme celles d’Ella Fitzgerald, Nina Simone et Feyrouz résonnent entre les colonnes de ces vestiges archéologiques, situés au nord-est du Liban.
Musiciens de l’Orchestre Philharmonique Libanais jouant au milieu du Temple de Bacchus, dans le cadre du Festival International de Baalbeck. (Photo d’archives)
Photo : Getty Images / AFP
Ces temples, dont la construction a commencé au siècle dernier avant JC, sont parmi les plus grands jamais érigés et parmi les mieux conservés au monde, estime leLUI.
Aujourd’hui, ils risquent d’être détruit en quelques secondes
déplore l’archéologue libanaise Joanne Farchakh Bajjaly, spécialisée dans la protection du patrimoine en situation d’urgence.
En plus d’être reconnue pour ses joyaux anciens, la ville de Baalbeck est considérée comme un fief du Hezbollah. Elle est donc régulièrement bombardée par l’armée israélienne qui a donné il y a quelques semaines un ordre d’évacuation à ses quelque 80 000 habitants.
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Une épaisse fumée noire émerge non loin d’un site historique de la ville de Baalbeck après une frappe israélienne, le 31 octobre 2024.
Photo : Getty Images / AFP/NIDAL SOLH
L’État hébreu affirme viser des installations militaires appartenant au mouvement chiite pro-iranien, mais des dégâts provoqués par l’intensité des explosions ont été constatés sur plusieurs de ses sites historiques.
Le souffle d’une explosion peut faire tomber une pierre pesant plus de 300 kilos
explique Mme Farchakh Bajjaly, assise dans un café à Beyrouth. C’est ainsi qu’une partie du dôme de Douris est tombée
situé à environ 3 km au sud-ouest de Baalbeck, ajoute-t-elle.
Il existe également des vibrations provoquées par le mouvement du sol après un choc qui peuvent provoquer des dommages aussi bien à la surface d’un chantier que dans son sous-sol.
» dit Mme Farchakh Bajjaly, dont la voix est couverte par le bourdonnement d’un drone de surveillance survolant la capitale libanaise à très basse altitude.
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Une maison traditionnelle située à quelques mètres du site archéologique de Baalbeck a été détruite par une frappe israélienne le 7 novembre 2024.
Photo : Getty Images / Ed Ram
A ce jour, deux murs juxtaposés à la citadelle historique de Baalbeck ont été endommagés, tout comme le légendaire hôtel Palmyra, construit en 1874 et situé juste en face des temples, qui a notamment accueilli de grands noms comme Charles de Gaulle, Lawrence d’Arabie ou Albert Einstein.
Au sud du Liban, la ville de Tyr – autre ville millénaire regorgeant de sites classés au patrimoine mondial – est également la cible d’un ordre d’évacuation israélien depuis des semaines.
Fief du mouvement Amal, allié du Hezbollah, cette cité phénicienne, où la couleur pourpre aurait été découverte, est célèbre pour ses thermes romains, sa nécropole, son arc de triomphe et son hippodrome datant du IIe siècle après J.-C.
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Une photo d’archive montrant une jeune femme photographiée sur un site archéologique à Tyr, dans le sud du Liban.
Photo : Getty Images / AFP/MAHMOUD ZAYYAT
Il y a quelques semaines, des missiles sont tombés à quelques centaines de mètres de ces sites archéologiques. Mme Farchakh Bajjaly craint le pire si la guerre continue.
Il existe à Tyr des vestiges archéologiques souterrains qui ont sûrement été endommagés par les frappes. Il y a certainement eu des destructions.
Face à l’urgence, plus de 100 députés libanais – sur un total de 128 au Parlement – ont exceptionnellement mis de côté leurs divergences politiques pour appeler la communauté internationale à agir en faveur de la protection des sites patrimoniaux du pays.
Le Comité de l’UNESCO pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé doit également tenir une réunion exceptionnelle le 18 novembre à Paris, à la demande des autorités libanaises.
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De la fumée s’élève au-dessus de la ville portuaire de Tyr, classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, après les frappes israéliennes, le 23 octobre 2024.
Photo : Reuters / Aziz Taher
Mais plus que des mesures de protection, Nayla De Freige, présidente du Festival de Baalbeck, espère que l’Unesco prendre la responsabilité […] et imposera de fortes sanctions à ceux qui détruisent
Patrimoine libanais.
C’est l’UNESCO qui est la gardienne des sites classés au patrimoine mondial. L’agence doit faire plus et agir le plus vite possible, c’est très important.
Elle tient également à souligner qu’au-delà des monuments historiques, il y a tout le patrimoine culturel immatériel qui doit aussi être protégé
. Je parle de mémoire, d’histoire, de folklore, de traditions, de souvenirs… Tout le tissu social de Baalbeck est touché par ce patrimoine.
Même réflexion de Joanne Farchakh Bajjaly, qui dénombre plus de 10 000 monuments nationaux faisant également partie du patrimoine libanais, comme de vieux souks, des sites religieux historiques, ainsi que des maisons traditionnelles. Ces monuments, selon elle, sont bien plus menacés de destruction que les sites archéologiques.
C’est là que se forment les mémoires collectives, explique l’archéologue. Ces lieux ont bien plus de valeur pour la population locale car ils font partie de son identité.
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L’archéologue libanaise Joanne Farchakh Bajjaly.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Selon l’Agence nationale libanaise d’information, des quartiers entiers de 37 villages du Sud-Liban ont été détruits. complètement détruit
depuis le début de la guerre, dont 40 000 logements.
Des images impressionnantes ont circulé ces dernières semaines sur les réseaux sociaux montrant le dynamitage de villages entiers non loin de la frontière avec Israël.
Une pratique qui doit être condamnée par la communauté internationale, selon Mme Farchakh Bajjaly.
Dans sa guerre contre le Hezbollah, Israël ne peut pas attaquer directement les sites classés au patrimoine mondial, mais qu’en est-il des sites communautaires ? La destruction est massive.
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L’expert en archéologie n’attend pas de résultats immédiats de la prochaine réunion de l’UNESCO, mais elle espère que des mesures préventives seront quand même adoptées pour protéger le patrimoine.
Mieux vaut mettre en place des mesures de protection que d’essayer de trouver des financements pour reconstruire après la guerre
estime enfin Mme Farchakh Bajjaly. Ce serait une façon [pour l’Unesco] démontrer aux Libanais que leur patrimoine est respecté et qu’il mérite d’être préservé.
Sinon, pourquoi des conventions internationales ont-elles été rédigées ? À qui s’applique-t-elle, sinon aux États ?
Le Hezbollah a ouvert un front avec Israël le 8 octobre 2023, en soutien à son allié, le Hamas, au lendemain de l’attaque sanglante lancée depuis Gaza contre l’État hébreu.
Depuis, plus de 3 000 Libanais sont morts et plus de 1,2 million de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer.
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