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« L’hémorragie industrielle », germe d’une possible colère dans les villes moyennes

Fermeture des usines de Cholet et de Vannes (1 200 emplois menacés), pour le groupe Michelin. Fermeture d’une usine dans l’Ain (30 emplois supprimés) chez le fabricant de roues de vélo Mavic. Plan social à venir chez le sous-traitant automobile Plastivaloire à Langeais. En Meurthe-et-Moselle, 48 des 135 postes d’Azur Production sont menacés. Et la liste pourrait être très longue…

Entre incertitudes politiques et tensions économiques, notamment dues au coût de l’énergie, l’industrie française doit faire face à des dynamiques sociales négatives. « On estime que plus de 150 000 emplois vont disparaître, probablement davantage. (…) Nous sommes au début d’une violente effusion de sang industrielle”a déclaré Sophie Binet, la secrétaire générale de la CGT, à Dimanche à la Tribune.

« Le contexte est bien plus préoccupant qu’il y a un an, lorsque, avec Martin Videlaine, nous avions commencé à écrire notre livre. (…) La croissance ralentit et il y a un manque de réaction qui est alarmant. Cette mauvaise nouvelle alimente le mécontentement d’une certaine population. Une fermeture d’usine, un emploi perdu, il y a des drames familiaux derrière ça», observe Guillaume Caudron, co-auteur du livre «Réindustrialiser» aux éditions Dunod.

« La sauce du déclin »

Cette « certaine population » n’est ni plus ni moins que les villes moyennes françaises, premières victimes de ces récentes annonces de plans sociaux. « Dans notre pays, 65 % de l’industrie est implantée dans ces villes moyennes, soit 49 % de la population est concernée. La culture industrielle est forte dans ces territoires. Il faudra cependant se garder, suite à ces annonces, de ne pas créer une à deux vitesses en matière industrielle. Dans l’imaginaire collectif des Français, la désindustrialisation est liée à un sentiment de vulnérabilité. C’est la base du déclin »prévient le politologue Brice Soccol, auteur du livre « Parlons-nous tous la même langue ? » aux côtés de Frédéric Dabi.

A l’aube du sixième anniversaire du début du mouvement social des « gilets jaunes », déclenché depuis les zones périurbaines et rurales en raison des prix trop élevés de l’essence, le contexte social et économique rassemble certains ingrédients d’une colère sociale à venir qui pourrait se propager comme une traînée de poudre, à l’image des plans sociaux qui voient le jour dans tout le pays.

« Quand une usine ferme, d’abord un écosystème et des services partent, mais cela crée aussi du chômage car les gens restent. Dans les villes moyennes, et particulièrement celles à culture industrielle, il existe un ancrage territorial très important de la population, bien plus que celui qui vit dans les grandes villes. Cela provoque une certaine colère, voire frustration, et cela se reflète parfois dans les bulletins de vote», analyse Martin Videlaine.

L’inquiétude… avant la colère ?

A l’instar de Cholet (Maine-et-Loire) et Vannes (Morbihan), deux communes d’environ 55 000 habitants chacune, dont les deux usines Michelin fermeront au plus tard début 2026. Deux territoires où le leader mondial du pneumatique est l’un des plus gros employeurs et deux collectivités au plein emploi. Mais deux villes où le reclassement des salariés risque d’être compliqué. A Vannes, où 299 salariés sont concernés, le maire (Horizons), David Robo, ne se fait guère d’illusions : « Les gens sont très mobiles, ont acheté une maison, remboursent un emprunt… Nous allons faire pression sur Clermont-Ferrand pour qu’il ait des engagements à la hauteur de la situation. Il y aura un accompagnement individuel très fort pour les salariés. » le conseiller municipal s’engage.

« Ce matin, j’ai visité une entreprise de palettes en bois qui peut embaucher 2-3 personnes, mais qui n’a pas les conditions salariales de Michelin. Là, ils sont plutôt bien payés, reçoivent des primes, ont un comité d’entreprise… La situation est dramatique pour ces 955 familles avec des conséquences sur le travail des conjoints en cas de mutation. acquiesce Gilles Bourdouleix, maire (UDR) de Cholet.

