Bien qu’environ 2 % des femmes connaissent un épisode d’anorexie au cours de leur vie, la prévalence chez les hommes reste floue. Longtemps sous-estimée, elle pourrait atteindre 1,4%, selon de récentes estimations. Environ 20 % des personnes atteintes, hommes et femmes confondus, souffrent d’une forme chronique.
Dans le podcast Dingue, Gilles, aujourd’hui coureur d’ultra-trail, explique que tout a commencé par une déception amoureuse en 2000, alors qu’il avait 22 ans. Complexé par son poids – 120 kilos à l’époque – il entreprend de se transformer : « J’ai commencé à faire des régimes et à calculer tout ce que je mangeais. »
Le jeune homme adopte un rythme de sport effréné : trois séances par jour, entre fitness et musculation. Le mécanisme s’emballe. Pendant longtemps, personne ne s’en est inquiété. En 2003, ses responsables fitness lui en interdisent l’accès et le persuadent de consulter. Il pesait alors 53 kilos.
Un échec thérapeutique
En février 2004, Gilles est hospitalisé dans des conditions très strictes : « Un mois cloîtré dans la chambre, sans autorisation de voir personne, ni parents, ni téléphone. Pas de marche. Nous sommes en fauteuil roulant. Le programme consiste à manger, manger, manger et regarder que vous mangez. C’est du gavage.
Il a passé huit mois en institution et a pris cinq kilos, mais l’absence de suivi psychothérapeutique durable a limité les progrès.
L’anorexie peut être comprise comme une dépendance au contrôle et la capacité de ne pas satisfaire un besoin.
Pour Marco Solca, psychiatre et médecin assistant aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), cela illustre une époque révolue : « Vers 2010, des études montraient que l’évolution à long terme des patients traités en ambulatoire n’était pas du tout pire. qu’en hospitalisation Aujourd’hui, la majorité des centres privilégient les soins ambulatoires.
Mais un suivi adapté reste à ses yeux crucial : « Le travail psychothérapeutique n’est possible qu’à partir d’un certain poids ; sinon, le cerveau n’est tout simplement pas capable d’effectuer ce travail. Le retard du traitement et l’absence de suivi psychothérapeutique ont probablement contribué à la chronicisation de l’anorexie de Gilles.
L’ultra-trail comme exutoire
Aujourd’hui, Gilles, qui vit toujours avec l’anorexie, est un coureur d’ultra-trail. Il ne se considère pas comme un cas isolé : « Il y en a beaucoup et ça se voit. On n’a pas besoin d’en parler : on se voit, on se reconnaît.
Une journée typique est faite de sport, de travail et de sport. Si quelque chose d’inattendu se produit, je perds le contrôle
Marco Solca comprend ce lien possible entre anorexie et ultra-trail : « C’est ressentir son corps dans ce qu’il a de plus essentiel et de plus fondamental. Un besoin de se sentir vivant, soit par excès de sport, soit par malnutrition extrême. L’anorexie peut être comprise comme une dépendance au contrôle et la capacité de ne pas satisfaire un besoin.
Le piège du contrôle
Pour Gilles, tout tourne autour du sport et de la gastronomie. « Une journée typique, c’est du sport, du travail et du sport. Si j’ai quelque chose d’inattendu, je perds le contrôle : c’est un cercle fermé.
Selon Marco Solca, ce contrôle s’installe insidieusement : « Tout commence souvent par une alimentation inoffensive. Vient ensuite la satisfaction liée à la perte de poids et celle de ressentir le contrôle. Petit à petit, la personne se retrouve coincée dans ce nouveau fonctionnement, il y a une sorte d’emballement et de cercle vicieux et plus on attend, plus il va se cristalliser, compartimenter et se figer.
Malgré la chronicité de son trouble, Gilles continue de lutter. La force mentale développée en ultra-trail pourrait un jour devenir un atout pour sa récupération.
Adrien Zerbini/boi
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