Une semaine après l’annonce de la fermeture des sites du Maine-et-Loire et du Morbihan, environ 500 salariés du groupe pneumatique se sont rassemblés devant la maison mère pour réclamer des comptes à leur direction.
Il lui faudra donc attendre dix-huit ans, traverser la France et rouler sept heures pour enfin le voir en vrai. Bibendum, symbole de Michelin, entreprise pour laquelle il était « tout donné »se dresse fièrement quatre ou cinq mètres au-dessus d’elle. Katia Martin donne un coup de coude à sa collègue : « Regardez, il vous salue ! » Ce dernier a une version complètement différente : « Oh non, il nous montre la porte de sortie. Profitez-en, la première et la dernière fois que nous voyons ce bâtiment. Nous sommes sortis… » Il est 14 heures ce mercredi 13 novembre et l’esplanade devant le siège du célèbre fabricant de pneumatiques à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) se remplit.
Combien y en a-t-il ? Quatre cents, peut-être cinq cents. Les travailleurs locaux accueillent les employés venus de plus loin. Ceux du site de Vannes ont parcouru plus de 640 kilomètres ; celles du site de Cholet, 500. Après l’annonce soudaine de la fermeture prochaine de ces deux usines, toute la famille « Michelin » réclame des comptes de la part de sa direction. La date n’a pas été choisie au hasard : derrière les grandes façades vitrées de la maison mère, se tenait au même moment une réunion extraordinaire du Comité central social et économique (CSEC). L’enjeu est le sort des 1 250 personnes qui sont sur le point de se retrouver à terre.
Quelques projectiles volent dans les airs. Un morceau de bois, une bombe fumigène, une canette de bière, une canette en aluminium, un mégot de cigarette… Quelques insultes aussi. Pierre-Louis Dubourdeau, le directeur industriel du groupe, a les oreilles qui bourdonnent, traité de “bâtard” et de “voyou”. Un employé, perché sur un banc en béton, tonne : « Sortez de votre bureau avec vos amis en cravate et venez nous parler ! Bibendum, tu es avec nous ou pas ? Personne ne sortira. Personne n’entrera jamais non plus. Il est 14h20 et les policiers viennent même de se positionner à l’intérieur du hall cosy.
Dans le cortège du « Michelin », “il y a de l’amertume et de la tristesse parce qu’il y avait de la fierté à travailler pour cette entreprise”. Parfois pendant plusieurs décennies. Gilles, la cinquantaine, porte la casquette bleue que l’entreprise lui a offerte lors de son embauche en 2002. “J’ai les couilles, les couilles, les couilles”, » répète-t-il encore et encore en tirant sur sa cigarette. La sono crache un nouveau slogan : “Cinquante ans d’exploitation, cinq minutes pour nous licencier.” Katia ne veut plus y croire. Sur sa pancarte, tout est dit. Elle l’a écrit au passé : «J’étais Michelin.» Sur son carton, sa voisine de gauche a tenté l’humour et ce jeu de mots : « Tu es à plat aussi ? » Mais personne n’a vraiment envie de rire.
Dans le bus qui partait de Vannes, déjà en route, “ce n’était pas toujours facile de penser à autre chose”, confie Hélène. L’ouvrier de quelques semaines encore a même trouvé le chemin “interminable”. Sur l’autoroute, « Beaucoup ont dit qu’ils ne savaient pas ce qu’ils allaient devenir. Pour l’instant, je n’y pense pas, je vis dans le présent, mais je sais que je vais avoir un coup dur après.»
Gwenn Le Luherne, 24 ans d’ancienneté sur le site de Vannes, subit également le coup. « A l’usine, chacun a sa propre histoire, et c’est parfois très compliqué. Je pense à mes collègues Pauline et Franck, 25 et 26 ans, qui viennent d’avoir un enfant. A Stéphanie et Cyril, un autre couple, qui va se retrouver au chômage. Deux salaires disparus, hop… »
Le répondeur de Ludovic Robert est saturé de messages. “Quand j’allume mon téléphone portable le matin, je reçois des SMS d’employés, confie le délégué CFDT de Michelin Cholet. Ils me demandent : « Que va-t-il se passer maintenant ? Quand allons-nous négocier ? À chaque fois, ma réponse est : « Je ne sais pas ». Richard Grangien, son collègue du CSE, lève la tête, agacé. « Il y a des gars qui sont très en colère, d’autres qui sont très déprimés. L’autre jour, un collègue devant le feu de palettes a largué une bombe. Il m’a parlé de suicide. Il a des enfants, une famille. J’ai peur de la stupidité ultime. L’autre jour, les patrons de Katia Martin lui ont envoyé un texto : “Peut-être que tu devrais aller chez le psy.”
Micro à la main, Serge Allègre, secrétaire général de la CGT des industries chimiques, promet de ne laisser tomber personne. « Nous allons multiplier les actions. Car ici, ce sont les amis de Cholet et de Vannes qui sont jetés comme des Kleenex à la rue. Mais après ça, qui sera-t-il ? Cette entreprise dans laquelle nous travaillons n’a travaillé que pour les parasites qui en sont les actionnaires.
Foulard tricolore sur le dos, Mathilde Panot traverse les rangs pour saluer les ouvriers. La chef de file des députés LFI rappelle que son groupe a demandé une commission d’enquête sur les aides publiques accordées aux entreprises. « Nous assistons ici à un scandale, insiste le parlementaire. Michelin a engrangé des dizaines de millions d’euros d’argent public qu’il a utilisés pour détruire des emplois et gorger les actionnaires. Et en plus, nous avons maintenant un nouveau Premier ministre qui se demande où est passé l’argent public, même si c’est très évident.» Alors que le rassemblement commence à se disperser et que la nuit tombe, un employé, l’air abattu, passe : “Il faut encore y croire, à votre avis, Madame la Députée ?”
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