Dans les deux cas, le terrain appartient au géant mondial du pneumatique. Ce qui n’empêche pas le maire de Vannes de prospecter pour trouver des repreneurs pour le terrain de 66 000 m² couverts et 5 hectares de terrain constructible. A Cholet, le terrain fait 40 hectares et Michelin a déjà mandaté KPMG à cet effet, assure Gilles Bourdouleix.

Outre la crise automobile, confrontée à une transition douloureuse vers la mobilité électrique, le secteur de la chimie est également en grande difficulté à l’échelle européenne face à la concurrence asiatique. Illustration dans l’Oise à Trosly-Breuil, près de Compiègne, où la major WeylChem Lamotte a annoncé un plan de restructuration pour 2025 pour ce site, alors qu’elle avait investi 17 millions d’euros entre 2023 et 2024. Ce sont 100 postes sur 400 qui seraient ainsi être menacé dans cette ville de 2 000 habitants.

Automobile : « La survie du secteur est en jeu » (Luc Chatel, président de la plateforme automobile)

« C’est une institution présente ici depuis la fin du XIXème siècle qui emploie de nombreux sous-traitants et qui anime les commerces locaux. Est-ce un premier pas ou va-t-on vers la fermeture de l’usine ? “, demande le maire (sans étiquette) Sylvain Goupil. Et lâchez prise : « Beaucoup savent que le maire ne peut pas faire grand-chose. Il n’y a pas de colère, mais de l’étonnement, de l’inquiétude… Comme tout le monde, je ne sais pas où l’on va, sauf vers l’inconnu. »

Un sentiment partagé par l’édile (PS) de Bourg-en-Bresse (Ain), président par intérim de l’association des élus Villes de France qui porte la voix de ces communes dans le débat public : « On voit bien qu’il y a un ralentissement économique avec des impacts industriels depuis plusieurs semaines et, malheureusement, on sait qu’il y en aura d’autres dans les mois à venir… ».

« La réindustrialisation est un projet de société »

Alors que la Semaine de l’industrie s’ouvre dans tout le pays à partir du 18 novembre, avec plus de 7 000 événements dans les entreprises mettant en avant les métiers de l’industrie, notamment auprès des jeunes, cette même industrie peut-elle être le socle d’un nouveau mouvement social d’ampleur en raison des difficultés qu’elle rencontre ?

« La désindustrialisation génère un sentiment de déclassement dans les villes moyennes. Ces territoires sont également touchés par la dégradation des services publics, notamment en matière de santé. Enfin, l’inquiétude générale du monde agricole s’accroît. Ces trois facteurs peuvent alimenter une certaine colère territoriale. Ces trois axes touchent la majorité des territoires, où ce sentiment d’inégalité et d’oubli est déjà présent. (…) Le déclin industriel est depuis 40 ans une blessure narcissique dont on ne s’est pas remis”, analyse Brice Soccol.

Dans le cadre de leur livre « Parlons-nous tous la même langue ? », le politologue Frédéric Dabi a mené une enquête qualitative auprès de différents Français. Si chez les urbains, c’est la valeur de liberté qui prime, chez les ruraux et périurbains, c’est la notion d’égalité qui est importante…

Alors, comment gommer ce sentiment d’inégalité ancré dans les territoires et amplifié par les chocs sociaux ? “ Il faut faire un peu de couture », estime Brice Soccol, avec un accompagnement territoire par territoire, dont les conseils régionaux seraient en charge. En ce sens, il propose dans le même temps la mise en place d’un plan de relance industrielle dans les territoires alors que la dynamique de réindustrialisation du pays marque le pas de manière inquiétante.

La réindustrialisation de la France marque le pas

« La réindustrialisation est une question de souveraineté, mais c’est aussi une question de cohésion territoriale », concède Marc Ferracci, le ministre délégué de l’Industrie. ” Personne ne peut s’opposer à la production dans son pays. (…) Les entreprises sont un véritable lieu de vie dans notre modèle de société et la réindustrialisation est un projet de société en tant que tel », persiste l’entrepreneur Gilles Attaf, président des Forces françaises de l’industrie. À l’heure où les recettes de l’État sont en berne et où les contraintes budgétaires pèsent sur les économies, recréer une activité industrielle intéresse aussi les pouvoirs publics. “ Le travail est « la » Source de création de richesse et donc le meilleur financement de notre système social », conclut Guillaume Caudron.

 
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